MOZART : La Flûte enchantée (K. 620) / Der Hölle Rache kocht in meinem Herzen

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Der Hölle Rache kocht in meinem Herzen” (ou “Air de la Reine de la Nuit“) est un air de l’opéra Die Zauberflöte (La Flûte enchantée) de W.A. Mozart. Chanté au second acte, scène 3, il est considéré comme l’un des airs les plus virtuoses de l’art lyrique. Le livret est d’Emanuel Schikaneder, ami de Mozart, qui a d’ailleurs joué le rôle de Papageno (baryton) lors de la 1ère représentation à Vienne, en 1791. Il dépeint l’accès de l’amour vengeur lors duquel la Reine de la Nuit (soprano colorature) donne un poignard à sa fille Pamina et lui donne l’ordre de tuer le grand-prêtre Sarastro, menaçant même de la renier si elle ne lui obéit pas. La première interprète de l’aria fut la belle-sœur de Mozart, Josepha Weber, alors âgée de trente-trois ans. Josepha avait une voix d’un registre extrêmement élevé et d’une grande agilité et sans doute, Mozart, familier de ses capacités vocales (et selon des rumeurs, ne s’entendait pas avec elle), a-t-il écrit cette grande aria à son intention (pour la mettre à l’épreuve !).

Une vengeance infernale brûle dans mon cœur ;
La mort et le désespoir flamboient autour de moi !
Si Sarastro ne meurt pas de tes mains,
Tu ne seras plus ma fille !
Tu seras répudiée à jamais,
Abandonnée à jamais,
À jamais seront rompus entre nous
Tous les liens de la nature,
Si Sarastro ne périt pas de tes mains !
Entendez! Entendez ! Entendez, Dieux de Vengeance !
Entendez le serment d’une mère !

Résumé de l’opéra : le Prince Tamino est chargé par la Reine de la Nuit d’aller délivrer sa fille Pamina des prisons du mage Sarastro, présenté comme un tyran. Guidé par les trois Dames de la Reine et accompagné de Papageno, un oiseleur dont la personnalité contraste avec la noblesse et le courage de Tamino. À Papageno revient un carillon et à Tamino une flûte magique – deux instruments qui les aideront dans leur périple. Mais Tamino découvre au cours de son voyage que les forces du mal ne sont pas du côté de Sarastro mais de celles de la Reine de la Nuit : cette dernière est prête à tout pour se venger de Sarastro, qu’elle déteste. Le parcours, truffé d’épreuves, de Tamino pour délivrer et conquérir Pamina, les mène tous deux, vers l’amour et la lumière, sous la sagesse bienveillante de Sarastro. La Reine de la Nuit et sa suite finissent anéanties.

d’après LYRICSTRANSLATE.COM



[INFOS QUALITE] statut : validé | sources : youtube.com ; lyricstanslate.com | mode d’édition : partage, correction, mise en page, compilation et documentation | contributeur : Patrick Thonart | crédits illustrations (entête) : L’apparition de la Reine de la Nuit, décor de Schinkel pour la Flûte enchantée de Mozart, 1819 (dessin de Karl Friedrich Schinkel, gravure de K. F. Thiele) © bnf.fr


D’autres incontournables du savoir-écouter :

FRANCK, César (1822-1890)

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Bicentenaire de la naissance de César Franck

[dossier de presse OPRL] Né à Liège, le 10 décembre 1822, le compositeur César Franck a révolutionné la musique française du XIXe siècle. Ses œuvres font aujourd’hui encore le tour de la planète. De septembre 2021 à décembre 2022, l’Orchestre Philharmonique Royal de Liège (OPRL), l’un des interprètes incontournables de César Franck depuis 60 ans, célébre le bicentenaire de celui qu’on surnommait le Messie de l’art  avec une série de concerts, plusieurs coffrets discographiques, des parutions inédites et des projets numériques. César Franck a incontestablement marqué son époque par sa quête de perfection et ses innovations. Un maître reconnu par ses pairs et vénéré par ses fils spirituels dont Chausson, d’Indy, Duparc, Vierne ou encore Guillaume Lekeu. Il a véritablement transformé le paysage musical français à partir des années 1870. […]

Rendre à César…  : l’apport de Franck à l’histoire de la musique

Le Liégeois qui a révolutionné la musique française. César Franck (1822-1890) a incontestablement marqué la musique française par sa quête de perfection et ses innovations. Un maître reconnu par ses pairs et vénéré par ses fils spirituels.

La quête d’un idéalisme. L’idéal artistique de César Franck contraste avec les pratiques de son temps. Lorsqu’il arrive à Paris, en 1835, la musique s’ouvre à tous les publics et devient un marché sur lequel priment parfois la quête de sensations fortes ou de virtuosité ébouriffante. César Franck transforme le paysage musical français à partir des années 1870 en proposant un art épuré, teinté d’idéalisme et d’intériorité. Sa musique se caractérise par une profondeur de sentiments, une élévation spirituelle, une profusion de mélodies en effervescence, un tempérament passionné et fiévreux inspiré par la musique de son idole : Franz Schubert.

Franck le dramaturge. À Liège, Franck étudie les modèles classiques allemands, de Bach à Beethoven. Arrivé à Paris, il découvre une vie musicale dominée par l’opéra et utilise ses ressorts dramatiques dans toutes ses œuvres, y compris orchestrales, instrumentales et religieuses. Il y raconte des histoires et joue la carte des coups de théâtre et des clairs-obscurs.

L’inventeur du poème symphonique. En même temps que Franz Liszt, César Franck “le descriptif” invente un nouveau genre musical : le poème symphonique. Il s’agit d’une composition de forme libre (contrairement aux codes de la symphonie) inspirée par un personnage, une légende ou une œuvre littéraire : une musique illustrative qui préfigure les musiques de films. Son œuvre Ce qu’on entend sur la montagne, sur un poème de Victor Hugo, est composée en 1846, quelques mois avant le premier poème symphonique de Liszt (généralement considéré comme l’inventeur du genre) qui s’intitule également Ce qu’on entend sur la montagne

Mais encore… Franck impose à son époque une musique faite de mélodies très développées, soumises à des changements d’harmonie très fréquents. Il est aussi le maître de la forme cyclique (càd. l’art de faire apparaître une mélodie dans différents mouvements d’une œuvre). Une modernité qui le rapproche de maîtres comme Liszt et Wagner et fera école auprès de toute une génération de compositeurs à sa suite.

Le Pater Seraphicus. Franck fut surnommé à la fin de sa vie le père Franck mais aussi le Pater Seraphicus, en raison de son attitude paternelle et bienveillante à l’égard de ses élèves au Conservatoire de Paris. Parmi eux, des dizaines de futurs grands compositeurs, catalogués souvent sous l’appellation de franckistes : Chausson, Duparc, Vierne, Tournemire, Pierné, Lekeu et surtout Vincent d’Indy, fondateur à Paris en 1896 de la Schola Cantorum, un lieu d’enseignement de la musique sacrée qui reprend en partie les préceptes pédagogiques de Franck ! Après sa mort, Franck fait l’objet d’un véritable culte au sein de la Schola qui sacralise tant la personne que la musique du compositeur liégeois.

Une notoriété à plusieurs échelles. Avec André-Modeste Grétry, César Franck est le compositeur liégeois qui a le plus marqué l’histoire de la musique. Sa notoriété est avérée à plusieurs échelles.

    • Celle d’une ville, Liège, qui le vit naître, où il reçoit sa formation de 1831 à 1835 dans un Conservatoire fraîchement inauguré (1827). Sa maison natale existe toujours (l’hôtel de Grady) tout comme l’église où il fut baptisé (Sainte-Croix). Après son départ pour la France, Franck demeurera attaché toute sa vie à sa ville natale et restera en contact avec ses habitants, à commencer par le violoniste Eugène Ysaye ou le chef d’orchestre Sylvain Dupuis.
    • Celle d’un pays, la France, où il vivra plus d’une cinquantaine d’années. Il s’y fait connaître comme pianiste prodige dans le Paris de Balzac, comme organiste sous le Second Empire et finit sa carrière comme compositeur et pédagogue sous la IIIe République.
    • Celle de l’Europe. Franck en est l’incarnation en tant que musicien de souche hollandaise et germanique, devenu Français de Belgique et qui comme Chopin, Liszt, Meyerbeer ou Rossini, s’est retrouvé à Paris pour élever la musique à un degré de cosmopolitisme jusqu’alors inconnu dans l’Europe musicale.
    • Et au-delà… Son œuvre orchestrale, sa musique pour piano, ses pièces pour orgue, sa musique de chambre sont encore interprétées sur tous les continents. La Symphonie en ré mineur fait partie des incontournables de tout grand orchestre international.

Extraits du dossier de presse de l’OPRL

Hôtel de Grady, rue Saint-Pierre à Liège

Liège, la cité de son enfance. On peut suivre les traces du compositeur, de sa maison natale (l’Hôtel de Grady, ci-dessus) aux différents monuments et sculptures à sa gloire dans la ville, en passant par la rue César Franck  et par un coup d’œil aux partitions manuscrites conservées à la bibliothèque du Conservatoire Royal de Musique de Liège ou au Musée de la Vie Wallonne.


Musée Grand Curtius de Liège: un espace César Franck pour le bicentenaire du musicien liégeois

A Liège, un espace César Franck a été créé spécialement au musée Grand Curtius pour le bicentenaire de la naissance du musicien liégeois. Le jeune César Franck, pianiste prodige, donne ses premiers concerts à Liège à 13 ans. Il part ensuite faire carrière en France. Organiste, compositeur et professeur de musique, il finit par s’installer à Paris. Ami de Liszt et de Camille Saint-Saëns, il participe à la vie musicale française de la seconde moitié du 19ème siècle.

© Frank Dagonnier

Au Grand Curtius de Liège, la salle qui lui est consacrée présente la console de son orgue inauguré en 1859 :

Non seulement, c’est l’orgue de César Franck, mais cet orgue, c’est un Cavaillé-Coll, c’était le plus grand, le plus important facteur d’orgues français au 19ème siècle. C’était vraiment la Rolls-Royce des instruments

Tout Paris allait écouter ses improvisations

Il était titulaire des grandes orgues de Sainte Clothilde, donc tous les dimanches, il faisait évidemment les offices, et en plus, il improvisait. Tout le monde, tout Paris allait écouter ses improvisations avant les offices parce que César Franck improvisait, composait, et c’est sur cet instrument, sur le clavier que vous avez ici, que Franck a pu faire naître tous ses chefs d’oeuvre” poursuit Patrick Dheur.

Un manuscrit authentique et ses premiers devoirs

La salle présente également un manuscrit authentique de la main de César Franck: “Ce sont les Variations Symphoniques pour piano. Pour les personnes qui veulent vraiment voir l’écriture de Franck, ils pourront le voir” explique le pianiste et conférencier. A voir également, les premiers devoirs de César Franck : “Il avait 13 ans, il a été le premier élève à recevoir un premier prix de solfège du Conservatoire Royal de Liège, et ici, ce sont ses exercices de contrepoint et d’harmonie, où vous voyez la parfaite calligraphie de l’enfant qui s’applique. Ce sont des documents tout à fait exceptionnels évidemment qu’on peut sortir pour son bicentenaire“. [d’après RTBF.BE]


Carte postale de 1910 : César Franck © DR

[MUSICOLOGIE.ORG] FRANCK, César-Auguste-Jean-Guillaume-Hubert. Né à Liège le 10 décembre 1822, mort à Paris le 8 novembre 1890. Il est le fils de Marie-Catherine-Barbe Frings (1788-1860), née à Aachen, et de Nicolas-Joseph (1794-1871), peut-être musicien amateur, employé de la banque Fresart de Liège, né à Gemmenich (comme Aachen, ville des Pays-Bas, puis de Belgique en 1830). Son frère, Joseph Franck (1825-1891) est compositeur, violoniste, pianiste et organiste.

Le talent de César Frank (et de son frère) est tôt exploité par ses parents. Il entre au Conservatoire royal de Liège en 1831 où il obtient les premiers prix de solfège et de piano. Il a Jules Jalheau comme professeur de piano, Joseph Faussoigne, le directeur du Conservatoire, pour l’harmonie, et François  Prume pour le violon. En 1835, son père organise une série de concerts à Bruxelles, Liège et Aachen (Aix-la-Chapelle). La même année, la famille Franck s’installe à Paris, où César, après avoir pris des leçons avec Pierre-Joseph-Guillaume Zimmermann (piano), Antoine Reicha (harmonie et contrepoint), Hippolyte CoIlet (composition), entre au Conservatoire de Paris en octobre 1837. En 1842 son père le retire du conservatoire pour qu’il se consacre pleinement à une carrière de virtuose dans des répertoires à la mode.

En 1846, son oratorio Ruth est accueilli avec froideur. Cette même année commence la liaison avec une de ses élèves, Eugénie-Félicité-Caroline Saillot (1824-1918), dont le père est acteur (retraité) à la Comédie-Française sous le nom de théâtre Desmousseaux (elle est aussi artiste), leur demeure (59 rue du Faubourg Montmartre) lui est ouverte. Le père de Franck est violemment opposé cette relation, en vertu de la loi, il peut empêcher cette union jusqu’aux vingt-cinq ans de son fils, il a même détruit le manuscrit de l’Ange et l’enfant, sur un poème de Jean Reboul, que César Franck avait dédicacé à la jeune femme.

César Franck quitte le domicile familial, se fixe à Paris et trouve du travail comme organiste et professeur. Il est organiste à Notre-Dame-de-Lorette en 1847. Le 22 février 1848 il se marie avec Eugénie-Félicité à Notre-Dame de Lorette. Ils élèveront trois enfants Georges (1848-1910), Marie Josèphe Geneviève (1849-1850), Germain, (1853-1912) et Paul Eugène (1856-1859). Il est organiste à Saint-Jean-Saint-François du Marais en 1851. En 1857 il est titulaire du nouvel orgue Cavaillé-Coll de Sainte-Clotilde. Les improvisations qu’il donne après les offices attirent rapidement le public. De ces concerts il compose les Six pièces, achevées en 1862.

Il commence à attirer des élèves de la bourgeoisie qu’on appelle “la bande à Franck” : Henri Duparc, Arthur Coquard, Albert Cohen.

Dans les années 1870, il produit une riche série de compositions qui comprend des oratorios, des symphonies, et un opéra, Hulda. En 1872, il succède à Benoist et reprend la classe d’orgue et d’improvisation du Conservatoire de Paris, et a Vincent D’Indy comme élève de 1873 à 1875. En 1876, il postule sans succès pour le poste de professeur de composition, de même en 1877 et 1880. Souffrant d’emphysème, son état s’aggrave brutalement début juillet 1890, quand sa calèche est heurtée par un omnibus.

Ses élèves, Vincent d’Indy en tête, lui ont construit une image de dévot éthéré qui l’a desservi. Son œuvre remarquable, surtout à partir de 1870, marque les recherches sur la cohérence musicale dans la durée, nécessaire aux poèmes symphoniques et aux grandes œuvres en un mouvement.

On lui attribue l’invention sinon la banalisation de la forme dite cyclique, qui consiste non pas à développer le thème par fragmentation et recomposition, mais à le répéter, avec des formules secondaires, dans tous les mouvements.

César Franck jouant de l’orgue. (d’après un tableau de Jeanne Rongier, détail)
Catalogue des œuvres
    • 1834, opus 5, Variations brillantes sur l’air Pré aux clercs, pour orchestre, existe en version piano),
    • 1834, opus, 6, Grand trio, pour piano, violon et violoncelle,
    • 1834-1835, opus 8, Variations brillantes sur la ronde favorite de Gustave III, piano et orchestre,
    • 1835, Blond Phébus, chant et piano (attribution incertaine),
    • 1835, Grand Chœur, pour orgue,
    • 1835, O salutaris, pour chœur et orgue,
    • 1835, opus10, Grande sonate pour piano n° 1,
    • 1835, opus 11, Grand concerto pour piano et orchestre n° 2, en sol mineur,
    • 1838, Notre Dame des orages, cantate sur un texte du comte de Pastouret, pour voix soliste et piano, perdu),
    • 1840, Gratias super gratiam, pour chœur et orgue,
    • 1840, Justus ut palma florebit, pour basse, chœur et orgue,
    • 1840, Laudate pueri, pour chœur et orgue,
    • 1840, opus 13, Grande symphonie n° 1, en sol majeur,
    • 1840, Sinite parvulos, pour voix soliste et orgue,
    • 1840, Tunc oblati sunt, pour chœur et orgue,
    • 1841, opus 1 n° 2, Trio concertant n° 2, pour piano, violon et violoncelle,
    • 1841, opus 1, n° 1, Trio concertant n° 1, pour piano, violon et violoncelle,
    • 1841, opus 14, Fantaisie n° 2, pour piano,
    • 1841, opus 15, 2 Mélodies, pour piano,
    • 1841, opus 18, Sonate n° 2, pour piano,
    • 1841, opus 12, Grande fantaisie n° 1, pour piano,
    • 1841, opus19, Grande fantaisie n° 3, pour piano,
    • 1841, Polka, pour piano,
    • 1842, 4, Duo n° 1, pour piano 4 mains sur God save the King,
    • 1842, opus 1 n° 3, Trio concertant n° 3, pour piano, violon et violoncelle,
    • 1842, opus 2, Trio concertant n° 4, pour piano, violon et violoncelle,
    • 1842, opus 3, Églogue, (Hirtengedicht), pour piano,
    • 1842-1843, Le sylphe, Je suis un sylphe, texte de Alexandre Dumas père, pour voix de femme et piano et violoncelle,
    • 1842-1843, L’émir de Bengador, Si tu savais que je t’adore, texte de J. Méry, pour voix de femme et piano,
    • 1842-1843, Ninon, Ninon ! que fais-tu de la vie !, sur un texte d’Alfred de Musset, pour voix de femme et piano,
    • 1842-1843, Robin Gray, Quand les moutons sont dans la bergerie, texte de J. P. de Florian, pour voix de femme et piano,
    • 1842-1843, Souvenance, Combien j’ai douce souvenance, sur un texte de Chateaubriand, chant pour voix de femme et piano,
    • 1843, opus 5, Grand caprice n° 1, pour piano
    • 1843, opus 6, Andantino quietoso, pour piano et violon, dédicacé à M. le comte de Montendre,
    • 1843, opus 7, Souvenir d’Aix-la-Chapelle, pour piano, dédicacé à Mlle Cécile La-chambre,
    • 1843-1846, Ruth, églogue biblique en 3 parties, texte biblique avec des additions de A. Guillemin, pour solistes, chœur et orchestre,
    • 1844, Deux Mélodies à Félicité, pour piano,
    • 1844, opus 10, Solo de piano, sur un thème de Ruth, avec accompagnement de quintet à cordes [perdu],
    • 1844, opus 11, Grande fantaisie n° 1, pour piano, sur des motifs de l’opéra Gulistan de Nicolas-Marie Dalayrac,
    • 1844, opus 12, Fantaisie n° 2, pour piano, sur l’air et le virelai Le point du jour, extrait de l’opéra Gulistan de Nicolas-Marie Dalayrac,
    • 1844, opus 13, Fantaisie, pour piano [perdu],
    • 1844, opus 14, Duo n° 1, pour piano et violon concertants sur des motifs de l’opéra « Gulistan » de Nicolas-Marie Dalayrac,
    • 1844, opus 8, Quatre Mélodies de Schubert transcrites pour le piano (Die junge Nonne, La jeune religieuse ; Die Forelle, La truite ; Des Madchens Klage, Les plaintes de la jeune fille ; Das Zugenglockein, La cloche des agonisants),
    • 1844, opus 9, Ballade, pour piano,
    • 1844, Stradella, opéra en 3 actes sur un livret d’E. Deschamps,
    • 1845, Ave Maria, pour chœur,
    • 1845, opus 15, Fantaisie pour piano, sur deux airs polonais, dédicacé à A. S. A. Mme la princesse de Ligne néé Lubomirska,
    • 1845, opus 16, Trois Petits riens, pour piano (Duettino ; Valse ; Le Songe)
    • 1845-1847, Ce qu’on entend sur la montagne, poème symphonique d’après Victor Hugo,
    • 1846, L’ange et l’enfant, Un ange au radieux visage, texte de Jean Reboul, pour mezzo-soprano ou baryton et piano,
    • 1846, opus 17, Duo n° 2, pour piano 4 mains, sur le quatuor Lucile de André-Ernest-Modeste Grétry,
    • 1848, Hymne à la patrie, pour une voix avec orchestre,
    • 1849, Aimer, J’entendais sa voix si touchante, sur un texte de J. Méry, pour pour voix de femme et piano,
    • 1849, Sub tuum, pour deux voix,
    • 1850, O gloriosa, pour trois voix,
    • 1851-1853, Le valet de la ferme, opéra comique en 3 actes sur un livret d’A. Royer et G. Vaëz
    • 1852, Les trois exilés, Quand l’étranger envahissant la France, texte de B. Delfosse, chant national pour voix de basse ou baryton et piano,
    • 1857, S’il est un charmant gazon, sur un texte de Victor Hugo, pour voix de femme et piano,
    • 1858, Accompagnement d’orgue et arrangement pour les voix, des offices en chant grégorien restauré par le Père Lambilotte,
    • 1858, Andantino en sol mineur, pour grand orgue,
    • 1858, Ave Maria, duo pour soprano et basse et orgue,
    • 1858, Cinq Pièces pour harmonium (Offertoire, Petit offertoire, Verset, Communion),
    • 1858, Messe solennelle, pour basse solo et orgue,
    • 1858, O salutaris, duo pour soprano et ténor ou mezzo-soprano et orgue,
    • 1858, O salutaris, solo pour soprano et chœur et orgue
    • 1858, Tantum ergo, pour basse solo et chœur mixte ad lib, et orgue,
    • 1858, Tendre Marie, cantique,
    • 1858-1863, L’organiste, 2e volume : 30 Pièces pour orgue ou harmonium,
    • 1859, 3 Antiennes, pour orgue,
    • 1859, Le garde d’honneur, cantique au Sacré-Coeur, sur un texte anonyme, pour solo et 2 voix de femmes avec clavier,
    • 1860, Cantique de Moïse, pour chœur et piano,
    • 1860, Messe à trois voix, en fa dièse mineur, pour soprano, ténor et basse, orgue, harpe, violoncelle et contrebasse
    • 1860, opus 16, Fantaisie pour orgue, Poco lento,
    • 1860, opus 20, Prière, pour orgue,
    • 1860-1862, opus 17, Grande pièce symphonique pour orgue, dédiée à M. CH. Valentin Alkan,
    • 1862, opus 18 n° 3, Prélude, fugue et variation, en si mineur, pour orgue (version Franck-Friedman pour piano en 1873 ; version pour piano avec doigtés)
    • 1862, opus 21, Final, pour orgue, si bémol majeur,
    • 1862, opus 22, Quasi marcia, en fa dièse mineur, pour harmonium,
    • 1863, 44 petites pièces pour orgue ou harmonium,
    • 1863, Ave Maria, pour soprano, ténor et basse et orgue,
    • 1863, opus 19, Pastorale, pour orgue, Andantino, mi majeur,
    • 1865, La tour de Babel, cantate pour solistes, chœur et orchestre,
    • 1865, Les plaintes d’une poupée, mélodie pour piano, dédicacées à Mlle Gabrielle (Eschger),
    • 1865, Plainte des israélites, cantate pour chœur et orchestre,
    • 1869, Marlborough, pour chœur et orgue, piano, violoncelle, contrebasse et 4 mirlitons,
    • 1869-1879, Les Béatitudes, oratorio pour solistes, chœur et orchestre d’après l’Évangile selon saint Matthieu adapté par Mme Joséphine-Blanche Colomb,
    • 1870, Paris, ode patriotique pour voix avec orchestre (orchestré par B. de L.),
    • 1871, Dextera Domini, offertoire, pour le saint jour de Pâques, pour soprano, ténor et basse avec orchestre ou orgue et contrebasse,
    • 1871, Domine Deus in simplicitate, offertoire, pour les premiers dimanches du mois, pour soprano, ténor et basse et orgue et contrebasse,
    • 1871, Domine non secundum, offertoire, pour un temps de pénitence, pour soprano, ténor et basse et orgue,
    • 1871, Le mariage des roses, Mignonne, sais-tu, sur un texte d’Eugène David, pour voix de femme et piano,
    • 1871, Offertoire sur un air breton, pour harmonium,
    • 1871, Patria, ode patriotique sur un texte de Victor Hugo, pour voix avec orchestre,
    • 1871, Quae est ista, offertoire, pour les fêtes de l’Assomption, de la Conception et du mois de Marie, pour solistes et chœur mixte à 3 voix avec orchestre ou orgue, harpe et contrebasse,
    • 1871, Quare fremuerunt gentes, offertoire, pour la fête de sainte Clothilde, pour soprano, ténor et basse et orgue et contrebasse,
    • 1871, Rédemption, poème symphonique sur un texte d’Edouard Blau, pour soprano, chœur de femmes, et récitant avec orchestre (1re version),
    • 1872, Panis angelicus, pour ténor et orgue, harpe, violoncelle et contrebasse,
    • 1872, Passez, passez toujours, Depuis que j’ai mis ma lèvre à ta coupe encore pleine, sur un texte de Victor Hugo, pour voix de femme et piano,
    • 1872, Roses et papillons, sur un texte de Victor Hugo, pour voix de femme et piano,
    • 1872, Veni Creator, duo pour ténor et basse et orgue, Quasi largo, mi♭majeur, dédicacé à MM. Vergnet et Menu,
    • 1873, Pour moi sa main cueillait des roses, Lucien Paté, pour voix de femme et piano,
    • 1874, Rédemption, poème symphonique sur un texte d’Édouard Blau, pour soprano, chœur de femmes, chœur mixte et récitant avec orchestre (2e version),
    • 1875, Le philistin mordra la poussière, pour chœur et piano,
    • 1875, Léonore, poème symphonique de Henri Duparc arrangé pour piano à 4 mains,
    • 1876, Les éolides, poème symphonique, d’après Leconte de Lisle,
    • 1878, Cantabile, pour orgue,
    • 1878, Fantaisie, pour orgue,
    • 1878, Pièce héroïque, pour orgue,
    • 1878-1879, Quintette en fa mineur, pour piano, 2 violons, alto et violoncelle
    • 1879, Le vase brisé, Le vase où meurt cette verveine, texte de Sully-Prudhomme, voix et piano,
    • 1880, Ernelinde, princesse de Norvège, tragédie lyrique en 3 actes et un prologue, sur un livret de François-André Danican-Philidor,
    • 1880, Le bûcheron, opéra, en 1 acte, sur un livret de François-André Danican-Philidor,
    • 1880, Tom Jones, opéra, en 3 actes, sur un livret de François-André Danican-Philidor,
    • 1881, Rebecca, scène biblique sur un texte de Paul Collin, pour solistes, chœur et orchestre,
    • 1882, Le chasseur maudit, poème symphonique, d’après G. Bürger,
    • 1882-1885, Hulda, opéra en 4 actes et un épilogue, légende scandinave d’après Bjoernstjerne Bjørnson, sur un livret de Charles Grandmougin, créé à Monte Carlo le 4 mars 1894,
    • 1884, Les djinns, poème symphonique, d’après Victor Hugo, pour piano et orchestre,
    • 1884, Nocturne, O fraîche nuit !, texte de Louis de Fourcaud, pour voix voix et piano,
    • 1884, Prélude, choral et fugue, en si mineur, pour clavier,
    • 1885, Danse lente, pour piano,
    • 1885, Variations symphoniques, pour piano et orchestre,
    • 1886, Sonate en la majeur, pour violon et piano,
    • 1886-1887, Prélude, aria et final, en mi majeur, pour piano, dédicacé à Mme Bordes-Pêne,

    • 1886-1888, Symphonie en ré mineur,
    • 1887, Pour les victimes, Sous les décombres entassés, mélodie pour une voix et piano,
    • 1887-1888, Psyché, poème symphonique pour chœur et orchestre sur un texte de Sicard et Louis de Fourcaud,
    • 1888, 6 Duos, pour voix égales pouvant être chantés en chœur et piano, e.a. sur des textes de Mme. L. Desbordes-Valmore, Guy Ropartz, A. Theuriet,
    • 1888, Cantique, pour chœur et cor obligé,
    • 1888, Hymne, Source ineffable de lumière, sur un texte de Jean Racine, chœur pour 4 voix d’hommes et piano,
    • 1888, La procession, Dieu s’avance à travers les champs, mélodie pour voix et orchestre sur un texte de A. Brizeux.
    • 1888, Les cloches du soir, Quand les cloches du soir, pour voix et piano, sur un texte de Mme. L. Desbordes-Valmore,
    • 1888, Premier sourire de mai, texte de Victor Wilder, Au premier sourire, petit chœur pour 3 voix et piano,
    • 1888, Psaume 150, Louez le Dieu, caché dans ses saints tabernacles, pour chœur avec orchestre et orgue,
    • 1888-1890, Ghisèle, drame lyrique en 4 actes, livret de G.-A. Thierry, créé à Monte Carlo le 30 mars 1896 [acte 1 orchestré par Franck ; acte 2 par P. de Bréville, Vincent d’Indy et Chausson ; acte 3 par S. Rousseau ; acte 4 par A. Coquard],
    • 1889, Andantino, pour orgue,
    • 1889, Préludes et prières de Charles-Valentin Alkan, arrangées pour orgue,
    • 1889, Quatuor en ré majeur, pour 2 violons, alto et violoncelle, dédicacé à Léon Reynier,
    • 1889-1890, L’organiste, 1er volume, Recueil de 59 pièces pour orgue ou harmonium,
    • 1890, Choral, pour orgue, si mineur,
    • 1890, Choral, pour orgue, mi majeur,
    • 1890, Choral, pour orgue, la mineur,
    • 1890, Suite, en la majeur ou sol dièse mineur, pour harmonium,
    • sd., Hymnes harmonisées à 3 voix mixtes et orgue,
    • sd., Mélancolie, pour violon et piano (d’après une leçon de solfège, publiée en 1911),
    • Collection de quelques pièces pour harmonium ou piano : dont Les plaintes d’une poupée, Chant de la Creuse, Chant béarnais, Noël angevin, Prélude pour l’Ave Maris Stella, Canon en si mineur, Danse lente, Canon en ré bémol.

[INFOS QUALITE] statut : validé | sources : farde de presse OPRL.BE ; RTBF.BE ; MUSICOLOGIE.ORG ; OUTHERE-MUSIC.COM | mode d’édition : partage, correction, compilation et documentation | contributeur : Patrick Thonart | crédits illustrations : © Dominique Houcmant, © Frank Dagonnier


Savoir écouter encore…

Splendeur et misère du hula

Temps de lecture : 7 minutes >

L’histoire du hula est intimement mêlée à celle de Hawaii, son évolution suit celle du pouvoir politique ainsi que les mutations de la société. La situation de la danse avant la découverte des îles par les Européens demeure bien évidemment inconnue, faute de témoignages écrits ou iconographiques. Seuls les récits des premiers explorateurs, dont James Cook qui découvrit l’archipel en 1778, permettent d’appréhender la réalité. Cook lui-même n’a pu assister à une cérémonie de hula, il écrit : “Nous ne vîmes pas les danses dans lesquelles ils se servent de leurs manteaux et bonnets garnis de plumes ; mais les gestes des mains que nous vîmes à d’autres occasions, quand ils chantaient, nous montrèrent qu’elles doivent ressembler à celles des îles méridionales,  bien qu’il y ait moins d’art dans leur exécution. “

Ce n’est qu un demi-siècle plus tard, avec Willlam Ellis, que vont apparaître les premières descriptions de la danse et que le terme de hula, alors transcrit “hura“, va faire son apparition dans la langue anglaise. La danse et le chant, qui composent le hula, forment un tout indissociable, à caractère sacré. La danse ne constitue donc pas un divertissement, accessible à tous, mais bien un rite, confié à un corps de danseurs spécialement éduqués et entraînés, soumis à la stricte observance de tabous (kapu, en hawaiien). Si, à l’origine, les interprètes étaient aussi bien des hommes que des femmes, seuls les hommes pouvaient pratiquer le hula durant les cérémonies du culte au temple. Ce n’est que plus tard, lorsque les guerres, puis les cultures, occupèrent trop les hommes pour leur permettre de consacrer les années d’entraînement rigoureux nécessaires à la formation d’un danseur de hula, que les femmes prirent leur place.

Nathaniel B. Emerson fait le récit d’une scène d’initiation de danseurs de hula ; ainsi découvre-t-on que, le jour précédent son admission dans la corporation, peu avant minuit, le danseur se plongeait, en compagnie des autres, dans l’océan. Ce “bain de minuit” était soumis à un rituel bien particulier : la nudité totale, considérée comme “l’habitat des dieux“, était requise et, à l’aller comme au retour, il n’était permis que de regarder devant soi; se retourner, regarder à gauche ou à droite était formellement proscrit.

Les dieux auxquels les danses étaient consacrées, dans l’espoir de se les concilier, étaient nombreux mais, parmi ce panthéon, Laka était considérée comme la protectrice (“au-makua“) du hula ; des sacrifices lui étaient offerts, des prières et des chants lui étaient dédiés qui révèlent l’étendue de son domaine : “Dans les forêts, sur les crêtes des montagnes se tient Laka, Séjournant à la source des brumes, Laka, maîtresse du hula…”

Le terme de hula est en fait un terme générique, regroupant une variété de styles dont le nom évoque généralement les gestes ou les instruments utilisés. Ainsi, par exemple, en est-il du hula kala’au, les kala’au étant des bâtons de bois, de longueurs inégales, que l’on frappe l’un contre l’autre. William Ellis en donne une description précise : “Cinq musiciens avancèrent d’abord, chacun avec un bâton dans la main gauche, de cinq ou six pieds de long, environ trois ou quatre pouces de diamètre à une extrémité et se terminant en pointe de l’autre. Dans sa main droite, il tenait un petit bâton de bois dur, de dix à neuf pouces de long, avec lequel il commença sa musique, en frappant le petit bâton sur le grand, battant la mesure tout le temps avec son pied droit sur une pierre, placée sur le sol, à côté de lui, dans ce but. “

Autre danse décrite par Ellis, le hula solennel ou hula ‘ala’apapa est accompagné du ipu huta, “une grande calebasse, ou plutôt deux, une de forme ovale d’environ trois pieds de haut, l’autre parfaitement ronde très soigneusement attachée à celle-ci, ayant aussi une ouverture d’environ trois pouces de diamètre au sommet”, toujours selon Ellis. On peut encore citer le hula noho i lalo (danse assise), le hula pa’i umauma (où l’on frappe sur une caisse), le hula pahu (danse du tambour), le hula kuolo (danse agenouillée), le hula’uli ‘uli…

Les instruments le plus couramment utilisés sont donc les bâtons de bois (kala’au), la calebasse (ipu hula), le tambour (pahu hula) composé d’un rondin évidé sur lequel est tendue une peau de requin, la gourde-hochet (‘uli’uli), les bracelets en dents de chiens (kupe’e niho ‘ilio), le bambou (pu’ili)… En fait, les trois grandes familles d’instruments sont représentées par les quelque dix-sept instruments dénombrés par les musicologues.

Le roi David Kalakaua devant Iolani Palace (Honolulu) © fr.m.wikipedia.org

Intimement liée à la religion, la danse va suivre son déclin. La société hawaiienne, soumise à un système de kapu strict, va progressivement connaître une mutation. Kamehameha Ier avait réussi pour la première fois l’unification de l’archipel (vers 1795), accroissant son prestige et celui de la fonction royale. À un système politique fort et autoritaire correspondait une religion omniprésente aux mains d’un clergé puissant ; le roi est alors assimilé aux divinités. À la mort de Kamehameha Ier, en 1819, son fils Liholiho règne sous le nom de Kamehameha II. Le jeune roi est soumis à la pression de sa mère et de l’épouse favorite du roi défunt, Kaahumanu, qui cherchaient à affaiblir le pouvoir des prêtres. En effet, la religion est un obstacle à l’ambition de ces femmes, puisque les kapu les excluent, notamment, des débats politiques. Ainsi Kamehameha II décidera-t-il l’abandon de la religion de ses ancêtres et ceci avant même l’installation des premiers missionnaires. Ces derniers, à leur arrivée, trouveront donc une société en pleine mutation, à la recherche de nouvelles valeurs et s’implanteront d’autant plus facilement.

Les missionnaires vont introduire les chants religieux, les hymnes qui vont séduire les Hawaiiens pour qui ce type d’harmonie est inconnu. Les hommes d’église vont jouer de cette fascination pour mieux introduire leur religion ; les Hawaiiens vont apprendre ces hymnes (appelés par eux himeni) par cœur, avec l’influence que l’on devine sur leurs compositions musicales ultérieures et même sur l’orchestration des hula traditionnels. De plus, les missionnaires vont user de leur influence pour interdire le hula, jugé obscène en raison de la lascivité de certains de ses gestes.

A partir de cet instant, l’occidentalisation de la musique hawaiienne est inéluctable : de nouveaux instruments sont introduits par les immigrants (la guitare, venant de la côte ouest des États-Unis, la braguinha, venant de Madère, et désormais appelée ukulele) Cet instrument, qui passe pour typiquement hawaiien, est donc une importation récente. Le roi Kamehameha V lui-même décide de s’attribuer un orchestre royal à l’instar des souverains européens ; il demande au gouvernement prussien de lui envoyer un chef-d’orchestre confirmé : c’est ainsi que Heinrich Wilhelm Berger débarque à Hawaii, en 1872. Berger, naturalisé Hawaiien en 1879 et surnommé le “Père de la musique hawaiienne”, va arranger à l’occidentale de nombreux chants hawaiiens et composer bon nombre d’œuvres “dans le style hawaiien”, achevant le processus d’occidentalisation de la musique.

C’est également dans la seconde moitié du XIXe siècle que va affluer la main-d’oeuvre d’origine étrangère, en raison notamment de l’essor de la production du sucre. En effet, les Hawaiiens considéraient qu’ils avaient assez de terres pour satisfaire leurs propres besoins. Le labeur monotone des plantations ne les attirait nullement ; ainsi décida-t-on de faire venir des Chinois en leur offrant des contrats de travail à long terme. Il en ira de même des Japonais, des Philippins, des Portugais… Les mariages mixtes vont très vite se multiplier et Hawaii va devenir une société pluri-culturelle, perdant aussi de son identité.

Le règne de David Kalakaua (1874-1891) se caractérise par une “renaissance hawaiienne”. Le roi, soucieux de ses prérogatives, fait promulguer une nouvelle constitution qui restaure l’autorité royale. De même, il suscite un retour aux valeurs hawaiiennes traditionnelles. Sous son règne, le hula, agonisant parce que jugé obscène par les missionnaires, ressuscite. Un pan entier de la culture hawaiienne est néanmoins à jamais perdu et, malheureusement, cette renaissance finira avec la disparition du souverain.

La reine Liliuokalani et la couverture de son oeuvre © homeyhawaii.com

Sa soeur, la reine Liliuokalani, est elle-même compositrice, mais elle opère une sorte de synthèse entre les thèmes hawaiiens anciens et les influences occidentales qui aboutit à une production assimilable à de la variété. Sa création la plus célèbre, Aloha Oe est un “hit” à Hawaii depuis plus de quatre-vingts ans. Malgré les conseils de son entourage, la reine Liliuokalani cherchera à poursuivre, sur le plan politique, le projet de son frère : renforcer le pouvoir royal. Les Américains, dont les intérêts financiers dans le royaume sont d’importance, voient cela d’un mauvais œil. En janvier 1893, avec l’aide des marines, un groupe de citoyens américains renverse la reine et la contraint à abdiquer. Un gouvernement provisoire est constitué par des citoyens américains, qui proclame la république. Le 14 juin 1900, Hawaii devient, malgré elle, un territoire américain.

L’américanisation achèvera l’acculturation : désormais, c’est le jazz qui domine la scène musicale et les airs traditionnels sont accommodés à cette sauce. Sur le continent américain, les danseurs de hula se produisent en attraction dans les music-halls et les cirques. Hollywood récupère le hula, dont elle fait un accessoire de sa machine à fabriquer du rêve. Elvis Presley interprétera le Aloha Oe de la reine Liliuokalani et, dans les années ’50, le hula va inspirer une nouvelle mode, celle du hula hoop (le terme fait son entrée dans la langue anglaise en 1958). Le 21 août 1959, Hawaii devient le cinquantième état des Etats-Unis.

Il faut attendre les années ’70 pour voir se dessiner une réaction à cette acculturation massive. De jeunes Hawaiiens cherchent à retrouver les chants et les gestes de leurs ancêtres et, en quête d’authenticité, questionnent les anciens. C’est seulement à cette époque que les mouvements corporels retrouvent de cette lascivité qui les avait fait proscrire par les missionnaires. Mais faute de témoignages suffisants, ces reconstitutions, comme celles de l’époque de Kalakaua, sont hypothétiques. Aussi d’aucun préfèrent-ils créer de nouvelles chorégraphies, inspirées de la tradition ; par exemple, une nouvelle version de la cérémonie d’initiation est instituée, basée en partie sur les récits d’Emerson. Cela atteste néanmoins d’une volonté, de la part d’une population jeune, devenue minoritaire sur le territoire de ses ancêtres, de retrouver son identité et d’en assurer la pérennité.

Parallèlement, le développement du tourisme, devenu la première source de revenu de l’archipel, favorise l’éclosion de spectacles soi-disant traditionnels ; on assiste ainsi à une évolution paradoxale : d’une part des spectacles “grand public” livrant une imagerie hollywoodienne et, d’autre part, de nouvelles écoles de hula cherchant à retrouver une gestuelle et, partant, une philosophie proches de la tradition.

Philippe Vienne

  • Image en tête de l’article : danseuse hawaiienne, années ’60 © Alan Houghton
  • Cet article est une version remaniée d’un article publié dans la revue “Art&fact” n°11 (1992), sous le titre “Le Hula, splendeur et misère de la danse à Hawaii“, où l’on trouvera les notes et références bibliographiques.
  • Plus de Hawaii sur wallonica.org…

[INFOS QUALITE] statut : publié | mode d’édition : transcription, droits cédés | source : Philippe Vienne | commanditaire : wallonica | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : Alan Houghton ; homeyhawaii.com ; fr.m.wikipedia.org


Plus d’arts de la scène…

RTBF.BE : François de Roubaix, l’aventurier des sons

Temps de lecture : 4 minutes >

Disparu il y a 46 ans, François de Roubaix aurait fêté cette année ses 82 ans. Compositeur, multi-instrumentiste et pionnier en matière de sons dans les années 70, François de Roubaix composait déjà ses bandes-son dans son “home studio”. Des sons parfois bizarres sortis des premiers synthés.

Musicien autodidacte, féru de jazz, toujours à l’affût de nouvelles sonorités, François de Roubaix a innové dans le domaine de la musique de films en utilisant des instruments exotiques, en expérimentant des musiques électroniques : le premier à utiliser un modulateur de fréquences dans ses compositions, à travailler en home studio, jouant et enregistrant tous les instruments d’une même partition sur son multipiste. L’exemple le plus connu est celui de La Scoumoune film de José Giovanni (1972) qu’il a entièrement joué et enregistré seul dans son appartement de la rue de Courcelles à Paris.

François de Roubaix, décédé à l’âge de 36 ans d’un accident de plongée aux Canaries, a laissé un grand vide dans le monde musical français. Il a pourtant eu le temps dans cette courte vie d’écrire de nombreuses partitions pour des réalisateurs tels Robert Enrico, José Giovanni ou encore Jean-Pierre Melville. Et il a eu le temps de nous imprégner de sa musique avec des thèmes que l’on chante encore actuellement sans savoir que ce sont des airs de François de Roubaix.

Sa bande-son qui lui valut un César posthume est celle du film dramatique, Le Vieux fusil de Robert Enrico avec Philippe Noiret (César du meilleur acteur) et Romy Schneider en 1975. Quelle ironie du sort. C’est son père, Paul de Roubaix, qui est venu chercher le trophée.

Ecologiste avant l’heure, François de Roubaix aimait la mer, les océans qui l’ont emporté, et la nature pour laquelle il a écrit également de nombreuses partitions telles L’Antarctique réédité en LP. Aujourd’hui ses mélodies sont aussi connues des nouvelles générations, grâce notamment aux rééditions en CD ou LP, mais aussi aux musiciens actuels qui “samplent” et mixent François de Roubaix. Son Dernier domicile connu a été samplé par Robbie Williams, Carl Craig, ou Lana del ReyVincent Delerm lui a rendu en 2008 un bel hommage avec sa chanson, Et François de Roubaix dans le dos.

Sa musique nous parle toujours. Et nous, on en parle avec beaucoup d’admiration ! De quoi se remémorer ses plus célèbres BO que vous fredonnerez certainement [RTBF.BE]. Pour le cinéma :

François de Roubaix a également composé pour la télévision (souvenez-vous : Chapi Chapo !) et sa musique a accompagné pas mal de courts-métrages


Plus de musique ?

WALDRON : No more Tears (1997)

Temps de lecture : < 1 minute >

WALDRON Mal (1925-2002), No more Tears (Jeanne LEE, voc.) :

Dernièrement, c’est en compagnie d’une autre grande figure singulière, la chanteuse Jeanne Lee, que Waldron a poursuivi sa quête introspective. La voix la plus secrète du jazz, sans doute, tout en cris suspendus et chuchotements, étirant immensément le temps de son souffle tenu ; et Waldron, fantomatique, toujours plus en retrait, toujours plus incisif dans l’épure de ses interventions, offrant du temps au temps en s’abandonnant sereinement à son flux, comme apaisé après toutes ces années. “C’est comme si j’avais toujours su que j’avais suffisamment de temps devant moi pour ne pas avoir à me dépêcher, pour pouvoir me répéter. C’est en prenant mon temps que j’ai exploré d’autres domaines de la musique. [LESINROCKS.COM]

L’album Soul Eyes (RCA Victor > BMG Ariola Belgium : 74321 538872) a été enregistré en studio en 1997 près d’Anvers (BE), à Schelle, à l’occasion du Jazz Middelheim (Anvers, BE) pendant lequel Waldron fêtait son anniversaire avec “sa” bande. Jeanne Lee -sombrement divine dans ce No More Tears– était descendue de La Haye où elle enseigne et Abbey Lincoln avait joué les prolongations après son concert de la veille.

L’équipe :

      • Mal WALDRON, piano
      • Steve COLEMAN, saxophone alto
      • Andrew CYRILLE, percussions
      • Joe HENDERSON, saxophone ténor
      • Jeanne LEE, chant
      • Abbey LINCOLN, chant
      • Reggie WORKMAN, bass

D’autres incontournables du savoir-écouter :

WOODS : Sonate pour saxophone alto et piano

Temps de lecture : 3 minutes >

TELERAMA.FR (30 septembre 2015) – Le saxophoniste Phil Woods a rendu son dernier souffle. Brillant soliste et digne héritier de son idole Charlie Parker, le jazzman à l’élégante pureté de style est décédé hier, à 83 ans. A bout de souffle. Retour sur une carrière exemplaire, à tous les points de vue : artistique, professionnel et humain.

Après la mort de Charlie Parker qui fut son idole, Phil WOODS avait épousé la compagne de celui-ci et elle lui avait fait cadeau du saxophone alto de Bird, mais il ne s’en servit jamais, par délicatesse. Il était tout bonnement un maître de l’instrument, ayant commencé par admirer Benny Carter, puis Johnny Hodges, enfin Parker dont il assimila le vocabulaire sans jamais copier son style. Il se définissait lui-même comme un styliste, pas un novateur. Il prolongea l’esthétique bop en grande formation, avec Thelonious Monk, Oliver Nelson, Michel Legrand, Quincy Jones, Clark Terry, Dizzy Gillespie, et aussi en quartet et en quintet.

Comme il était parfait lecteur autant que brillant soliste, il conduisait une section de saxophones avec maestria et participa à d’innombrables sessions d’enregistrement. Ainsi, c’est sa sonorité si cristalline, si émouvante, que l’on entend dans la B.O. du chef-d’œuvre de Robert Rossen L’Arnaqueur (1961), une musique signée de Kenyon Hopkins ; c’est lui aussi qui prend le solo dans la chanson Have a good time de Paul Simon sur l’album de celui-ci Still crazy after all these years, en 1975, et sur Doctor Wu de Steely Dan (extrait de Katy Lied).

En quartet, une joie de jouer communicative

En 1960, après le désastre parisien de la comédie musicale Free and easy, dont Quincy Jones était le directeur musical, il fut chargé par celui-ci de diriger les saxophones dans le big band formé avec ses musiciens naufragés dans la capitale et qui, en petites formations improvisées, faisaient les beaux soirs du Chat-qui-pêche, rue de la Huchette. Ce fut le début de la carrière de Quincy Jones, lequel fut toujours reconnaissant à Phil Woods de sa fidélité et de son impeccable professionnalisme, dont l’album Birth of Band reste un superbe témoignage (avec par exemple The Gipsy).

Le saxophoniste épris de mélodie fit un temps de l’Europe sa base, créant une formation qui remporta un magnifique succès, l’European Rhythm Machine, avec George Gruntz puis Gordon Beck au piano, Henri Texier à la contrebasse et Daniel Humair à la batterie. Un swing intense, une inventivité jaillissante, une joie de jouer communicative caractérisaient ce quartet ébouriffant. Saxophone soliste plus rythmique plus solides arrangements étaient une configuration idéale pour Phil Woods.

Un concert mémorable au Théâtre de la Ville

Après l’expérience européenne, il la renouvela avec les Américains Steve Gilmore (contrebasse), Bill Goodwin (batterie), Bill Charlap ou Bill Mays (piano), l’élargissant parfois au quintet avec Brian Lynch à la trompette. Il aimait le son acoustique au point de se produire dans de grandes salles sans aucune amplification ; ainsi reste dans les mémoires un concert au Théâtre de la Ville à Paris qui sonna comme un manifeste du be-bop joué avec goût.

Dans ses dernières années, Phil Woods, soufflant impénitent, souffrit d’emphysème. On le vit au Duc des Lombards, le club parisien dont il assura en 2008 l’ouverture de la nouvelle formule, peinant parfois à reprendre souffle. Sa derrière apparition publique aura été, il y a un mois, une recréation des morceaux de Charlie Parker with strings avec des membres de l’orchestre symphonique de Pittsburgh et un appareil à oxygène. Cet éternel jeune homme avait 83 ans…

Michel CONTAT

  • L’article original de Michel Contat (avec pubs) est disponible sur TELERAMA.FR avec d’autres extraits musicaux de Phil Woods.
  • Le site officiel de Phil WOODS est ici…
  • Toots Thielemans a eu l’occasion de jouer avec Phil Woods et Quincy Jones.
Phil Woods a également composé une pièce délicieusement hybride intitulée Sonate pour saxophone alto et piano :


Ecouter encore…

 

BEACH, Amy (1867-1944)

Temps de lecture : 3 minutes >

Amy Beach est une compositrice née à la fin du XIXe siècle qui participera à la création d’un véritable style classique américain. Première compositrice américaine à avoir une symphonie publiée, elle tentera toute sa vie de donner conseils aux autres femmes désireuses de vivre de leur musique et participera à la création de la Société des Femmes Compositrices Américaines en 1925.

Première compositrice américaine à avoir une symphonie publiée

Née dans le New Hampshire aux Etats-Unis en 1867, Amy BEACH montre dès la plus tendre enfance un certain talent pour la musique, qu’elle découvre avec sa mère, pianiste et chanteuse amateur. C’est auprès de cette dernière qu’elle est initiée au piano avant de donner ses premiers récitals à sept ans. La famille s’installe à Boston en 1875 où Amy continue sa formation auprès des compositeurs Ernst Perabo ainsi que Carl Baermann tout en démarrant sa carrière de musicienne professionnelle. Elle épouse le docteur Harris Aubrey Beach en 1885 et ne se consacrera plus à la composition jusqu’au décès de son mari en 1910. Elle entamera alors une tournée européenne qui ne s’achèvera qu’à son retour dans le Nouveau Monde au début de la Première Guerre Mondiale.

Amy Beach est la première compositrice américaine à avoir une symphonie publiée. Sa Gaelic Symphony en mi mineur opus 32écrite en 1894, sera jouée et applaudie pour la première fois devant une audience en 1896, à Boston. Très certainement inspirée par les écrits d’Antonín Dvořák, alors directeur du Conservatoire national de New York, sur la musique américaine ainsi que son avenir qui résiderait dans la diversité de ses cultures populaires, Amy Beach s’inspire de vieilles musiques anglaises, écossaises ou encore irlandaises qui font écho à ses origines. C’est au fil des années qu’elle deviendra de plus en plus sensible et ouverte à la culture amérindienne et afro-américaine, incorporant certains chants traditionnels dans sa propre musique.

“One of the boys”

Le succès de cette symphonie est tel que le compositeur George Whitefield Chadwick lui écrit : “Je ressens toujours un frisson de fierté lorsque j’entends une belle nouvelle œuvre d’un d’entre nous, et en tant que tel, vous devrez être comptée, que vous le vouliez ou non, comme l’un des garçons.” Amy Beach fait partie de l’Ecole de Boston, un groupe de six compositeurs qui aurait contribué à la création d’un style musical classique proprement américain.

Parmi plus de 300 compositions publiées, de nombreuses chansons, du chant choral, un opéra en un acte, des œuvres pour piano, du répertoire de chambre mais aussi orchestral dans un style rempli de chromatismes, d’appoggiatures, des sixtes augmentées et d’évitements de la dominante empreint d’un romantisme tardif qui évoluera vers un style plus expérimental, s’éloignant de la tonalité pour jouer, par exemple, avec des gammes par tons.

A côté de son répertoire musical, Amy Beach écrira également pour des journaux et donnera conseil à de nombreux jeunes musiciens et compositeurs, particulièrement aux femmes. En 1925, elle participe à la création de la Société des Femmes Compositrices Américaines dont elle deviendra la présidente. Suite à des problèmes de santé, Amy Beach se retire de la vie musicale en 1940 et décédera quatre années plus tard.

[d’après RTBF.BE]


Descendante des premiers colons de la Nouvelle-Angleterre, Amy CHENEY, de son nom de jeune fille, étudie dans une école privée de Boston le piano et l’harmonie. Elle fait ses débuts comme pianiste professionnelle en 1883 dans un concerto d’Ignaz Moschele. En 1885, à l’âge de dix-huit ans, elle épouse un chirurgien de Boston, le docteur Henry Harris Aubrey BEACH, de vingt-cinq ans son aîné. Mettant de côté sa carrière de concertiste, elle se consacre à la composition sous le nom d’Amy Beach. Après des œuvres principalement dédiées au piano, elle se lance bientôt dans un projet ambitieux, une Messe, qui sera créée par la Haendel and Haydn Society of Boston en 1892. Amy Beach sera la première femme compositeur à être jouée par cet organisme. Après la mort de son mari en 1910, elle reprend activement sa carrière de concertiste et effectue une grande tournée en Europe qui s’achèvera en 1914, année où elle regagne les Etats-Unis et s’installe à New York.

Amy Beach a composé pour des genres aussi variés que la musique de chambre, le concerto, la sonate, la symphonie  ou encore l’opéra. On lui doit également de nombreuses mélodies pour voix et piano dans le style romantique.

Amy Beach en 5 dates :
      • 1883 :  Fait ses débuts de pianiste-concertiste à Boston ;
      • 1885 :  Epouse le docteur H.H.A. Beach ;
      • 1892 :  Première femme compositeur jouée par la Haendel and Haydn Society of Boston ;
      • 1896 :  Création de la Gaelic Symphony  sur des airs populaires irlandais par l’Orchestre Symphonique de Boston ;
      • 1914 :  S’installe définitivement à New York après une tournée en Europe.
Amy Beach en 6 œuvres :
      • 1890 : Grande Messe pour chœurs et orchestre, op. 5
      • 1897 : Symphonie gaélique  en mi mineur op. 32
      • 1907 : Quintette avec piano  en fa dièse mineur op. 67
      • 1923 : Peter Pan, pour chœur de femmes et piano op. 101
      • 1926 : Valse-fantaisie tyrolienne  op. 116
      • 1932 : Cabildo, opéra de chambre en un acte pour solistes, chœurs, récitant, violon, violoncelle et piano op. 149

[d’après FRANCEMUSIQUE.FR]

  • image en tête de l’article : Amy Beach © Library of Congress

[INFOS QUALITE] statut : actualisé | mode d’édition : compilation par wallonica.org  | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations :  Library of Congress |


LEGNINI, Eric (né en 1970)

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Eric Legnini est né en Belgique, le 20 février 1970, à Huy, près de Liège, dans une famille d’émigrés italiens. Un père guitariste amateur, une mère cantatrice, professeur de chant au Conservatoire municipal : le petit Eric est au piano dès l’âge de six ans et passe son enfance entre Bach et Puccini — l’architecture musicale portée à son plus haut degré d’abstraction incandescente et l’âme mise à nu dans la voix humaine transfigurée par le chant… Il lui faudra attendre le début des années 80 et la découverte d’un disque d’Erroll Garner pour entr’apercevoir d’autres horizons musicaux, notamment dans l’art du clavier…

Doué d’une excellente oreille, il réinvente au piano ces harmonies étranges saisies au vol et très vite se laisse prendre aux sortilèges du jazz — Eric a trouvé là son langage. Débute alors une intense période d’apprentissage. Avec la complicité d’un camarade de conservatoire, le batteur Stéphane Galland, puis bientôt de Fabrizio Cassol (deux musiciens qui bien des années plus tard seront à l’origine du groupe expérimental Aka Moon) Eric Legnini, embrassant dans une même soif de découverte toute l’histoire du jazz moderne et traditionnel, se fait rapidement son petit panthéon personnel : McCoy Tyner pour l’intensité dramatique, Chick Corea pour la lisibilité et la technique infaillible, et Keith Jarrett pour ses conceptions révolutionnaires en matière de relecture des standards. Toujours en compagnie de Stéphane Galland, il monte ses premiers groupes de jazz et de fusion, et dés le milieu des années 80 écume tous les clubs de la scène belge en quête de jam sessions où s’aguerrir, tous genres confondus…

C’est là qu’il rencontre, en 1987, l’une des grandes figures du jazz belge et européen, le saxophoniste Jacques Pelzer qui l’invite à jouer avec lui en duo puis à rejoindre sa formation. Une étape décisive et fondatrice qui oblige le jeune pianiste à approfondir sa connaissance du répertoire des standards et le propulse d’un coup au rang des sidemen les plus prometteurs de la jeune scène belge. Il enregistre alors son premier disque en leader pour le label Igloo, “Essentiels” et décide dans la foulée de partir étudier aux Etats-Unis.

On est en 1988, Eric a à peine 18 ans. Il restera deux ans à New York — le temps de prendre le pouls très funky de la mégapole (c’est l’avènement du rap de Public Enemy et Ice-T — l’autre grande passion de Legnini), de grappiller quelques cours à la Long Island University auprès de Richie Beirach, mais surtout de “faire le métier”, sur le tas, en participant chaque soir à des jam sessions homériques en compagnie de la fine fleur du jeune jazz de l’époque (Vincent Herring, Branford Marsalis, Kenny Garrett…). Très impressionné par le style précis et volubile de Kenny Kirkland, Legnini comprend par son truchement l’importance décisive d’Herbie Hancock dans l’histoire du piano jazz, et dès cet instant oriente de façon radicale son jeu dans le sens de ce free hard bop moderniste propre à l’esthétique Blue Note des années 60.

C’est sous la double influence de Kirkland et d’Hancock qu’Eric Legnini fait son retour en Belgique en 1990. Aussitôt nommé professeur de piano dans la section jazz du Conservatoire Royal de Bruxelles, il retrouve Jacques Pelzer avec qui il enregistre pour Igloo un nouveau disque, “Never Let Me Go”, et dans la foulée intègre l’orchestre de Toots Thielemans, accumulant à ses côtés, pendant presque deux ans, concerts et tournées dans le monde entier. Multipliant les projets tous azimuts (il commence dès cette période à travailler énormément en studio pour des séances de funk, de rap et de musiques électronique…), pilier incontournable désormais de la scène jazz belge, Eric Legnini voit sa vie basculer en 1992 lorsqu’il rencontre dans un club bruxellois, deux musiciens italiens, membres alors de l’ONJ de Laurent Cugny, le trompettiste Flavio Boltro et le saxophoniste Stefano Di Battista. L’entente est immédiate entre les trois hommes qui décident illico de travailler ensemble. Pourquoi ne pas monter un groupe et aller tenter sa chance à Paris ?

Fin 1993, c’est le grand saut. Di Battista et son orchestre partent à la conquête de la Capitale. Un répertoire séduisant, résolument hard bop ; une fougue, un talent et une joie de jouer particulièrement communicatifs : il ne leur faut que quelques mois pour enflammer les esprits et gagner leur pari. Aldo Romano les remarque, les prend sous son aile : le succès est fulgurant. Un premier disque “Volare” en 1997 pour Label Bleu, unanimement salué par la critique, finit d’établir ce tout jeune quintet comme “le nouveau groupe dont on parle”

C’est un nouveau départ pour Eric Legnini. Pianiste indispensable à l’équilibre du quintet (il demeurera jusqu’à l’album “Round About Roma”, paru en 2003, le fidèle compagnon du saxophoniste italien), Legnini voit rapidement sa réputation grandir auprès des autres musiciens.

Sollicité de toute part il débute des collaborations de longue haleine avec les frères Belmondo, Eric Lelann (“Today I Fell In Love”) ou encore Paco Sery (“Voyages”). Très souvent associé au batteur André Ceccarelli, il devient par ailleurs l’un des sidemen les plus recherché de la place de Paris, accompagnant un grand nombre de musiciens tels que: Joe Lovano, Mark Turner, Serge Reggiani, Aldo Romano, Enrico Rava, Philippe Catherine, Didier Lockwood, Henri Salvador, Christophe, Dj Cam, Sanseverino, John McLaughlin, Yvan Lins, Mike Stern, Bunky Green, Zigaboo Modeliste, Yusef Lateef, Raphaël Sadiq, Manu Katché, Pino Palladino, Eric Harland, Kyle Eastwood, Joss Stone, Natalie Merchant, Raoul Midon, Kurt Elling, Vince Mendoza, Michaël Brecker, Dianne Reeves, Milton Nascimento, etc. Eric Legnini ne négligera pas les sessions de studio non plus, en accumulant les enregistrements, pas loin d’une centaine à ce jour !

Apprécié en studio pour sa musicalité et son savoir-faire, Legnini commence également dès cette époque à travailler comme directeur artistique sur un certain nombre de disques de variété — activité qui trouvera son apothéose en 2004 avec non seulement la co-réalisation de l’ultime opus du grand Claude Nougaro, “La note bleue” (Blue Note), mais la production sous le pseudonyme de Moogoo au sein du collectif Anakroniq, du premier disque de la jeune révélation r’n’b “made in  France”, Kayna Samet, “Entre deux Je” (Barclay), travail très raffiné concrétisant à la fois son amour des voix et de la musique noire (soul, hip hop).

Très remarqué pour sa participation active au disque “Wonderland” (B Flat) des frères Belmondo (primé “meilleur album jazz français” aux Victoires de la musique 2005), ainsi que pour son travail de réalisation sur le disque de Daniel Mille “Après la pluie” (Universal Jazz), Eric Legnini est aujourd’hui non seulement l’une des valeurs sûres du jazz européen, mais l’un des artistes les plus actif, productif et éclectique du petit monde musical parisien.

A 35 ans, Legnini, en pleine maturité stylistique, décide enfin de sortir de l’ombre et signe, avec “Miss Soul”, son premier disque en leader sur un label français. L’occasion de révéler au plus grand nombre un univers musical personnel riche, séduisant et parfaitement original dans sa façon de multiplier les connexions entre tradition et modernité, art savant et expression populaire. L’occasion de (re)découvrir un grand musicien.

C’est riche de toute son expérience de sideman et de producteur que Legnini fait retour à l’épure toute classique du trio en compagnie du contrebassiste Rosario Bonaccorso et du batteur Franck Agulhon. A partir d’un répertoire choisi, mêlant habilement compositions originales, standards (plus ou moins célèbres !) et chanson pop re-songée (Björk), Legnini plonge résolument au plus intime d’une tradition proprement afro-américaine du piano jazz portée à son plus haut degré de perfection par des musiciens comme Junior Mance, Ray Bryant, Les McCann ou encore Phineas Newborn auquel ce disque rend continuellement hommage. Une musique directe, chaleureuse, gorgée de swing et de gospel, qui sans passéisme ni nostalgie, célèbre la modernité intemporelle du jazz.

Eric Legnini ©Olivier Lestoquoit

En 2008, il achève avec Trippin’, le dernier volet du triptyque (Miss Soul, Big Boogaloo) qui l’impose comme l’un des maîtres de l’art du trio à la française, où sa science des standards se double d’une connaissance des classiques soul. Puis ce sera The Vox (2011), un disque qui redit jusque dans son titre son désir de lendemains enchantés (il invite la chanteuse Krystle Warren). “Avec la voix, tout devient plus clair, plus lisible. Au premier degré.”, confiait- il alors… Eric Legnini se verra décerner pour cet album une victoire du Jazz. En 2013, il signe l’album Sing Twice! : Tout est dit dans le titre. Ce jeu de mot raisonne fort à propos sur la carrière d’Eric Legnini. Chante à deux fois, donc ! Cela fait doublement sens chez celui qui, depuis Miss Soul en 2005, a pris sept ans de réflexions avant d’en arriver là. Entendez un album qui flirte bien souvent avec la pop. Tout son parcours plaide pour l’ubiquité du quadragénaire, qui s’est fait la main auprès des plus fameux improvisateurs de sa Belgique natale.

Sing Twice ! est nominé aux Victoires du Jazz la même année. Dix doigts majeurs – trente si l’on ajoute le batteur Franck Agulhon et le contrebassiste Thomas Bramerie – et trois voix majuscules, voilà la formule alchimique (relevée ça et là d’une section de cuivres, d’une guitare funky, de quelques percussions de l’Afro Jazz Beat) qui le compose. Les voix c’est d’abord celle d’Hugh Coltman, croisé lors de l’émission “One Shot Not” sur Arte. C’est ainsi qu’Eric convie le chanteur anglais lors d’un premier concert à l’automne 2011. “Il apportait une tournure plus blues, plus soul, plus Stevie.” Tant et si bien que désormais Hugh devient un membre à part entière du groupe, comme le confirment les trois thèmes superlatifs où son timbre singulier, un brin dandy pouvant prendre les accents d’un falseto blues, fournit la couleur principale de cet album aux reflets multiples : soul pop. Deux autres chanteuses mettent d’ailleurs leur grain de soul sur cette galette, lui donnent des couleurs complémentaires : la malienne Mamani Keita, dans une veine plus clairement afro funk, et l’américano-japonaise Emy Meyer dans un registre nettement plus folk. “Avec Mamani, j’ai réussi à achever ce que j’avais entamé sur The Vox. L’Afrique très présente est cette fois incarnée par cette griotte qui habite avec une intense énergie les deux titres que je lui ai proposés. Quant à Emy, elle offre un autre point de vue, plus clairement folk pop.”

Depuis, Eric Legnini poursuit son travail de compositeur, réalisateur d’albums (Kellylee Evans…), joue au sein de groupes all star comme le quartet avec Manu Katché, Richard Bona et Stefano di Battista ; il crée également à Jazz à la Villette en septembre 2014 un programme autour du mythique album de Ray Charles “What’d I say” (avec les voix de Sandra Nkaké, Alice Russell, Elena Pinderhughes), dirige le projet “Jazz à la Philharmonie” en février 2015 avec un groupe composé de 10 musiciens parmi lesquels Joe Lovano, Jeff Ballard, Ambrose Akinmusire, Stefano di Battista…

2015 est une année où on le voit continuer à multiplier les projets : tournée avec le projet “What’d I say”, enregistrement pour le label Impulse! de l’album “Red & Black Light” avec Ibrahim Maalouf, qui le conduira pour des concerts sold out partout en France et en Europe jusqu’à l’apothéose à l’AccorHôtelArena de Bercy le 14 décembre 2016 !

2017 marque le grand retour d’Eric Legnini sur disque en leader : Waxx Up sort au printemps et sera le troisième volet du triptyque consacré à la voix et initié avec l’album “The Vox” en 2011. Il convie son trio (Franck Agulhon à la batterie et Daniel Romeo à la basse électrique) ainsi que des cuivres et des voix : Yael Naïm, Charles X, Mathieu Boogaerts, Michelle Willis, Hugh Coltman ou encore Natalie Williams.

D’emblée, le premier titre donne le cap. “I Want You Back”, plus qu’une introduction, mieux qu’une mise en bouche, une voie à suivre. Trois minutes trente, tous d’un bloc, au service d’une chanson. Pourvu que ça groove. Direct, Eric Legnini change de casquette, et du coup de braquet, avec cette nouvelle galette : le pianiste émérite mute en producteur, attentif à la puissance d’une mélodie, à la classe d’une rythmique. Waxx Up : une bonne baffle en pleine tête, à l’image du visuel qui orne la pochette ! Parce que de toutes les manières, c’est la cire noire qui a toujours été sa matière première. Tel est le diapason d’un album qui sonne comme une somme de 45-tours, des titres taillés pour des voix au pluriel des suggestifs du maître de céans : Eric Legnini. [d’après CONSERVATOIRE.BE]


THE GALLANDS

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Le groupe THE GALLANDS ne tient pour l’instant qu’à quelques vidéos sur Youtube mais l’envie est bien réelle de pousser l’aventure plus loin. The Gallands, c’est la rencontre musicale entre un père (Stéphane Galland) et son fils (Elvin Galland, clin d’œil au batteur américain Elvin Jones) avec pour chacun leurs bagages et influences propres. Le résultat est un mélange pour le moins groovy, frais et prometteur.

Cette crise du Coronavirus et le confinement ont sans doute donné un coup d’accélérateur au projet père/fils Galland, rejoint également par le bassiste Nicolas Fiszman. Le départ de l’aventure est une vidéo tournée, chacun chez soi, lors du premier confinement.

L’arrêt des concerts a mis en suspens les collaborations et les tournées des deux musiciens. Stéphane Galland avec le trompettiste Ibrahim Maalouf, Elvin Galland avec le batteur Manu Katché.

Stéphane Galland est né le 27 octobre 1969 à Berchem-Sainte-Agathe et débute comme batteur d’Eric Legnini. En 1988, il rencontre Pierre Van Dormael, avec qui il jouera en compagnie de Fabrizio Cassol et de Michel Hatzigeorgiou. En 1992, après le départ de Pierre, le trio devient alors Aka Moon… la suite, c’est une succession de collaborations avec Axelle Red, Zap Mama, Joe Zawinul, Ozark Henry, Novastar… et de tournées avec son trio Aka Moon, Nelson Veras, Dave Golitin…

Une mère chanteuse, un beau-père bassiste et un père batteur, Elvin Galland est lui baigné dans le jazz, la soul, le funk durant toute son enfance et va découvrir le piano à l’âge de 12 ans. Elvin collabore avec plusieurs formations et artistes : Oyster Node, The Succubes, Man on Fire and the Soul Soldiers, Mustii, Damso, le 77, Noé Preszow… Mais aussi le batteur français Manu Katché. Galland père et fils propose une musique mêlant de nombreuses et diverses influences : pop, électro, R’n’B, hip hop, jazz, funk… [d’après RTBF.BE]


Cherchez le père et vous trouverez le fils : il y a eu Antoine et Alain Pierre, Félix et Pirly Zurstrassen, Steve et Greg Houben , voici aujourd’hui Stéphane et Elvin Galland. “The Gallands” a donné un premier concert au Saint-Jazz-Ten-Noode et le projet a pris une dimension nouvelle. Honneur au père pour nous parler du projet, et du premier morceau “Underlying Truth”. Un cd est en vue, on en reparlera plus tard avec le fils.

Bonjour Stéphane. Tout d’abord, comment se passe cette étrange période pour toi ?

Je travaille beaucoup sur mes projets et d’autres. Par exemple, la semaine passée, j’étais en studio pour Shijin, le projet avec Laurent David, Malcom Braff et Stéphane Guillaume. Et aussi celui que j’ai avec mon fils. Même sans concert, on fait des choses tout de même : j’essaie par exemple de travailler ma technique, je travaille sur la polyrythmie, ou sur les aspects purement techniques de la batterie que j’avais envie de rafraîchir, parce que quand on est en concert, on se dit parfois qu’il y a des choses à retravailler, mais on n’y consacre pas du temps.

Le travail en duo avec Elvin est dans cet esprit ?

Oui, la vidéo avec Elvin est un exemple de ce travail. Je ne sais pas dire exactement ce qui change car c’est un travail de longue haleine depuis le début du confinement, mais en revoyant des choses régulièrement, je sens le changement, il y a des nouvelles choses qui s’intègrent. La rythmique du morceau Underlying Truth  avec les deux high hats, c’est quelque chose de nouveau que j’ai travaillé qui m’amusait d’explorer, je l’ai mis ici dans un contexte particulier très répétitif, c’est une chose qui fait clairement partie du travail de ces derniers mois. Il y a tout de même un aspect “grâce à” au confinement. Ça permet aussi de remettre des choses en question. Je ne me plains pas car j’ai les cours au Conservatoire ; si ça m’était arrivé il y a quelques années, cette situation aurait pu être une vraie catastrophe.

Comment est née l’idée du duo ?

Il y a deux ou trois ans, on s’est dit qu’on devrait essayer de se voir pour réaliser quelque chose. On se retrouvait dans l’atelier de mon oncle à Wezembeek. On jouait, enregistrait, cherchait des idées, sans pression. Et puis il y a eu un morceau qu’Elvin a ramené chez lui pour le retravailler, ajouter des samples, c’est Introducing the Gallands qui est sur Facebook. On la refait récemment et tous les deux on a trouvé ça super.

Le problème c’est que j’étais très pris avec Ibrahim Maalouf, Aka Moon, mes propres projets et d’autres, mais c’est resté une idée derrière la tête. Avec le confinement, beaucoup de gens se mettaient à placer des petites vidéos sur le net et Elvin m’a dit qu’on devrait faire ce morceau en vidéo en jouant chacun chez soi. A partir de là, on s’est demandé comment faire de nouveaux morceaux. Ce qui m’amusait pour développer des idées à la batterie, c’était de me faire une playlist sur Spotify avec des morceaux plutôt actuels, pas jazz mais plutôt rap mix de musiques urbaines et groovy où le rythme a une importance. Comme ce sont des morceaux avec un clic, qui sont très droits, c’était parfait pour travailler la batterie, et souvent je trouvais des grooves qui me plaisaient et que j’enregistrais.

Et je me suis fait une sorte de book de grooves que j’aimais bien et je les envoyais à Elvin pour qu’il trouve des idées là-dessus, qu’il me les renvoie et qu’on voit ensemble si on peut en tirer une forme. J’ai ainsi créé une trentaine de grooves, et Elvin construisait quelque chose autour de ça. Je proposais parfois une idée pour une autre partie du morceau. Je jouais la partie de batterie sur la structure du morceau qu’on avait choisi et Elvin y ajoutait tous les claviers et des petites choses par ci par là…

Quelle est la particularité de ce duo ?

Je dois d’abord dire qu’on a reçu une aide de la Sabam pour réaliser la vidéo. Pour en revenir à la question, ce qui est intéressant dans ce duo, c’est qu’il mélange deux mondes d’une bonne manière : Elvin vient de l’électro, de la pop, des chanteurs, d’une musique grand public dans la production, mais aussi il a produit le dernier album de Manu Katché où il joue tous les claviers. Au Conservatoire, il a suivi les cours d’Eric Legnini, il a donc un background assez jazz, mais il s’est fort concentré sur l’électro avec Mustii, Juicy, des gens comme ça… Donc, il a cette esthétique et le souhait en même temps que ça rentre aussi dans le mainstream.

J’ai toujours eu un pied là-dedans aussi avec Axelle Red, Ozark Henry, Novastar, Zap Mama, et même Ibrahim Maalouf qui suit aussi cette démarche de connecter des mondes. Je cherchais aussi un projet où la batterie aurait un rôle de premier plan, et avec Elvin j’ai trouvé le terrain idéal pour lier les aspects originaux, techniques et virtuoses, l’aspect rythmique et un mood qui serait assez accessible.

Les compositions sont surtout le résultat d’un travail en équipe.

C’est en effet plutôt un travail de co-composition où les choses prennent. Souvent, le plus simple pour composer avec une batterie, c’est d’avoir une idée qui vient d’un clavier. La meilleure chose à faire c’est de placer un rythme tout simple pour mettre la mélodie en valeur. Pour éviter ça, une de mes meilleures façons qu’on a trouvé c’est de commencer par la batterie, je trouve cette approche originale.

Il y a aussi une basse qui a été ajoutée sur le morceau.

Oui, c’est toute une histoire… On n’a fait qu’un concert au Bota en septembre, c’était un super souvenir, il y avait si peu de concerts en cette courte période de déconfinement ! C’était un gros challenge ce premier concert, on était très content. On a fait le concert sans basse, en fait tout est dans l’ordinateur, comme dans la pop. Mais le fait d’avoir une basse hyper stricte sur ordinateur, carrée, ça m’aide parce que je sais qu’il y aura quelque chose de clair pour les auditeurs.

Moi, j’entends les rapports rythmiques, mais c’est vrai que quand on n’est pas entraîné à ça, ça peut paraître abstrait. Ça me frustre parfois de voir que les gens ne comprennent pas ce que je fais avec une base, j’aime que la base soit précise. Dans notre duo, il y a des lignes de basse qu’Elvin a composées qui demande un peu de vie, et quand il joue sur les claviers, il doit utiliser des basses programmées, mais ça demande aussi un peu de vie. On s’est dit alors qu’idéalement ce serait bien d’avoir un bassiste.

Quand on en a parlé, j’ai tout de suite pensé à Nicola Fiszman, un bassiste que j’adore, et avec qui je n’ai jamais joué alors qu’on se connait depuis très longtemps. Je trouvais que c’était le bassiste qu’il nous fallait à la fois groovy et très précis dans ce qu’il fait, il a un jeu qui me convient.

Comment s’est déroulé cette collaboration ?

Quand on a fait la vidéo, Elvin a rencontré Nicolas qui lui a dit qu’il adorait “The Gallands” et Elvin lui a dit qu’on a enregistré un morceau et Nicolas a refait les lignes de basse dessus. Il joue avec Sting, tous les chanteurs français comme Cabrel, avec Dominique Miller, Trilok Gurtu, il a l’habitude de choses plus complexes. C’est une collaboration qui, j’espère, va se développer.

Comment va évoluer le duo ?

Avec les circonstances actuelles, on s’est dit qu’on allait avancer pas à pas, en sortant un single d’abord en espérant que début de l’année on puisse se consacrer à un vrai album. On avance avec les possibilités qu’on a pour le moment. Quand on croit à un projet, il faut y aller à fond, le but c’est l’album et des concerts, il y a deux bookers, Busker et Inside Jazz, qui s’en occupent. On espère que ça va déboucher sur des concerts. [d’après JAZZHALO.BE]


[INFOS QUALITE] statut : actualisé | mode d’édition : compilation par wallonica.org  | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : © jazzhalo.be


 

WATTS : J’ai détesté les années 60 et 70 (1998)

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TELERAMA.FR. Pilier des Rolling Stones, Charlie WATTS est mort le mardi 24 août à l’âge de 80 ans. Rare en interview, il avait accordé un long entretien en 1998 à Télérama, pour la parution de No security. L’occasion de revenir sur sa place au sein des Stones, de son amour pour le jazz ou encore de sa carrière sur fond de sexe, drogues et rock’n’roll.

Le tambour-major des Rolling Stones est un personnage peu ordinaire. Inconditionnel de jazz, Charlie Watts déteste le rock, ce qui ne l’empêche pas, depuis trente-cinq ans, de battre la mesure du plus grand groupe du monde. Les coups de semonce de Satisfaction, c’est lui. Tout comme les roulements trépidants de Get off my cloud, la frappe cinglante de Paint it black ou le rythme syncopé de Miss You. Trente-cinq années pendant lesquelles il a vécu de l’intérieur une folle épopée, avec son lot de drames, de tournées géantes et d’hystérie collective, sur fond de sexe, drogues et rock’n’roll. Une existence aux antipodes des aspirations de cet homme né en juin 1941 à Londres, et qui exerçait, jusqu’à sa rencontre en 1962 avec Brian Jones, la paisible profession de dessinateur publicitaire. Avare d’interviews (il a passé vingt ans sans faire une seule déclaration…), Charlie Watts s’exprime aujourd’hui à l’occasion de la parution de No security, le nouvel album « live » des Stones.

Depuis dix ans, vous êtes celui qui bénéficie de la plus longue ovation du public chaque fois que Mick Jagger présente les membres des Stones sur scène. Comment expliquez- vous cette popularité ?

C’est dû à la façon dont Mick me présente, non ? [Rires.] Ces ovations sont un immense compliment, mais je me garde bien d’essayer d’expliquer cette popularité. Si on commence à réfléchir à ces choses-là, on devient fou.

No Security a la particularité de présenter certaines chansons en version live pour la première fois.

Et alors ? Mick et Keith ont dû écrire environ cinq cents ou six cents chansons depuis les débuts des Stones. On puise naturellement dans ce vaste répertoire. En concert, il y a toujours une liste de morceaux que le public demande systématiquement. Si vous allez voir un concert de Ringo Starr, vous avez forcément envie de l’entendre chanter Yellow Submarine… Cela dit, nous essayons régulièrement de jouer des titres que nous n’interprétons que rarement, d’où la présence de Sister MorphineMemory Motel, ou encore The Last Time.

Comment définissez-vous votre position au sein des Rolling Stones ?

[Long silence.] Ma position ? Celle de tout batteur : assurer la rythmique, maintenir la cohésion musicale entre chaque instrument et fournir une plate-forme aux autres.

Beaucoup de gens vous considèrent comme l’éminence grise du groupe, le Stone « sage »…

Sage, je ne crois pas. Disons plutôt intègre. Mais je ne me regarde jamais et je refuse d’analyser la façon dont les gens me perçoivent. C’est sans importance.

Quels sont vos rapports avec deux personnalités aussi fortes que celles de Mick Jagger et Keith Richards ?

Personne n’est plus proche de moi et j’ose espérer que la réciproque est vraie. Leurs personnalités sont ce qu’elles sont. Il faut vivre à l’intérieur de leurs sphères, suivre leur direction.

Aimez-vous autant les tournées qu’il y a vingt ou trente ans ?

Je suis incapable de me souvenir des années 60 ou 70 ! Toutes ces années passées sur la route ont fini par former un long et unique show. De notre dernière tournée, je n’ai retenu qu’une file interminable de valises et une foule de gens sans cesse en train de me dire où je dois aller et ce que je dois faire.

Et votre tout premier concert avec les Rolling Stones, au Flamingo Jazz Club de Londres, le 14 janvier 1963 ?

Aucun souvenir, si ce n’est celui d’avoir joué dans cet endroit avant d’avoir fait partie des Stones. Il faut que ce soit Keith, ou jadis Bill Wyman, qui me rappelle tel ou tel événement pour que je m’en souvienne vaguement. Par contre, je revois très bien notre première tournée anglaise, en 1963, dans les cinémas et les petits théâtres, quand nous partagions l’affiche avec les Everly Brothers, Bo Diddley et Little Richard. C’était merveilleux.

Durant trente ans, vous avez combiné votre jeu de batterie avec la basse de Bill Wyman. Son départ, en 1993, a-t-il modifié la formule rythmique du groupe ?

Il me manque énormément, même si nous sommes toujours en contact téléphonique. Mais sur scène, Darryl Jones [le bassiste remplaçant Bill Wyman, NDLR] est un musicien tellement doué et quelqu’un de si gentil qu’il m’est très facile de jouer et de tourner avec lui. Si nous avions aujourd’hui un bassiste à trop forte personnalité, ce serait insupportable. En tournée, il faut partager chaque instant vingt-quatre heures sur vingt-quatre pour donner deux heures de spectacle… Quant à savoir si Darryl Jones est meilleur ou moins bon que Bill Wyman, ça me semble un débat stérile. Chaque formation de Duke Ellington était unique, magique, pourtant aucun musicien n’était irremplaçable. Les Rolling Stones, c’est Mick et Keith. La force et l’essence du groupe reposent sur leur bonheur et leur longévité. Peu importe qui joue de la batterie ou de la basse avec eux : tant qu’ils seront ensemble, les Stones existeront.

Quelle est la partie de batterie dont vous êtes le plus fier ?

Peut-être celle de Not fade away, sur l’album live Stripped. Mais c’est difficile à dire car je n’écoute jamais les disques des Rolling Stones.

Dans son livre Stone alone, Bill Wyman écrit que vous êtes le seul du groupe à n’avoir jamais pris de drogue dans les années 60 et à être toujours resté fidèle à sa femme. Qu’est-ce qui a motivé cette attitude ?

Avoir toujours aimé ma femme inconditionnellement ! En fait, j’ai détesté les années 60 et 70. Je trouvais la musique de cette période épouvantable et j’avais beau être au cœur de l’action, je n’ai jamais vu de révolution. Seule la naissance de ma fille m’a rendu heureux. Toutes ces gamines hurlant durant nos concerts et le prétendu mode de vie sexe, drogues et rock’n’roll m’ont toujours paru ridicules et malsains. En ce qui concerne la dope, je me suis rattrapé au cours des années 80 en prenant des tonnes de poudre. J’en ai été le premier surpris, ma femme n’a pas compris, mais le plus étonné, c’était Keith Richards ! Je n’avais plus goût à rien, je me méprisais, j’étais parti à la dérive à plus de 40 ans…

Imaginiez-vous faire une carrière aussi longue dans la musique ?

Pas du tout. Avant de faire partie des Stones, j’accompagnais divers artistes au gré des occasions. Au tout début des années 60, Alexis Korner m’a demandé de tenir la batterie au sein du Blues Incorporated. Ma rencontre avec lui fut déterminante : ce jour-là, je suis entré dans mon premier groupe et j’ai fait la connaissance de ma femme ! Alexis était un véritable catalyseur, doté d’un sixième sens pour dénicher des musiciens exceptionnels, comme Jack Bruce par exemple [futur membre de Cream, NDLR], contrebassiste, chanteur et compositeur surdoué. A l’époque, je n’avais jamais entendu le son d’un harmonica, et pour moi, le blues, c’était quand Charlie Parker était triste. Et voilà que Cyril Davies, un chanteur-harmoniciste, débarque de Chicago et se fait engager dans le groupe. Je n’avais pas la moindre idée de ce qui était en train de se passer… Toute la scène musicale anglaise a explosé grâce aux visions d’Alexis Korner. C’est alors qu’un p’tit gars quitte sa campagne de Cheltenham, une guitare sous le bras et un bottleneck au doigt. Il s’appelle Brian Jones, et la première chose qu’il fait en arrivant à Londres, c’est d’aller voir le Blues Incorporated en concert. C’est comme ça que je l’ai rencontré. Dans la mouvance d’Alexis, il y avait également un dénommé Mick Jagger, qui montait parfois sur scène pour chanter un morceau sous les yeux de son copain Keith Richards

Vous dites ne pas aimer le rock’n’roll, ne jamais écouter les disques des Rolling Stones. N’auriez-vous pas préféré rester dessinateur de publicité ?

Non ! J’ai toujours voulu être batteur, mais j’étais persuadé de ne jamais pouvoir y parvenir. Mon rêve, c’était de devenir Kenny Clarke et d’accompagner les grands maîtres du jazz. Mais ça, c’est une autre paire de manches… Quand j’avais 17 ans, en 1958, je suis allé à Paris pour voir mon idole jouer avec Bud Powell, un pianiste génial, et Pierre Michelot, un bassiste qui avait accompagné Django Reinhardt. Ce monde était mon univers, et j’aimais ces musiciens. Dans le Paris des années 50, le jazz n’était pas, comme aux Etats-Unis, une musique réservée aux Noirs, c’est pourquoi votre capitale était à cette époque la Mecque des musiciens de jazz. Je me souviens qu’il y flottait un parfum très romantique, je me rappelle avoir rencontré Kenny Clarke à Saint-Germain-des-Prés, un homme flamboyant qui vivait une véritable romance avec Paris. Moi-même, j’avais l’impression de vivre dans un film de Fred Astaire.

Les Rolling Stones ont joué du blues, du rock, du rhythm’n’blues, de la soul, du disco, du reggae, mais jamais de jazz. Leur avez-vous suggéré de s’y essayer ?

Non, j’ai simplement conseillé à Mick d’inviter Joshua Redman à venir jouer sur Waiting on a friend lors de notre dernière tournée. Je lui ai également suggéré d’inviter Miles Davis sur certains de nos morceaux, mais malheureusement, ça ne s’est pas fait… Le seul musicien de jazz que Mick ait invité de son propre chef fut Sonny Rollins, lors de l’enregistrement studio, à Paris, de Waiting on a friend, en 1980. Sincèrement, je ne pensais pas que Rollins accepterait. Il l’a pourtant fait et en plus, il a adoré ! Ce fut un enchantement de pouvoir jouer avec celui que je considère comme le dernier géant du saxophone. En tant que simple auditeur, j’ai toujours préféré Sonny Rollins à John Coltrane, dont le succès a fait ombrage à de nombreux saxophonistes.

À force de jouer dans des endroits gigantesques, comme le Stade de France, n’avez-vous pas parfois l’impression d’être une bête de foire dans un grand cirque rock’n’roll ?

Plutôt une petite souris. Il s’agit d’un grand spectacle et mon rôle principal consiste à faire en sorte que Keith ait ses applaudissements. Et puis ces stades géants ne sont vraiment pas faits pour la musique. Tout cela, au bout du compte, n’est que de la comédie.


Plus de scène…

THEATRE NATIONAL : Pelléas et Mélisande (saison 1976-1977)

Temps de lecture : 33 minutes >

Le Théâtre National de Belgique (direction : Jacques Huisman) présente PELLEAS ET MELISANDE, un rêve de Maurice Maeterlinck, dans une mise en scène de Henri Ronse. Les décors, les costumes et les lumières sont de Beni Montresor ; la musique d’Arnold Schoenberg (décor musical de Yvan Dailly, avec la collaboration technique de Willy Paques ; régie de Michel Dailly.).

© Collection privée

C’était la saison 1976-1977, ma mère était costumière au Théâtre du Gymnase liégeois qui accueillait alors la troupe bruxelloise du TNB pour mon premier Pelléas (et mon premier Schoenberg après La nuit transfigurée).
J’en ai gardé le programme, celui-là et les suivants. Etais-je déjà conscient que, bien des années plus tard, il servirait une de nos missions, chez wallonica.org : exhumer et pérenniser des publications qui ont vécu un temps puis, hélas, sont passées aux oubliettes, malgré leur intérêt réel.
La technique au service de l’homme : nous avons scanné et “océrisé” (effectué la reconnaissance de caractères) le programme de l’époque et nous vous le livrons ici en texte intégral (révisé et corrigé), comme à l’accoutumée sans publicités. Le fichier PDF résultant de cette dématérialisation est disponible dans notre DOCUMENTA…

Patrick THONART

Le metteur en scène : Henri RONSE

Il est né à Bruxelles, le 10 mai 1946. Après des études de Lettres et de Philosophie à l’Université Libre de Bruxelles, il s’en va à Paris, où il donne des articles à plusieurs journaux et revues (N.R.F., Lettres Françaises, etc.). Secrétaire de rédaction de la revue L’Arc, il en dirige plusieurs des numéros spéciaux (Joyce, Georges Bataille). En 1966-67, il fait ses premiers essais de mise en scène au Théâtre-Poème, à Bruxelles.

Henri RONSE (1946-2010)

En septembre 1971 , il fonde, à Paris, le Théâtre Oblique. Il y met en scène : Strindberg, Beckett, Maeterlinck, Artaud, Kafka, Jodelle (Cléopâtre captive), Yeats, Raymond Roussel, Butor, Schoenberg… Le Théâtre Oblique – installé définitivement, en 1974, au Cyrano-Théâtre – devient un important lieu d’échanges : théâtre, cinéma d’avant-garde, concerts, expositions… Des tournées à l’étranger lui donnent une stature internationale.

Au Théâtre de l’Odéon, Henri Ronse a présenté la Rodogune de Corneille (1975) et La Sonate des Spectres (1976) de Strindberg, avec un extraordinaire succès. Il prévoit également la mise en scène de Lulu de Wedekind à New York, et une tournée du Théâtre Oblique aux U.S.A.

Henri Ronse parle de Pelléas et Mélisande

    • TNB : Pelléas et Mélisande, c’est d’abord un opéra. L’Opéra de Debussy ?
    • HENRI RONSE : Non, un opéra qui se trouve dans l’œuvre de Maeterlinck ; une virtualité d’opéra, si vous préférez. Pour la musique de scène, de préférence à Debussy – à une chanson près – j’ai fait appel au poème symphonique de Schoenberg. Schoenberg a parfaitement compris le génie de la pièce. Un génie germanique qui l’apparente aux poèmes musicaux de Wagner. Cette histoire de passion et de mort est dans la ligne de Tristan et Isolde. Oui, en soi, Pelléas et Mélisande est un opéra. Tout tourne autour des rapports de la pièce et de cet opéra englouti qu’elle porte en elle.
    • Et le sujet de cet opéra ?
    • Un rêve. Un rêve qu’a fait Maeterlinck vers 1890. Il a vingt-huit ans. Il écrit, il rêve sa pièce, dans la solitude de sa maison de campagne d’Oostacker, le long du canal de Terneuzen. Plus tard, mûri, il reniera cette œuvre avec toutes celles de sa jeunesse : ces shakespitreries, dira-t-il. Peut-être parce qu’il en a peur, parce qu’elles le dénoncent trop. C’est dans Maeterlinck lui-même qu’il faut trouver la vérité de Pelléas et Mélisande.
    • Et qui est-ce, Maeterlinck ?
    • Un être complexe. Déséquilibré jusqu’à friser par moments la folie. Le poète des Serres chaudes et le champion de boxe. D’un côté l’athlète flamand, fier de ses pectoraux et de ses doubles muscles ; mais derrière cette façade, un homme inquiet, qui a peur, qui se cache. Toute sa vie, il se cachera dans des châteaux de plus en plus vastes. Le château de Pelléas et Mélisande, isolé au milieu d’un pays que ravage la famine, est une préfiguration de cet immense château d’Orlamonde, où l’écrivain finira sa vie, terré, éloigné de toutes les agitations du monde.
    • De quoi a peur Maeterlinck ?
    • De la souffrance, de la mort (il est hanté par la mort). Et surtout, de la violence qui est en lui. Maeterlinck, c’est Pelléas, c’est le poète des Serres Chaudes. Et c’est aussi cette brute de Golaud, le chasseur effréné, couvert du sang des bêtes. Georgette Leblanc, sa compagne, raconte qu’un jour, dans leur maison de Paris, importuné par les miaulements d’une de ses chattes dans le jardin, il va à la fenêtre et l’abat d’un coup de pistolet entre les deux yeux. Il a la hantise des armes à feu. Où qu’il soit, il se promène, autour de sa demeure et tire contre les ombres. A Orlamonde, au soir de sa vie, il reste assis dans une pièce du château, une mitraillette sur les genoux ; il attend les voleurs. Dans Pelléas pour traduire cette hantise, j’ai remplacé toutes les armes blanches par des armes à feu.
    • Maeterlinck, c’est aussi Arkel ?
    • Le jeune Maeterlinck aspire à être Arkel. Il sera Arkel, plus tard, dans Orlamonde. Remarquez qu’ici, dans ce château, où se déchaînent des passions terribles, au milieu d’une province où les pauvres gens meurent de faim , le long des routes, Arkel ne fait rien. Il ne gère rien, ne remédie à rien, n’empêche rien. Il laisse faire ; il regarde avec un étrange fatalisme, mêlé d’une immense pitié. Peut-être sait-il que le château est condamné, ce château se décomposant au milieu des marécages, bâti au-dessus de la pestilence des grottes.
    • Un peu la Maison Usher ?
    • L’âme des personnages aussi se décompose. Quand Golaud entraîne Pelléas dans les souterrains suintant l’eau croupie, se penche avec lui sur le gouffre, tous deux se penchent en même temps sur ce qu’il y a de plus profond, de plus caché en eux-mêmes : les désirs troubles, inavoués ; la complicité sournoise dans le désir de la même femme.
    • Venons-en à cette femme, Mélisande.
    • Elle est l’amour ; elle est la mort. Je crois qu’elle a aimé Golaud. Mais elle aime encore plus Pelléas, non seulement parce qu’il est la jeunesse mais parce que cet amour est frappé d’interdit. Elle est de ces femmes que personne n’arrive à posséder ; qui rêvent de se faire tuer au moment du plaisir, ou plutôt en ce moment de plaisir suprême qui se situe juste avant le plaisir. Elle me fait penser à Salomé (celle de Gustave Moreau), à Judith (celle de Cranach), ces femmes qui se promènent avec une tête coupée et sanglante. Au moment de son dernier rendez-vous avec Pelléas, une scène d’un érotisme violent, où tous les interdits sautent, elle ne fait rien pour se cacher, bien au contraire : “Laissez-moi dans la clarté… Je veux qu’on me voie…“. Obscurément, elle souhaite que Golaud survienne. Et tue.
    • Nous sommes loin de la pure, de l’innocente Mélisande de la tradition.
    • Nous sommes dans un rêve de Maeterlinck. Un rêve mêlé certes de réminiscences de Shakespeare : Pelléas c’est un peu Hamlet ; Mélisande, Ophélie ; Golaud, Othello ; Arkel, Lear après la folie ou Prospéro. Un rêve shakespearien 1890. Un homme de cette fin de siècle rêve de Shakespeare, et de notre impuissance à habiter les grandes figures de Shakespeare. En même temps, il se penche sur lui-même, se découvre avec épouvante. Se découvre enfermé dans une prison mentale, qui prend la forme de murs épais entourant un château gothique. Mais ces murs reposent sur des gouffres…
    • Dans la décoration, cela se traduit par quoi ?
    • Je viens de vous le dire : 1890… un rêve… un anachronisme voulu entre des costumes fin XIXe siècle et les murs d’un château gothique… des murs qui sont aussi ceux d’une prison… ou les parois crâniennes d’un homme parti à la recherche de lui-même… Et puis, ne l’oublions pas, c’est un opéra.
    • Je sais ce que vous allez me demander : qu’est-ce que c’est, un opéra ? Je vous répondrai par une citation de Meyerhold, qui mit en scène La Mort de Tintagiles de Maeterlinck : “Vous n’aimez pas l’opéra ? Tout simplement, vous manquez d’imagination pour vous représenter ce que peut-être un opéra.”

Le décorateur : Beni MONTRESOR

Natif de Vérone (mais c’est près de Venise, précise-t-il), Beni Montresor, italien vivant à New York, étudie la peinture à l’Académie des Beaux-Arts de Venise et la décoration au Centre Expérimental Cinématographique de Rome. Il débute parallèlement à la radio comme auteur de pièces et adaptateur de contes de fées, collabore au cinéma avec Rossellini, de Sica et Fellini.

Pour Puccini, Menotti, Berlioz, Rossini, Mozart et Debussy, ses décors sont bientôt accueillis par les Opéras les plus prestigieux : le Metropolitan de New York, la Scala de Milan, le Covent Garden de Londres, la Fenice de Venise. Il travaille aussi à Broadway pour le Royal Ballet, le New York City Ballet. La Comédie Française l’engage en 1976. Sélectionné au Festival de Cannes, en 1971, pour la Semaine de la Critique, Pilgrimage, sorte de pèlerinage initiatique est le premier long métrage qu’il écrit. Pour la sortie à Paris de La Messe Dorée, son deuxième film, Claude Mauriac, du Figaro, a écrit: “Beni Montresor est un visionnaire et un poète“. La Messe Dorée va bientôt sortir en Belgique.


Les noces de la vallisnère

© MNHN

Henri Ronse a demandé que soient reproduites ici les lignes que Maeterlinck a consacrées à une plante aquatique : la vallisnère. On y trouve une conception à la fois héroïque et tragique de l’amour. La fleur femelle et la fleur mâle de la vallisnère sont des amants très maeterlinckiens :

La Vallisnère est une herbe insignifiante, une herbe qui n’a rien de la grâce étrange du nénuphar ou de certaines chevelures sous-marines. Mais on dirait que la nature a pris plaisir à mettre en elle une belle idée. Toute l’existence de la petite plante se passe au fond de l’eau, dans une sorte de demi sommeil jusqu’à l’heure nuptiale où elle aspire à une vie nouvelle. Alors la fleur femelle déroule lentement la longue spirale de son pédoncule, monte, émerge, vient planer et s’épanouir à la surface de l’étang. D’une souche voisine, les fleurs mâles qui l’entrevoient à travers l’eau ensoleillée s’élèvent à leur tour pleines d’espoir vers celles qui se balancent, les attendent, les appellent dans un monde magique. Mais arrivées à mi-chemin, elles se sentent brusquement retenues; leur tige, source même de leur vie, est trop courte et elles n’atteindront jamais le séjour de lumière, le seul où se puisse accomplir l’union des étamines et du pistil. Est-il dans la nature inadvertance ou épreuve plus cruelle ? Imaginez le drame de ce désir, l’inaccessible que l’on touche, la fatalité transparente, l’impossible sans obstacle visible. Il serait insoluble comme notre propre drame sur cette terre. Les mâles avaient-ils le pressentiment de leur défection ? Toujours est-il qu’ils ont renfermé dans leur cœur une bulle d’air, comme on renferme dans son âme une pensée de délivrance inespérée. On dirait qu’ils hésitent un instant. Puis, d’un effort magnifique, le plus surnaturel que je sache, dans les fastes des insectes et des fleurs, pour s’élever jusqu’au bonheur, ils rompent délibérément le lien qui les attache à l’existence. Ils s’arrachent à leur pédoncule, et d’un incomparable élan, parmi les perles d’allégresse, leurs pétales viennent crever la surface des eaux. Blessés à mort, mais radieux et libres, ils flottent un moment aux côtés de leurs insoucieuses fiancées. L’union s’accomplit, après quoi , les sacrifiés s’en vont périr à la dérive, tandis que l’épouse déjà mère clôt sa corolle où vit leur dernier souffle, enroule sa spirale et redescend dans les profondeurs pour y mûrir le fruit du baiser héroïque.


Quelques peintres symbolistes belges aux environs de 1890

Fernand KHNOPFF : Près de la mer
Emile FABRY : Les gestes et des visages
Jean DELVILLE : Tristan et Yseult

Les œuvres musicales que vous entendrez au cours du spectacle

Avec la sécheresse d’un communiqué militaire, l’affiche et la fiche  technique de notre programme annoncent : musique de Schoenberg.

C’est loin d’être inexact, si l’on songe que c’est le poème symphonique que Schoenberg écrivit entre 1902 et 1903, d’après l’œuvre de Maeterlinck, et sur les conseils de Richard Strauss, qui sert de support musical à notre spectacle. Nous avons choisi la version du Philharmonique de Berlin, dirigé par Herbert von Karajan (Deutsche Gramophon).

Par ailleurs, en prélude à l’entracte, nous vous faisons entendre la Nuit transfigurée (Verklärte Nacht), autre œuvre de jeunesse de Schoenberg, écrite en 1901, d’après un poème de Richard Dehmel. Primitivement conçue pour sextuor à cordes, l’œuvre fut transposée pour orchestre à cordes, en 1917, par l’auteur. C’est cette façon que nous avons choisie (à regret d’ailleurs, mais la version sextuor est actuellement introuvable sur le marché du disque) : l’English Chamber Orchestra est dirigé par Daniel Barenboïm (HMV).

Toutefois, d’autres œuvres musicales viennent incidemment souligner la pièce de Maeterlinck. A tout seigneur tout honneur, Debussy sera présent, non seulement au début de la deuxième partie, avec la Cantilène des cheveux ; et un peu plus loin encore avec son troisième nocturne, Sirènes ; mais surtout, cette cantilène dont nous venons de parler servira de leitmotiv aux deux protagonistes féminins, Mélisande et Geneviève, tout au long de la pièce.

C’est à la Suite pour violoncelle seul de B. Britten que nous avons emprunté certains soli de cello. Si vous avez l’oreille extrêmement fine, vous percevrez peut-être un chœur du Vaisseau fantôme de Wagner.

Vous entendrez encore un lied de Schumann (tiré de L’Amour et la vie d’une femme) chanté par Kathleen Ferrier, et un court extrait de Folksongs de Luciano Berio, chanté par Cathy Berberian. Une valse de J. Strauss (Les Feuilles du matin) éclairera certains passages de l’œuvre, qui s’achèvera soutenue par la voix de Maria Callas chantant Casta Diva, extrait de la Norma de Bellini .

Yvan Dailly

M. Jacques MAIREL, critique musical du « Soir », venu voir la première de notre « PELLEAS ET MELISANDE » à Spa, soulignait, dans son article la place que tient Schoenberg dans l’accompagnement musical du spectacle. Il terminait par ces mots :

Avec quelques brefs fragments de Debussy, la chanson de Mélisande qui devient comme un leitmotiv accompagnant la marche somnambulique de Geneviève et les jeux d’Yniold ; un violoncelliste qui enchaine ses improvisations à Schoenberg, comme s’il accompagnait quelque récitatif. Et pour finir, sur le tableau figé de ceux qui entourent Mélisande morte, plane le grand air superbe de la Norma de Bellini Casta Diva, ultime trait qui nous distancie de l’œuvre, nous rappelle qu’il ne s’agissait que d’un rêve, projection des fantasmes de Maeterlinck… et d ‘un opéra. Ainsi Ronse utilise-t-il la musique à tous les niveaux de l’expression : pour nous dire la vérité qui se cache derrière les mots, pour nous suggérer, à ses références au premier et au deuxième degré, que nous sommes dans le domaine de l’artifice et de l ‘art, et finalement de la poésie.


Quelques traits pour une image de Maurice MAETERLINCK

Prélude à l’après-midi d’un jeune bourgeois flamand

Ce matin là, en sa maison de campagne d’Oostacker, non loin de Gand, à deux pas du Canal de Terneuzen, M. Maurice prenait son petit déjeuner. M. Maurice était un grand et vigoureux gaillard qui, dans quelques jours allait fêter ses vingt-huit ans. Son papa, riche propriétaire, vivait fort largement grâce aux redevances que lui versaient ses fermiers. Aussi, M. Maurice, jeune avocat, ne devait pas compter sur la générosité de ses rares clients pour lui fournir l’excellent beurre des Flandres que présentement il étalait sur ses tartines.

Un curieux garçon, ce Maurice. On le disait poète. Et en effet, il avait déjà publié – à compte d’auteur, bien entendu, ou plutôt à compte de parents d’auteur – deux plaquettes : Serres Chaudes, recueil de poèmes abscons, auxquels personne ne comprenait rien ; et La Princesse Maleine, un drame en cinq actes, auquel on comprenait moins encore. Il faut bien, n’est-ce-pas, que jeunesse se passe !

De La Princesse Maleine, on avait tiré 30, puis 155 exemplaires. Il s’en était vendu cinq. Quelques exemplaires avaient été envoyés, à tout hasard, aux critiques de Bruxelles et de Paris. Et même l’un d’eux, un jeune inconnu nommé Emile Verhaeren, en avait dit beaucoup de bien.

Donc, M. Maurice mangeait ses tartines. On peut même supposer qu’il les trempait dans sa grande jatte de café. Quand la servante entra. Elle apportait Le Figaro qui venait d’arriver de Paris. M. Maurice jeta un regard sur la première page. Ses yeux s’écarquillèrent. Il lut. Plus il lisait, plus ses yeux s’écarquillaient.

Un article retentissant

En cette première page du Figaro du dimanche 24 août 1890, il y avait, sur deux colonnes, un article d’Octave Mirbeau : Mirbeau, le romancier et dramaturge célèbre, l’homme qui faisait la pluie et le beau temps dans la critique parisienne. Le titre de l’article : Maurice Maeterlinck. Et voici ce qu’on y lisait :

Je ne sais rien de M. Maurice Maeterlinck. Je ne sais d’où il est et comment il est. S’il est vieux ou jeune, riche ou pauvre, je ne le sais. Je sais seulement qu’aucun homme n’est plus inconnu que lui et je sais aussi qu’il a fait un chef-d’œuvre un admirable et pur et éternel chef-d’œuvre qui suffit à immortaliser un nom et à faire bénir ce nom par tous les affamés comme les artistes honnêtes et tourmentés, parfois aux heures d’enthousiasme, ont rêvé d’en écrire un, et comme ils n’en ont écrit aucun jusqu’ici. Enfin, M. Maurice Maeterlinck nous a donné l’œuvre la plus géniale de ce temps et la plus extraordinaire, et la plus naïve aussi, comparable et (oserais-je le dire ?) supérieure en beauté à ce qu’il y a de plus beau dans Shakespeare. Cette œuvre s’appelle La Princesse Maleine.

A Paris, dans les salles de rédaction, dans les cafés, dans les salons, dans les rues, il n’allait bientôt plus être question que de Maurice Maeterlinck : cet être surgi du néant, que personne ne connaissait, dont personne n’avait lu une ligne. L’Angleterre, l’Amérique, l’Allemagne, les pays scandinaves allaient se passionner à leur tour. Le Manchester Guardian publierait un article : A New Shakespeare.

Pour le moment, le jeune Maurice Maeterlinck, devant sa tartine inachevée, était à la fois ivre de fierté et frappé d’épouvante : comment allait-il faire, après de tels éloges, pour ne pas décevoir ses lecteurs, pour ne pas sombrer dans le ridicule ? Quant aux bourgeois de Gand, attablés ce soir-là dans leurs brasseries, ils se frappèrent les cuisses et se tordirent d’un énorme rire. M. Maeterlinck père devait avoir payé la forte somme à ce plumitif de Paris pour qu’il balançât aussi impudemment l’encensoir sous le nez de son
rejeton.

Origines et enfance du poète

Les Maeterlinck sont une fort ancienne famille. En l’an 1395, la Flandre fut frappée par la famine. Le bailli de Renaix organisa sévèrement le rationnement. Tous les matins, il faisait distribuer à chaque habitant les quelques mesures de blé auxquelles il avait droit. Si bien que personne, ni riche, ni pauvre, ne mourut de faim dans la ville.  L’excellent bailli fut désormais appelé Maeterlinck, ce qui veut dire le mesureur. Il fut armé chevalier et reçut un écu orné de trois petites louches et tenu par une licorne.

Les descendants de cet homme équitable prospérèrent, si bien que le père de notre écrivain, Polydore Maeterlinck, se trouvait propriétaire de vastes domaines, d’une belle maison à Gand, boulevard Frère-Orban, et de cette demeure campagnarde où l’aile de la gloire vint effleurer le jeune Maurice. Polydore employait ses nombreux loisirs à cultiver les fruits – il créa une pêche Maeterlinck et un raisin Polydore très appréciés – et à élever les abeilles, ce dont son fils devait plus tard se souvenir.

Maurice-Polydore-Marie-Bernard Maeterlinck, naquit à Gand, le 29 août 1862. Son éducation – comme c’était alors le cas dans la bourgeoisie flamande – fut purement française. Il connaissait pourtant très bien le néerlandais et devait plus tard plaider en cette langue. A douze ans, il entra au Collège Ste-Barbe, où l’avaient précédé Emile Verhaeren et Georges Rodenbach ; où il allait se trouver dans la même classe que d’autres futurs poètes, Charles Van Lerberghe et Grégoire Le Roy. Il fut un élève parfaitement médiocre. De ses six années de collège, il a dit qu’elles avaient été les moments les plus désagréables de mon existence.

Pourtant, l’enseignement ne devait pas être mauvais en cette pépinière de poètes ; mais il était entièrement axé sur la religion et, ainsi que l’a dit Van Lerberghe, la religion était une religion de mort. Pareille formation ne devait pas manquer d’étendre son ombre sur le garçonnet Maeterlinck, sur l’homme Maeterlinck.

L’obsession de la chasteté et de la pureté idéale, la terreur du péché, de l’enfer et de ses flammes, ont marqué son imagination d’enfant. “On ne devrait pas avoir le droit, dira-t-il à Georgette Leblanc, de déformer ainsi de futurs hommes.” L’inquiétude s’est installée dans son coeur, une fêlure intime dont il rend ses maîtres responsables.

Très tôt, notre potache se mit à écrire des vers. En cachette, bien sûr ; la poésie était très mal vue, tant à Ste-Barbe que dans le milieu familial. Enfin, en 1881, vint la libération. Maurice, sans trop se fatiguer, suivit les cours de la Faculté de Droit. Et surtout, il se mit à lire avec boulimie, à écrire. Il envoya ses premiers vers à de petites revues. Il se passionna pour le mystique flamand Ruysbroeck. Enfin, en décembre 1885, avec l’ami Le Roy, et sous prétexte d’aller étudier les secrets de l’éloquence judiciaire, ce fut le premier voyage à Paris.

Dans une brasserie de Montmartre

Auguste de Villiers de l’Isle-Adam © Mary Evans

Maurice se garda bien de mettre les pieds au Palais, mais fréquenta assidument les brasseries à poètes. Un soir, à Montmartre, son aîné, Georges Rodenbach le présenta à Villiers de l’Isle-Adam :

Un petit homme barbichu, blafard, tenaillé par la plus effroyable misère, et qui vivait uniquement, magnifiquement, pour son art. D’une voix blanche, cotonneuse, étouffée et déjà pareille à une voix d’outre-tombe, il nous «parlait» ses œuvres qui allaient naître. Visiblement, il essayait sur nous ses fantastiques imaginations…
Nous avons écouté certaines tirades inédites d’Axel, outre des fragments d’œuvres qui ne furent jamais écrites et qui ne vivent plus que dans notre mémoire. Il me souvient notamment d’une «Crucifixion» parodiée par des singes dont l’atroce et grandiose ironie nous faisait frissonner d’horreur. Tout cela crépitait comme des étincelles aux pointes des paratonnerres.
Ces mystères étaient célébrés à voix basse comme une messe secrète, dans un coin d’ombre d’une brasserie empestée de pipes et de relents de bière et de choucroute, dans le vacarme des conversations crapuleuses ou de l’ignoble rire des filles chatouillées, parmi les fracas des commandes de tête de veau à l’huile ou de pieds de porc, des bocks el des plats entrechoqués et de la mangeaille gloutonnement mastiquée.
Nous avions l’impression d’être les officiants ou les complices de je ne sais quelle cérémonie pieusement sacrilège, dans l’envers d’un ciel qui nous était tout à coup révélé.
A la fermeture de la brasserie, nous reconduisions Villiers à son domicile incertain, puis chacun rentrait chez soi ; les uns abasourdis, les autres à leur insu mûris ou régénérés, au contact du génie, comme s’ ils avaient vécu avec un géant d’un autre monde.
La Princesse Maleine, Mélisande et les fantômes qui suivirent attendaient l’atmosphère que Villiers avait créée en moi pour y naître et respirer enfin.

En cette brasserie enfumée de vapeurs de choucroute, le poète Maurice Maeterlinck était né.

Un as de la boxe et du vélo

Regardons-le, ce poète, avec les yeux de ceux qui l’ont vu dans sa jeunesse, dans son âge mûr. Et commençons par nous étonner de son aspect physique. Le jeune Maeterlinck vu par Georges Rodenbach d’abord :

…imberbe, les cheveux courts, le front proéminent, les yeux clairs, nets, regardant droit, la figure durement modelée – tout un ensemble indiquant la volonté, la décision, l’entêtement, une vraie tête de flamand…

Jules Renard , après l’avoir rencontré à Paris, nous le dessine ainsi dans son Journal : “Un ouvrier belge qui s’est acheté un chapeau trop petit et des culottes trop larges.” Ou encore: “Maeterlinck se balance avec son air de charpentier arrivé et satisfait.” Ce gaillard au masque de dogue, bâti en armoire à glace, se glorifie de ses “biceps gros comme des œufs de paonne” et de ses “pectoraux en bourrelets de muscles” qu’il fait tâter à la ronde, “plus fier que s’il avait écrit un chef-d’œuvre ou accompli un acte héroïque.

En 1901, il triomphe dans un championnat de poids et haltères. Il est le premier écrivain boxeur de la littérature française.

Maeterlinck, lentement, ajuste ses gants, se met en garde, de trois quarts, la tête légèrement baissée, les épaules en avant, le bras droit allongé : évidemment il va opposer son poids. Il voit clairement, bloque et donne le coup droit avec le minimum de déplacement.

A vélo, il file tel un dard, laissant loin derrière lui son amie Georgette Leblanc, le souffle perdu, épuisée, effondrée au creux d’un fossé. Plus tard, il se passionnera pour la moto et, fou de vitesse, sèmera la terreur sur les routes.

Il a une perpétuelle fringale de boisson et de nourriture – la carbonade flamande est son plat favori – une fringale de femmes aussi, et elles ne lui sont pas cruelles. A ceux qui l’approchent, il donne une impression de solidité, de sérénité indestructible. Avec cela, organisé en diable : ne supportant pas qu’on arrive cinq minutes en retard au repas. Suprêmement habile à tirer le maximum de ses droits d’auteur. Combien l’homme est différent de l’œuvre ! Si du moins l’on se contente de juger l’homme d’après son aspect extérieur.

Ce qui se cachait derrière l’athlète flamand

Roger Bodart, poète lui aussi, parle ainsi de l’apparent désaccord entre l’individu Maeterlinck et le poète Maeterlinck :

Cet homme qui goûtait mieux que nul autre les plaisirs de la table et du lit, qui ne s’est pas lassé de regarder le visible et de le dire, comme on s’est trompé en ne voyant en lui qu’un être épais, enfoncé comme un Dieu Terme, à mi-corps, dans la terre ! Certes, il goûtait tout. Mais les plaisirs qu’il prenait ne le concernaient pas. Il mangeait, buvait, caressait, mais il était ailleurs. C’est pourquoi il parlait si peu. En fait, sous l’enveloppe du robuste gaillard fier de ses muscles, il y a un être écorché, divisé, d’une sensibilité qui touche à la névrose. Georgette Leblanc, qui fut sa compagne pendant plus de vingt ans, nous le décrit ainsi au début de leur liaison : “… l’image même du trouble. Malgré sa carrure et ses fortes mains de mécanicien, ses traits m’apparaissaient comme à travers une eau qui tremble… Comment ce gaillard solide sur ses fortes jambes pouvait-il être si mal assuré ?”

Elle dit aussi qu’il fallait éloigner de lui certaines personnes : le seul son de leur voix le faisait s’évanouir. Comme l’exaspère jusqu’à l’égarement furieux le miaulement d’une chatte en folie, auquel il met fin d’un coup de pistolet entre les deux yeux de la bête. Il a peur : “… toutes les variétés de l’appréhension, celle des gens et des mols, celle du malheur qui peut venir et du coup qui peut surprendre. Il ne dormira jamais sans plusieurs armes à côté de son lit, revolver à portée de la main, couteau corse grand ouvert et fusil chargé.

Plus tard, dans la solitude d’Orlamonde, il attendra on ne sait quel ennemi, une mitraillette sur les genoux. Partout il cherche un refuge où être à l’abri de ses semblables. C’est d’abord la chère maison d’Oostacker ou le grenier de la maison familiale, rue Frère-Orban. Mais les bons bourgeois de Gand ne ratent pas une occasion de railler lourdement ce poète, ce bourgeois qui a mal tourné. Alors, dès qu’il en a les moyens, il s’enfuit vers la France. Il y habitera des demeures de plus en plus somptueuses, de plus en plus vastes : le château de Médan ; l’abbaye de Sainte-Wandrille en Normandie ; enfin le féérique palais d’Orlamonde, sur les hauteurs de Nice – qui sont autant de forteresses.

Ecoutons encore Roger Bodart : “Cet homme célèbre a toujours fui le monde. S’il a vécu dans des palais, c’était vraisemblablement moins par goût du faste que pour pouvoir préserver autour de lui de grandes étendues de solitude et de silence. Nul n’a parlé du silence mieux que lui.

Les vertus du silence

Cet homme qui se cache, qui se tait, sera le poète de l’invisible, le poète du silence. Dès sa première jeunesse, il est ce grand taiseux contemplatif dont parle Camille Lemonnier, un être qui refuse de se livrer. Louis Piérard rapporte cette anecdote : “Le romancier flamand Cyriel Buysse m’a raconté qu’adolescents, ils se rencontrèrent au patinage au cours d’un rude hiver. Ensemble, ils firent de grandes randonnées sur les canaux gelés, vers Bruges et la Hollande proche : Buysse, tout de suite, se fit connaître. Ce n’est qu’au bout de quelques jours que Maeterlinck donna son nom. « Pourquoi avoir tant tardé ? » lui demanda son compagnon. « Je ne savais pas, fit Maeterlinck, que nous deviendrions des amis».

Pourquoi dire son nom ? Pourquoi parler ? La vérité des êtres est bien au- delà des paroles. Ecoutons maintenant Maeterlinck lui-même :

Il ne faut pas croire que la parole serve jamais aux communications véritables entre les êtres… Dès que nous avons vraiment quelque chose à nous dire, nous sommes obligés de nous taire… Dès que nous parlons, quelque chose nous prévient que des portes divines se ferment quelque part… Les paroles passent entre les hommes, mais le silence, s’il a eu un moment l’occasion d’être actif, ne s’efface jamais et la vie véritable, et la seule qui laisse des traces, n’est faite que de silence.

Le regard non plus n’apporte rien d’essentiel :

On se trompe toujours lorsqu’on ne ferme pas les yeux – dit Arkel – … Nous ne voyons jamais que l’envers de nos destinées.

Maeterlinck, homme mal connu, même par ses amis, est bien placé pour savoir que ce qu’on voit, ce qu’on entend d’un être ne nous apprend pas grand chose sur sa réalité profonde. Son théâtre est celui du silence. Un théâtre où, derrière des gestes, des mots apparemment banaux, se devine une vérité mystérieuse. “Le dialogue ressemble à l’iceberg dont la part cachée est la plus grande et parfois la plus redoutable” (Georges SION).

Un théâtre où, dans ses personnages, l’auteur ne cesse de se chercher. “Préoccupé toujours du monde des ténèbres qu’il porte en lui et qu’il s’est attaché à sonder, Maeterlinck, ce poète de l’invisible, demeure toujours penché sur lui-même.” (Marcel LECOMTE).

« Un théâtre pour marionnettes »

Un théâtre de la pitié. Une pitié impuissante, désarmée. “Si j’étais Dieu, j’aurais pitié du cœur des hommes.” Voilà ce que dit Arkel, un peu avant la catastrophe : le meurtre de Pelléas, la mort de Mélisande, le désespoir de Golaud. Cette catastrophe, le vieillard ne fait rien pour l’empêcher. Que pourrait-il faire ? Il sait trop bien que le destin des hommes est incompréhensible, et les mène inexorablement vers la souffrance et la mort.

Quand, en 1918, Maeterlinck rassembla ses premières pièces, il les caractérisa ainsi dans une préface :

On y a foi à d’énormes puissances, invisibles et fatales, dont nul ne sait les intentions, mais que l’esprit du drame suppose malveillantes, attentives à toutes nos actions, hostiles au sourire, à la vie, à la paix, au bonheur. Des destinées innocentes, mais involontairement ennemies, s’y nouent et s’y dénouent pour la ruine de tous, sous les regards attristés des plus sages, qui prévoient l’avenir mais ne peuvent rien changer aux jeux cruels et inflexibles que l’amour et la mort promènent parmi les vivants. Et l’amour et la mort et les autres puissances y exercent une sorte d’injustice sournoise, dont les peines – car cette injustice ne récompense pas – ne sont peut-être que des caprices du destin.

Le théâtre de sa jeunesse – de La Princesse Maleine à la Mort de Tintagiles, de Pelléas et Mélisande aux Aveugles et à Intérieur – l’auteur l’appelle un théâtre pour marionnettes. Pourquoi ? Parce que ses personnages, si humains, si émouvants soient-ils, ne sont rien de plus que des pantins mus par les fils du destin. Ils sont pareils à ces Aveugles dont le guide, un vieux prêtre, vient de mourir subitement et qui, perdus dans une nuit glaciale, sont condamnés, l’un après l’autre, à mourir de froid. Pareils à cette famille d’Intérieur dont la fille vient de  mourir noyée ; on ramène le cadavre ; mais eux ne savent encore rien de leur malheur, par la fenêtre on les voit vaquer paisiblement aux occupations de la soirée, ignorant la fatalité qui pèse sur leurs têtes.

Deux amants immortels.

Tel est ce théâtre du désespoir, écrit par un jeune homme désespéré. Est-ce là tout l’enseignement qu’il peut nous apporter ? Non, il y a plus en lui. Voyez Pelléas et Mélisande. De cette histoire atroce est né un prodige. Que Pierre Brisson décrivait ainsi : “On doit ici à Maeterlinck une des créations les plus rares du monde. On lui doit un couple. La pièce peut disparaître un jour, Pelléas et Mélisande, joints l’un à l’autre, ont toutes les chances de traverser les âges.” Et Pierre-Aimé Touchard : “Avec « Tristan et Yseult », je ne crois pas qu’il existe de plus beau chant d’amour dans la littérature de langue française.” D’où vient ce miracle ? D’ une opération de magie qui fait découvrir la beauté au cœur même de la cruauté du monde. Au coeur de son absurdité. “Le poète, nous dit Jean-Marie Andrieu, doutant de l’immortalité de l’âme, crée des âmes, il peuple d’âmes les mondes qu’il détruit. La beauté du cérémonial fait oublier le sens de la cérémonie. La mort elle-même s’efface devant l’éclat de la jeunesse et l’ardeur de l’amour. C’est le privilège de l’artiste, lorsqu’au fond de lui-même, il refuse une réalité, d’y substituer une autre qui devient non seulement la sienne, mais la nôtre. Et s’il nous fait dire en face de l’horreur : « Non, cela n’est pas possible » , nous transformons, grâce à lui, un signe d’étonnement en une constatation. « Cela » cette horreur est devenue impossible en effet . Il n’est pas possible que Golaud ait tué Pelléas. Et Mélisande n’est pas morte.

Après « Pelléas… »

Quelques quatre années après avoir écrit Pelléas et Mélisande, Maeterlinck rencontra la cantatrice et comédienne Georgette Leblanc – la sœur du créateur d’Arsène Lupin – qui fut sa compagne pendant vingt ans. Cette femme débordante d’activité, de projets et d’extravagances, le monstre sacré 1900 en toute sa splendeur, eut du moins le mérite de comprendre ce grand gaillard torturé, de lui apporter un nouvel équilibre. Elle le sortit des marais du désespoir, du nihilisme et lui enseigna les vertus de l’action.

De longues conversations entre les deux amants sortit La Sagesse et la Destinée (1898) où on lit :

Au fond, si l’on avait le courage de n’écouter que la voix la plus simple, la plus probe, la plus pressante de sa conscience, le seul devoir indubitable serait de soulager autour de soi, dans un cercle aussi étendu que possible, le plus de souffrance que l’on pourrait.

La pitié impuissante du vieil Arkel devient fraternité agissante. C’est dans ce sens qu’au début de l’année 1914, Maeterlinck va consacrer une petite  fortune à venir en aide aux mineurs en grève du Borinage.

Car il est devenu riche et il le sera de plus en plus. Georgette Leblanc est, pour lui, un merveilleux service de relations publiques. Elle joue et fait jouer ses pièces, lui en fait écrire d’autres : Sœur Béatrice, Monna Vana, L’Oiseau Bleu… Elle l’aiguille vers les essais d’une philosophie, que certains trouveront simpliste, mais qui apporte à des centaines de milliers de lecteurs un souffle de sérénité et d’espoir. C’est Georgette encore qui pousse Maurice à entreprendre les fameuses études sur les insectes – très appréciées par ce connaisseur qu’est Jean Rostand – : La Vie des Abeilles, La Vie des Termites, La Vie des Fourmis. C’est elle aussi qui provoque l’épique bagarre entre Maeterlinck et Debussy, à propos de Pelléas et Mélisande, et dont nous parlons plus loin. Mais on peut lui pardonner ce pittoresque esclandre, pour tout le bien qu’elle fit, par ailleurs, à son ami.

Maeterlinck par Franz Masereel

Ils se séparèrent. Maeterlinck épousa la charmante Renée Dahon. Le roi Albert fit de lui un Comte Maeterlinck. En 1911 , il avait reçu le Prix Nobel. Ses livres étaient traduits dans toutes les langues et se vendaient par millions d’exemplaires. Il acheta Orlamonde, que l’on dirait le rêve de pierre d’un roi dément. Et s’y terra.

Un entracte : le départ aux Etats-Unis, pour fuir les Nazis qu’il détestait. Puis aussitôt que possible, le retour à Orlamonde, où le Comte Maurice Maeterlinck mourut le 6 mai 1949, à l ‘âge de quatre-vingt-six ans. Le 24 avril 1976, un article de Carlo Bronne, paru dans Le Soir, nous alertait : “Que vont devenir les cendres du poète ? Elles reposaient où il a vécu. Orlamonde serait sur le point d’être aménagé en casino, ce qu’il devait être à l’origine. L’urne funéraire ne peut voisiner avec les tables de jeu, les frigos et les machines à sous. Verhaeren a son tombeau au bord de l’Escaut ; Maeterlinck doit réintégrer la terre qu’il aimait.


Histoire d’une pièce et d’une partition : Pelléas et Mélisande

Maeterlinck trouve un metteur en scène. En cette décennie 1890, le phare du théâtre vivant en France était Antoine. On demanda à Antoine : « Pourquoi ne montez-vous pas une pièce de ce jeune Maeterlinck dont on parle tant ? Il répondit : « Ce n’est pas du tout pour moi ».

En quoi il avait raison. Antoine, c’est le naturalisme, le réalisme, la tranche de vie ; les vrais quartiers de bœuf en scène, si l’on est censé se trouver dans une boucherie ; de vraies poules picorant et caquetant, si l’on est dans une cour de ferme. Exactement le contraire de ce que tentait le poète gantois. Il fallait, pour jouer les pièces de Maeterlinck, un metteur en scène, un animateur tout neuf. Maeterlinck le trouva : il s’appelait Aurélien Lugné-Poe, venait à peine de passer la trentaine et, avec quelques jeunes enthousiastes avait fondé une nouvelle compagnie, le Théâtre d’Art. Cette troupe, il voulait la mettre au service de la poésie. Maeterlinck était son homme.

Maeterlinck vint donc à Paris. Généreusement, Lugné-Poe et son amie Suzanne Després lui offrirent leur lit, tandis qu’ils se contentaient d’un matelas par terre, dans le couloir. Ah ! Lugné-Poe devait s’en souvenir de cette nuit-là ! “Il était costaud, le grand flamand ! Soudain son lit craqua, cassa et dans un fracas, le sommier s’écroula sur le sol. Maeterlinck se rendormit cependant de sa belle âme, tandis que nous restâmes plus d’un an sans lit.” Une grande amitié venait de naître.

Pelléas… sera-t-il créé sans décors ?

On commença avec L’intruse, un acte tout en demi-teintes, en silences, où, sans presque qu’on s’en aperçoive, la Mort pénètre dans une maison et vient y chercher sa proie. Cette courte pièce avait été admise, un peu comme bouche-trou, dans une soirée composée d’autres œuvres. “On nous avait placé à la fin – dit Lugné-Poe – , pour que, si le programme était trop long, on pût nous balancer.” Le spectacle n’était pas trop long, heureusement. Et, ô surprise ! “L’intruse, commencée devant l’apathie du public, réveilla cette salle assoupie, fut un triomphe et, le lendemain, tout Paris parlait de cet étonnant et tragique flamand sur lequel coururent des histoires fantastiques.”

Après L’intruse vinrent Les Aveugles, encore un acte. Enfin, de sa solitude d’Oostacker, Maeterlinck apporta une œuvre nouvelle et assez longue pour être jouée seule, Pelléas et Mélisande.

Hélas! au Théâtre d’Art, Lugné-Poe n’était pas seul maître à bord. Il dépendait d’un Comité de Direction qui émit ce jugement : “Pièce incompréhensible. Par exemple, sans décors !” Pas un sou donc pour les décors. Pourtant il en fallait des décors ! Maeterlinck venait d’arriver de Gand, lui-même fort démuni : ses parents commençaient sans doute à trouver que leur jeune poète leur coûtait fort cher. En vain, Lugné-Poe courut-il tout Paris pour obtenir un subside. Ce fut son excellent papa qui sauva la situation. Cet homme admirable consentit un prêt de 200 F (à peu près 20.000 de nos francs). Tout était sauvé ! “J’entends encore Maeterlinck me dire : Quel bon type que ton père !”

Où les cheveux de Maeterlinck poussent prodigieusement

La première fut donnée le 17 mai 1893, dans la salle des Bouffes-Parisiens. En matinée, car le soir, on jouait un vaudeville, Madame Suzette. Octave Mirbeau – toujours lui ! – avait battu Je rappel dans L’Echo de Paris : “Une belle et hautaine manifestation d’art dramatique, d’art simple et profond aura lieu dans quelques jours.” La salle avait ses îlots de partisans fougueux : des peintres, des écrivains, Georges Clemenceau et Léon Blum et un jeune compositeur fort effacé, un nommé Claude Debussy. Quelques noyaux d’adversaires farouches aussi, avec comme centre de ralliement la bedaine de M. Francisque Sarcey, ennemi déclaré de tout ce qui n’était pas bien français, zélateur de la pièce bien faite à la Scribe ou à la Victorien Sardou. La journée allait être rude.

Pendant cette matinée sensationnelle, Maeterlinck alla tourner trois ou quatre fois dans les rues avoisinant le Palais Royal. Ses cheveux, il nous le dit ensuite, avaient démesurément poussé pendant la matinée. C’était un phénomène assez curieux, chaque fois que Maeterlinck, énervé par une représentation, venait à Paris, ses cheveux croissaient en quelques heures au point qu’il devait ensuite passer chez un coiffeur…

Le rideau se leva. Notons les deux principaux éléments de la distribution : Mélisande, Mlle Meuris et Pelléas, Mlle Marie Aubry (curieuse époque où les rôles de jeunes premiers – que ce fût Pelléas, Lorenzaccio, Hamlet ou l’Aiglon – étaient tenus par des comédiennes !).

Succès à Paris, à Bruxelles, à Liège…

Ce fut un grand succès. Une sensation véritable, note Antoine, qui pourtant n’avait guère de tendresse pour la nouvelle école. Un délire ! dira Mallarmé. Bien sûr, Francisque Sarcey, dans sa chronique du Temps, ne pouvait que ronchonner : “On sort de ces ténèbres parfaitement abruti, comme si l’on avait une calotte de plomb sur la tête. Ah ! j’ai revu l’air libre avec volupté ! Si l’on m’y repince à entendre une pièce de Maeterlinck ! On commence à nous ennuyer terriblement avec ces exhibitions dithyrambiques de génies belges, norvégiens ou suédois, quand nous avons chez nous tant de gens de talent que l’on affecte de mépriser ou de blaguer.

N’empêche, la pièce était lancée. Le 5 juin, Lugné-Poe venait la présenter au Théâtre du Parc, à Bruxelles. Ecoutons le témoignage de l’ami Van  Leerberghe : “Toute la légion était là pour défendre l’œuvre de Maeterlinck contre l’éternel ennemi, le bourgeois, qui lui aussi était venu en grand cortège. La victoire pour nous a été facile…

Puis la tournée se prolongea : à Liège, en Hollande, au Danemark , en Norvège, à Londres. Sans compter un retour en force à Paris. Des traductions furent jouées en Allemagne, en Angleterre, en Amérique. Puis vint le triomphe du Maeterlinck essayiste, avec Le Trésor des Humbles et La Sagesse et la Destinée. On reprit Pelléas et Mélisande, dans le monde entier. Quand arriva à cette pièce à succès la plus étonnante, la plus imprévue des mésaventures…

Maurice somnole, tandis que Georgette s’exalte

En août 1893, trois mois a près la première de Pelléas, Maeterlinck reçut de son ami , le poète et romancier Henri de Régnier cette lettre : “Mon ami Claude Debussy, qui est un musicien du plus fin et du plus ingénieux talent, a commencé sur Pelléas et Mélisande des musiques charmantes qui en enguirlandent le texte délicieusement, tout en le respectant scrupuleusement. Il voudrait, avant de pousser plus avant ce travail qui est considérable, avoir l’autorisation de le poursuivre.

Fort curieusement, Maeterlinck , dont la langue est la plus musicale qui soit, n’entendait rien à la musique. L’affaire lui parut de piètre importance. On lui envoya quelques papiers, qu’il signa sans les lire. Puis il se hâta de penser à autre chose. Sur ce, il fit la connaissance de Georgette Leblanc. Il l’aima avec une passion fougueuse et partagée, non exempte de tempêtes cependant. Il alla l’applaudir à tout rompre, quand elle chanta le rôle de Carmen à l’Opéra-Comique. Enfin, chassé par les clabauderies des bourgeois gantois, il vint s’installer avec elle, dans une très confortable maison, rue Raynouard, à Passy.

C’est là qu’un jour de la fin de 1901, vint sonner Claude Debussy, sa partition
sous le bras. Maurice et Georgette s’assirent. Debussy se mit au piano – un piano droit, placé contre le mur, ce qui fort heureusement l’empêchait de voir ses auditeurs – et se mit à jouer. Pour l’infortuné Maeterlinck, cette dégoulinade de sons n’avait aucune signification. Il s’agita, s’assoupit, se réveilla, alluma sa pipe, attendit que ce fût fini.

Les sentiments de Georgette étaient différents : “…quand le prélude de la mort de Mélisande arriva, je ressentis cette émotion spéciale, unique, que nous éprouvons en présence des chefs-d’œuvre : notre vie semble se détacher de nous, quelque chose s’arrête… nous sommes suspendus dans un monde inconnu où nos expressions n’ont plus de sens.” Sa décision était prise : elle serait la Mélisande de Maeterlinck et de Debussy.

Epouvantable fureur d’un Gantois

En effet, tout sembla s’arranger pour satisfaire ce désir. Georgette alla, trois ou quatre fois, répéter chez Debussy, qui semblait ravi. Déjà la pièce était inscrite à l’affiche de l’Opéra-Comique. Quand, un matin, Maeterlinck lut dans son journal cette nouvelle stupéfiante : “MM. Claude Debussy et Albert Carré, directeur de ]’Opéra-Comique, avaient confié le rôle de Mélisande à une jeune cantatrice américaine, Mlle Mary Garden.”

La colère du terrible Gantois fut effroyable. Déjà il avait empoigné sa plus lourde canne et rugissait : “Je m’en vais donner quelques coups de bâton à Debussy pour lui apprendre à vivre !” Georgette, échevelée, s’accrocha à lui ; il se dégagea ; et comme elle lui barrait le chemin de la porte, il sauta par la fenêtre (on était heureusement au rez-de-chaussée). Il entra chez le compositeur comme une trombe, le gourdin brandi. Le voyant si formidable, le pauvre Debussy se pâma dans un fauteuil. La jeune et charmante Mme Debussy, éperdue, se rua sur son mari , un flacon de sels à la main. Que pouvait faire Maeterlinck devant une scène aussi touchante ? Il tourna les talons.

Cependant il ne décolérait pas. Et d’autant plus que les papiers qu’il avait signés – il s’en apercevait seulement maintenant – le privaient de tout droit de regard sur la distribution . Il parlait de provoquer tout le monde en duel. Enfin il mit la main à la plume et écrivit au Figaro une lettre, où l’on trouvait ces paroles vengeresses :

Cette représentation aura lieu malgré moi, car MM. Carré et Debussy ont méconnu les plus légitimes de mes droits… En un mot, le « Pelléas » en question est une pièce qui m’est devenue étrangère, presque ennemie ; et dépouillé de tout contrôle sur mon œuvre, j’en suis réduit à souhaiter que sa chute soit prompte et retentissante.

Une salle houleuse autant que partagée

Mary Garden dans le rôle de Mélisande

Si l’on compare aujourd’hui des photos de la juvénile et frêle Mary Garden, et d’une Georgette Leblanc aimablement rebondie, on comprend assez le choix de Debussy et de Carré. Et d’autant plus que la voix de Mary Garden était exquise et tout à fait dans le ton qu’il fallait. Mais notre Maeterlinck, aveuglé par l’amour, sourd à toute musique, était bien en peine de comprendre cela. Du moins avait-il le mérite maintenant de se retirer de la bataille.

Une bataille qui ne faisait que commencer. A trente-neuf ans, Debussy était encore quasi-inconnu. La plupart des pontifes de la musique française considéraient ses œuvres non seulement comme révolutionnaires, mais encore parfaitement inaudibles. Son caractère ombrageux, sa susceptibilité maladive n’avaient guère arrangé les choses. Seul l’appréciait un milieu très  limité d’écrivains et de poètes – Mallarmé, Pierre Louys, Paul-Jean Toulet, André Gide, Paul Valéry… – ainsi  qu’une poignée de jeunes enthousiastes. Tous étaient là, le 28 avril 1902, jour de la générale – y compris les inévitables Léon Blum et Clemenceau -. Mais aussi une foule de mondains et de snobs, avides de voir manger le dompteur, et bien décidés à ne pas donner le dernier coup de dent. “L’hostilité des autres nous poissait les mains“, dira Paul Valéry.

André Messager était au pupitre. Il leva sa baguette. Le prélude et le premier acte furent écoutés dans le silence. “Ce fut le coup de foudre – dit le poète Fernand Gregh –. Dès les premières mesures, j’eus la révélation, et, si je puis dire, l’éblouissement de cette musique absolument nouvelle, à la fois sensible et intelligente, aiguë et tendre, originale et harmonieuse, divine. Je bus comme un homme altéré les beaux accords du début, sourds, profonds, troublés d’infini, l’admirable thème de Mélisande si nostalgique dans son tendre balancement, le grand cri de Golaud devant la femme : « Oh ! vous êtes belle ! » , le sanglot chuchoté de la petite fille peureuse : « Ne me touchez pas ou je me jette à l’eau », que Mary Garden chantait, avec ce rien d’accent anglais qui lui donnait vraiment l’air d’un « oiseau qui n’est pas d’ici ».

Les amis de Debussy comme ceux de Maeterlinck, infidèles aux consignes  données par l’écrivain – d’ailleurs la plupart du temps, c’étaient les mêmes : Octave Mirbeau en tête, comme il se doit – pouvaient croire la partie gagnée. Ils ne perdaient rien pour attendre.

Le charivari se déchaîne

Dès le deuxième acte, les cris d’oiseau, les réflexions incongrues s’élèvent de la salle. Pendant la scène du souterrain, un petit malin s’écrie : « Y a donc pas le gaz ? Fallait prendre une lampe pigeon ! » La scène des cheveux est saluée par cette réplique spirituelle: « Son petit beau-frère va la distraire, quand il aura fini de faire le coiffeur ! » Et quand Mélisande, après avoir été brutalisée par Golaud , soupire : « Je ne suis pas heureuse ! », on lui répond du parterre : « Hé, viens avec moi, c’est moins brutal ! »

Les Debussystes ne manquent pas de passer énergiquement à la contre-offensive. Ils applaudissent à s’en rompre les paumes, acclament, et par contre, conspuent les opposants. L’un de ceux-ci est bien puni de sa goujaterie : un étui à lorgnette, lancé d’une main sûre, vient lui fendre l’arête du nez; on l’emporte, tout sanglant. A une dame qui , à côté de lui, ricane: « Musique de jean-foutre ! », le poète Robert de Montesquiou réplique superbement: « Madame, je voudrais que jean-foutre eût un féminin pour vous répondre ! »

Au dernier baisser de rideau, c’est le pandémonium : ovations délirantes et huées, coups de sifflet stridents et hourras. Aux gens bien intentionnés qui viennent le sommer, « au nom de l’opéra français», d’interrompre les représentations, Albert Carré répond : « Mais je n’y songe pas. Nous recommençons après-demain, et nous continuerons aux dates prévues. »

Les « Pelléastres »

Les représentations suivantes furent mieux accueillies. Grâce surtout à une garde fidèle de jeunes qui se faisaient un devoir de venir, chaque soir, susciter l’enthousiasme. Marie-Jeanne Viel cite cette lettre d’un de ces vibrants Pelléastres à un autre : “Mon cher ami, il m’est impossible de pelléer ce soir ; mais je délègue mon ami P.L. qui hurlera au nom de la collectivité. Croyez-moi votre sincère frère en Debussy.”

Pourtant, ces héroïques soldats étaient bien mal récompensés par leur idole. Trop méfiant et trop peu sociable pour entrer en contact avec cette généreuse phalange – où Ravel allait, par contre, recruter ses meilleurs amis – , Debussy ne connut jamais ces étudiants, ces peintres, ces poètes, ces employés, ces artisans, ces élèves du Conservatoire, qui se battaient pour lui avec tant de flamme. Qui se battaient pour Debussy, mais aussi pour Maeterlinck, car les deux hommes étaient l’objet d’une identique ferveur, d’une conjointe admiration. La gloire du compositeur débordait amplement
sur l’écrivain, cet écrivain si furieux et qui avait voué l’œuvre commune au désastre.

« …une œuvre dramatique qui aurait pu se passer de musique… »

En quoi, il n’avait peut-être pas tout à fait tort. Certes, on ne peut que se rallier à l’avis d’Herman Closson, qui voit dans le Pelléas de Debussy : “… un des sommets de la musique contemporaine… une œuvre profondément inspirée… On y cherche en vain l’indice d’un vieillissement, d’une prochaine désagrégation.” Ce qui n’empêche pas de partager aussi l’opinion de Pierre-Aimé Touchard : “La façon dont Maeterlinck a été dépossédé par Debussy de son chef-d’œuvre représente un cas unique dans la littérature dramatique… On ne joue plus Pelléas sans l’accompagnement de sa partition musicale, et il semblerait à beaucoup sacrilège de vouloir le sacrifier. Or, s’il est une œuvre dramatique qui aurait pu se passer de musique, c’est bien celle-là, dont la prose est par elle-même une des plus exaltantes musiques qu’ait pu créer la langue d’un écrivain.

C’est bien l’avis du Théâtre National qui, pour la deuxième fois en sa carrière, vous présente, non pas l’opéra, mais cette pièce qui, en elle-même, est un opéra.

Luc ANDRÉ


Quelques Pelléas… sans Debussy

Contrairement à ce qu’assure Pierre-Aimé Touchard, Pelléas et Mélisande a été maintes fois repris sans la musique de Debussy. Et particulièrement en Belgique. Nous devons à l’excellent homme de théâtre qu’est Adrien Mayer, ce recensement des dernières reprises de la pièce, dans notre pays.

      • Palais des Beaux-Arts (avril 1935) : Renée Maeterlinck (Mélisande) ; Jean-Pierre Aumont (Pelléas) ; René Alexandre (Golaud) ; Paul Gerbault (Arkel).
      • Théâtre des Galeries (novembre 1936): Renée Maeterlinck (M.) ; Charles Gontier (P .); Max Péral (A.); mise en scène de Max Péral.
      • Palais des Beaux-Arts (décembre 1942): Marthe Dugard (M.); Raymond Gérôme (P.); Maurice Auzat (A.) ; mise en scène d’André Bernier.
      • Théâtre National (1949) : Jacqueline Huisman (M.); Yvan Dominique (P.) ; Marcel Berteau (G.) ; Maurice Auzat (A.) ; mise en scène de Jacques Huisman.
      • Compagnie des Galeries au château de Beersel (été 1956): Marcelle Dambremont (M.) ; Jean-Claude Weibel (P.) ; André Gevrey (G .) ; mise en scène de Marcelle Dambremont.
      • Signalons enfin que Pelléas et Mélisande a fait l’objet d’une excellente émission de la Télévision belge, en décembre 1974. Lucien Binot avait fait de la pièce une très fidèle adaptation, réalisée par Joseph Benedek. Décors : Serge Creuz. Distribution : Sophie Barjac (M.) ; Philippe Morand (P.) ; Pierre Bianco (G.); Henri Bilien (A.).

Les illustrations originales du programme, la distribution de la pièce, les notes de bas de page et les notes bibliographiques sont disponibles dans la DOCUMENTA.

 


Plus de scène…

Qu’est-ce que la synthwave ?

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Depuis quelques années, la synthwave est partout. Elle est sortie de l’underground pour s’inviter dans les plus grands festivals métal. Certains artistes n’hésitent pas à surfer sur la vague comme le groupe Muse qui en a injecté – avec plus ou moins de réussite – dans son album Simulation Theory de 2018.  La synthwave s’exporte aussi dans l’univers des séries TV : on la retrouve dans la BO de la série Netflix Stranger Things ou encore au générique de la saison 9 de la série anthologique American Horror Story dont l’action se déroule en 1984. Elle a également fait l’objet, en 2019, d’un documentaire réalisé par Ivan Castell – avec la présence de John Carpenter à la narration – intitulé The Rise Of The Synths. D’un genre plutôt confidentiel au départ, la synthwave est quasiment devenue “mainstream” notamment grâce à ses liens étroits avec la pop culture, en particulier le cinéma et les jeux vidéo.

D’après le site spécialisé Synthspiria, la synthwave peut se définir comme “une reprise et inspiration des genres employant des synthétiseurs, des boîtes à rythmes et autres instruments des eighties en y ajoutant des sonorités modernes issues de la musique électronique.”  Ce mouvement commence à émerger – sans pour autant être appelé “synthwave” – au début des années 2000 notamment grâce à l’influence de la scène électro française avec des groupes tels que Daft Punk ou Justice. Mais c’est en 2005 qu’elle prend son essor, là encore à travers des artistes français comme Kavinsky et son EP Teddy Boy, sorti sur le label Record Makers, fondé par les membres du groupe Air. On peut également citer Secret Diary (2008) de College (qui fait partie du collectif français Valerie) ou encore l’album Cosmos (2004) du duo américain Zombi pour le versant plus sombre.

Le succès du film Drive en 2011, va donner un sérieux coup de projecteur au genre, et particulièrement à l’une de ses branches, l’outrun c’est-à-dire la synthwave de la route. Sur la bande originale du film, on retrouve Kavinsky avec son désormais célèbre Nightcall ainsi que College et Electric Youth pour le titre A real Hero. Depuis, le genre connait différentes variantes parmi lesquelles la darksynth, la dreamwave, la vaporwave ou encore la cybersynth. De nombreux artistes ont émergé, avec une grosse mouvance française emmenée par Perturbator, Carpenter Brut, Dan Terminus, Absolute Valentine, Tommy 86, Volkor X, Carbon Killer ou encore Fixions. Mais la synthwave n’est bien sûr pas un genre uniquement français, on peut également citer les Américains GosT, Dance With The Dead et Arcade High, les Australiens de Power Glove ou encore les artistes du collectif Rosso Corsa, présents dès le début des années 2010.

Plusieurs labels se sont également engouffrés dans la brèche : le label de métal finlandais Blood Music a signé certains des plus gros artistes de la scène, les Marseillais de chez Lazerdics Records sont dans la course depuis 2016 ou encore la grosse machine new-yorkaise NewRetroWave, célèbre pour sa chaîne YouTube et ses clips à l’esthétique très 80’s.  En effet, la synthwave est un genre musical très référencé et le visuel y a une importance particulière, notamment à travers son imagerie rétro puisée dans les années 1980/1990. Musicalement, les synthés des années 1980, l’italo-disco ou encore les bandes-originales de films ont eu une influence indéniable sur le mouvement. Au final, on peut dire que la synthwave puise ses racines dans la nostalgie de la pop culture de ces années-là pour mieux les retranscrire en musique.

L’une des principales inspirations de l’esthétique synthwave vient du cinéma des années 1980, particulièrement des films de science-fiction ou d’action américains de cette époque. Les films de John Carpenter ainsi que ses bandes-originales reviennent régulièrement lorsque les artistes sont interrogés sur leurs influences. L’exemple le plus flagrant est celui du pseudonyme de Carpenter Brut qui est un hommage on ne peut plus clair au maître incontesté de l’horreur. Le musicien vient d’ailleurs de signer la bande originale de Blood Machines, un film de science-fiction qui se situe dans un univers aux forts accents 80’s et à l’esthétique cyberpunk, et qui constitue la suite de la vidéo de son titre Turbo Killer. Pour Volkor X aussi, l’influence de Carpenter est présente, il a d’ailleurs sorti un remix de “John Carpenter’s The Fog”. Quant à Kavinsky, il a mentionné l’importance de la  BO du film Christine dans son appréhension de la musique : “Pour moi, la musique se rapproche du cinéma. Pour faire un disque, il me faut un fil rouge, un sujet. J’ai une passion pour les BO. J’ai d’abord découvert la musique de Christine […] représentation parfaite de la relation entre un homme et sa machine. Elle était simple, honnête et minimaliste. Juste ce qu’il faut pour que ça colle avec les images.” 

Outre l’évocation quasi unanime de Carpenter, c’est plus généralement le cinéma d’action et de science-fiction des années 1980 qui a marqué un certain nombre d’artistes. Le nom de Perturbator vient d’ailleurs de là, comme il l’explique : “Je voulais qu’il rappelle l’horreur et le cinéma d’exploitation, façon années 1980 : Predator, Terminator, Annihilator, Vindicator.” Volkor X a, quant à lui, tiré son pseudonyme de la série télévisée japonaise San Ku Kai. Sur son premier album Code 403, Jack Maniak glisse des références à quelques films cultes de la pop culture tels que Gremlins ou Terminator 2  alors que chez Absolute Valentine, ce sont les films Robocop et The Crow qui ont eu de l’importance. Le cinéma d’horreur a également occupé une grande place pour plusieurs musiciens, c’est le cas du groupe Dance With The Dead ainsi que de GosT, à tel point que ce dernier n’hésite d’ailleurs pas à qualifier sa musique de slasherwave, faisant ainsi écho aux “slasher movies”. Pour lui, l’œuvre majeure est Nightmare On Elm Street (les Griffes de la Nuit) de Wes Craven sorti en 1984. L’influence du cinéma pour les artistes synthwave se ressent particulièrement dans leur musique, qui s’appréhende souvent comme “une bande-son pour des films imaginaires”, pour reprendre les propos du superviseur musical John Bergin issus du documentaire The Rise Of The Synths.

Outre le cinéma, l’univers cyberpunk est particulièrement lié à celui de la synthwave, à tel point qu’il existe même un courant spécifique nommé la cybersynth ou cyberpunk, emmené par des artistes tels que Dan Terminus, Glitch Black ou encore Fixions. Du roman Neuromancien de William Gibson en 1984, aux mangas tels que Ghost In The Shell et Akira, en passant par le cinéma avec le film Blade Runner de Ridley Scott en 1982, cet univers a été une source d’inspiration très importante pour de nombreux musiciens. D’ailleurs, Blade Runner a profondément marqué James Kent pour son projet Perturbator : “Ça a été une assez grosse révélation cinématographique pour moi, et qui a énormément déteint sur ma musique, sur Perturbator plus particulièrement.”  Pour Dan Terminus, “tout ce qui est cyberpunk en matière de littérature et de films… ça ce sont des sources d’inspiration.” Son premier album, The Darkest Benthic Division sorti en 2014, est d’ailleurs un hommage direct à Blade Runner, dans la mesure où il évoque une histoire parallèle au film de Ridley Scott. Il en va de même sur The Wrath Of Code (2015), qui raconte une histoire originale cyberpunk. [lire la suite de l’article de Vänessa LOBIER sur OBSKURE.COM)]


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PIERRE, Alain (né en 1966)

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Grâce à des noms tels que Kurt Rosenwinkel, Bill Frisell et Jakob Bro, la guitare électrique est plus que jamais à l’honneur dans le jazz. Alain PIERRE (né en 1966) s’en tient à la guitare acoustique classique et à la guitare à douze cordes. “Pour moi, c’est le moyen idéal pour incorporer mes sentiments personnels de la façon la plus optimale dans ma musique.”

Il étudie tant au Conservatoire de Liège qu’à celui de Bruxelles et donne lui-même cours depuis de nombreuses années. En tant que compositeur, il travaille pour les formations les plus diverses, allant de duos et trios aux ensembles vocaux et quartets à cordes. Il est surtout un musicien très demandé sur des projets extrêmement variés.

Voici quelques-unes de ses récentes collaborations :

Citons aussi de nombreux projets et/ou enregistrements en duo avec entre autres Peter Hertmans, Steve Houben et Guillaume Vierset, sans oublier qu’il a fondé groupe belgo-tunisien Anfass. Et pour finir, il y a bien entendu son tout dernier groupe Tree-Ho! avec le bassiste Félix Zurstrassen (LG Jazz Collective, David Thomaere Trio, Urbex) et le batteur Antoine Pierre (Taxi Wars, Urbex, Philip Catherine, LG Jazz Collective). [lire la suite sur JAZZ.BRUSSELS]

Alain Pierre © Arnaud Ghys (recadré)

Alain PIERRE joue en duo avec Peter Hertmans dans un répertoire constitué de compositions personnelles ainsi que de musiciens des années 70. Il donne également des concerts en solo (dernier CD paru : “Sitting In Some Café” – Spinach Pie Records SPR 103).

Il est membre du projet “Les 100 Ciels de Barbara Wiernik” qui réunit le noyau dur et le répertoire des groupes dans lesquels chante Barbara : “Barbara Wiernik Soul of Butterflies“, “PiWiZ” de Pirly Zurstrassen, “Acous-Trees” d’Alain Pierre et “Murmure de l’Orient” de Manu Hermia agrémentés d’un quatuor à cordes et d’un clarinettiste de l’Ensemble “Musiques Nouvelles”. La direction artistique et les arrangements sont confiés à Pirly Zurstrassen et Alain Pierre.

Il a formé “Alain PIERRE Special Unit“, jouant ses propres compositions avec Barbara Wiernik (voix), Toine Thys (Saxes, Clarinette Basse), Félix Zurstrassen (Basse) et Antoine Pierre (Drums). Il a également fondé “Acous-Trees”, jouant ses compositions avec Barbara Wiernik (Voix), Pierre Bernard (Flûtes), Olivier Stalon (Basses électrique et acoustique), Frédéric Malempré (Percussions) et Antoine Pierre (Drums).

En 1999, il a fondé le groupe belgo-tunisien Anfass avec le guitariste tunisien Fawzi Chekili, Steve Houben et le joueur de ney tunisien Hichem Badrani (CD “Anfass” – Igloo IGL 148) avec les compositions d’Alain Pierre et de Fawzi Chekili. Il figure aussi sur le CD “Dolce Divertimento” avec ses compositions en duo avec Steve Houben.

Alain Pierre a effectué plusieurs tournées avec ces différents projets en Europe mais aussi Tunisie, Maroc, Nigéria, Bénin, République Démocratique du Congo, Inde et Vietnam. Il enseigne la guitare et l’improvisation et la composition au Conservatoire de Huy depuis 1987 et lors de stages d’été (AKDT de Libramont, Tunisie, République Démocratique du Congo). Il enseigne la lecture jazz et le jeu d’ensemble jazz au Conservatoire royal de Bruxelles depuis 2015. [d’après CONSERVATOIRE.BE]

  • image en tête de l’article : Alain Pierre © Arnaud Ghys

Visiter le site d’ALAIN PIERRE…

 


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IONATOU, Angelikí, dite Angélique Ionatos (1954-2021)

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Angeliki IONATOU, mieux connue sous le nom de scène d’Angélique Ionatos, s’en est allée dans l’indifférence la plus totale. Elle naît à Athènes en 1954. En 1969, elle a quinze ans lorsque sa famille fuit la dictature des Colonels, alors au pouvoir en Grèce, pour s’établir en Belgique, puis en France. Guitariste, compositrice et interprète, elle enregistre avec son frère Photis un premier album Résurrection, paru en 1972, désigné Grand Prix du disque par l’Académie Charles-Cros.

Ses compositions, chantées en grec ou en français dans un esprit traditionnel, s’inspirent de la poésie et ont pour principaux thèmes l’amour, la mort et la mer (Méditerranée). À chaque album correspond un spectacle et des musiciens différents selon l’oeuvre ou le thème. Pour la cantate Marie des Brumes (1984) et les recueils Le Monogramme (1988) et Parole de Juillet (1996), elle met en musique les poèmes du Prix Nobel de littérature Odysséas Élytis.

En 1989, Angélique Ionatos s’associe avec le Théâtre de Sartrouville pour l’élaboration de ses spectacles, créés jusqu’en 2000 en coproduction avec le Théâtre de la Ville à Paris, puis en tournée sur les scènes françaises et européennes. L’album Sappho de Mytilène (1991), réalisé avec la chanteuse Nena Venetsanou, est consacré aux vers de la poétesse de l’Antiquité grecque (VIIème siècle avant Jésus-Christ). L’Académie Charles-Cros couronne pour la seconde fois l’artiste.

Après la parution d’Ô Erotas, en 1992, la musicienne pose sa voix grave sur une partition inédite du compositeur Mikis Theodorakis, Mia Thalassa, dédiée à la mer et publiée en 1995. L’année 1997 voit la création de l’opéra pour la jeunesse La Statue merveilleuse, d’après Oscar Wilde. En 2000 suit l’album D’un Bleu Très Noir, et trois ans plus tard, la mise en musique de pages du journal de Frida Kahlo pour le spectacle Alas Pa’Volar (Des ailes pour voler), qui donne lieu à un enregistrement.

Angélique Ionatos poursuit son chemin singulier par le spectacle Athènes-Paris, créé en 2005 au Théâtre du Châtelet, puis l’album hispanique Eros y Muerte (2007), sur des poèmes de l’écrivain chilien Pablo Neruda. Elle se produit ensuite avec la chanteuse et guitariste Katerina Fotinaki, qui l’accompagne sur l’album Comme Un Jardin Dans la Nuit, paru en 2009. En 2013, son spectacle Et les rêves prendront leur revanche est présenté au festival d’Avignon. D’un projet à l’autre, l’artiste présente son tour de chant Anatoli et la pièce de Jean-Pierre Siméon Stabat Mater furiosa, puis enregistre l’album Reste la Lumière, paru en 2015.” [d’après P.L. Coudray]


“Il est des pays dont l’histoire dramatique donne naissance à des exilés magnifiques. C’est le cas de la Grèce, où naît, en 1954, Angelikí Ionátou, plus connue sous son nom francophone, Angélique Ionatos. Car si elle a chanté et mis en musique les plus fines lettres grecques, dont les mots du prix Nobel de littérature Odysseas Elytis, c’est bien en Belgique et surtout en France qu’elle sera surtout connue. Et c’est aux Lilas, en Seine-Saint-Denis, qu’elle s’est éteinte mercredi 7 juillet, quelques jours après avoir fêté son 67e anniversaire. 

Le succès, Angélique Ionatos le rencontre rapidement. Née à Athènes, elle a 15 ans lorsqu’elle arrive à Liège, en Belgique, fuyant avec sa mère la dictature des colonels, et tout juste 18 ans à la sortie de son premier disque, Résurrection, qui remporte le prix de l’Académie Charles-Cros. Deux autres prix de la prestigieuse académie ponctueront une riche discographie, comportant une vingtaine d’enregistrements. Le dernier en date, Reste la lumière, est paru en 2015. 

Avec d’autres artistes comme Mikis Theodorakis, dont la rencontre fut déterminante pour sa carrière musicale, Angélique Ionatos fut une étoile de la diaspora grecque en France, contribuant inlassablement à la connaissance de sa culture. “Je compose très rarement en mode majeur, se confiait-elle, dans “A voix nue” sur France Culture. J’ai une tendance à aller vers le côté… je ne dirais pas triste, parce que pour moi la tristesse est un peu fade, mais vers quelque chose qui a toujours un aspect tragique.”  [d’après FRANCEMUSIQUE.FR]


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VIERSET, Guillaume (né en 1987)

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“Guillaume VIERSET commence la guitare à l’âge de 7 ans sous l’influence de son père, guitariste de country. De 1996 à 2005, étudie la guitare classique et poursuit son cursus en étudiant le jazz avec Alain Pierre à l’académie de Huy ainsi qu’à l’académie de Amay avec Philippe Doyen. Parallèlement, il participe à plusieurs stages aux Lundis d’Hortense (Pierre van Dormael, Peter Hertmans, Ivan Paduart, Paolo Radoni…). Après avoir joué dans de nombreux groupes de pop et de rock, l’envie de se diriger vers une musique plus improvisée se fait ressentir. Il créa le trio Morning Warm Whisky qui lui permettra de se focaliser plus sur l’improvisation mais également sur la composition.

Il participe également à une session pour l’album électro jazz de Karl off. En 2007, il poursuit ses études au Conservatoire Royal de Bruxelles où il a eu la chance d’apprendre avec Arnould Massart, Pirly Zurstrassen, Fabrice Alleman, Fabien Degryse, Guy Cabay… En parallèle à ses études au Conservatoire de Bruxelles, il monte un premier projet The Green Dolphins et participe à de nombreux projets jazz aux alentours de Bruxelles. The Green Dolphins est repris par le collectif “ça balance pas mal…” et une de ses compositions est présente sur la compile “ça balance 2011“. En 2008, il participe à un stage de jazz en Italie avec notamment Kenny Baron et en 2010, participe au concours “Tuscia In Jazz” avec le Feel Trio avec lequel il arrive en finale.

Guillaume participe à de nombreuses masterclass et clinic dont celui de Kurt Rossenwinkel, Antonio Sanchez, Philip Catherine, Jonathan Kreisberg… Il a également eu l’occasion de jouer dans de nombreux festivals et salles de concert dont le Dinant Jazz Night, le Comblain Jazz Festival, Festival International Jazz à Liège, Mons en Jazz, Music Village, Jazz à Huy, Centre Culturel les Chiroux, Jazz At Home, Gaume Jazz, Jazz 04, Festival Eben-Emael

C’est un guitariste en constante recherche, tant au niveau de la manière d’improviser ou de composer. Amoureux des standards et de la tradition, il est également très attiré par le jazz moderne. La composition fait partie intégrante de son travail qu’il effectue pleinement avec la création de son quartet. Un projet d’écriture pour une grosse formation est en cours ainsi qu’un grand nombre de projets. Ses projets actuels sont Guillaume Vierset Quintet, Guillaume Vierset Standard Trio, LG Jazz Collective…” [d’après IGLOORECORDS.BE]


Guillaume Vierset © Oliver Lestoquoit

“On a découvert Guillaume Vierset, lors d’un “Jazz à Liège”, à la tête du LG Jazz Collective qui réunissait la jeune génération du jazz belge : Jean-Paul Estiévenart, Igor Gehenot, Antoine Pierre, Félix Zurstrassen ou Steven Delannoye… Un octet au réel sens du groove qui a enregistré successivement “New Feel” puis “Strange Deal“. Par la suite, Guillaume Vierset est revenu à ses amours de jeunesse, les songwriters tels que Nick Drake. Un quintet aux arrangements subtils avec Mathieu Robert au soprano et Marine Horbaczewski au violoncelle (albums “Songwriter” puis “Nacimiento Road“). Parallèlement, il est, avec Félix Zurstrassen, l’accompagnateur de la chanteuse pop-rock Typh Barrow et participe au Griboujazz destiné au jeune public. Il fait aussi partie du Random House du saxophoniste Thomas Champagne (“Sweet Day” enregistré en quartet et récemment, “Tide“, en quintet avec le trompettiste américain Adam O’Farrill). Guillaume Vierset ? Une vraie bouffée d’énergie !” [d’après JAZZMANIA.BE]

GOMZE : Barcarolle vervîtwesse

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Corneil GOMZÉ (Verviers, 28 février 1829 – Verviers, 24 août 1900) est l’auteur de la Barcarolle vervîtwesse (la Barcarolle verviétoise), écrite en l’honneur de Rodolphe Closset. Né en 1850 à Verviers, Closset était marchand de laines ainsi qu’un brillant homme de lettres, cheville ouvrière et président de la Société Polyglotte. Ce serait le 20 janvier 1872 que Corneille Gomzé lui aurait dédié la Barcarolle lors d’un souper de cette association. Gomzé a par ailleurs inventé une plume baptisée ‘la plume vapeur‘ (sic), destinée à la calligraphie et au tracé d’arabesques. Il a écrit plusieurs ouvrages mettant en valeur les potentiels de son invention.

La Barcarolle, quant à elle, est considérée (et pratiquée) comme l’hymne verviétois (Verviers, BE) et si elle a bien été écrite en wallon du coin par Corneil Gomzé, ce dernier n’en est pas le compositeur. Au pays de Vieuxtemps, de Lekeu -de la blanque dôreye (tarte au riz)- et d’une tribu complète de jazzmen wallons, c’est un certain Albert ERNOTTE qui l’a mise en musique et a choisi un air vénitien pour donner à la Cité lainière son chant emblématique…

Corneil Gomzé

Homme engagé, Corneil Gomzé, “était calligraphe et grand voyageur à l’étranger. Il prend part en 1848 aux activités du club républicain La Société des droits et des devoirs de l’homme. II anime en 1865-1866 le cercle La Réforme par l’action qui organise les premiers meetings ouvriers verviétois. Il contribue aux premiers pas des Francs-ouvriers, future section verviétoise de l’Association internationale des travailleurs. Il trouve notamment le titre de leur journal, Le Mirabeau. Corneil Gomzé est l’auteur de nombreux poèmes wallons réunis après sa mort dans une brochure, Avaû les Champs, et du texte de la Barcarolle vervîtwesse…” [LEMAITRON.FR]

Correspondant de Victor Hugo, Corneil Gomzé fut un des premiers écrivains en wallon verviétois. Sa tombe fut érigée dans le cimetière de Verviers, à l’initiative du cercle littéraire L’Élan wallon créé en 1893, à une époque où quatre autres sociétés wallonnes virent le jour à Verviers entre 1890 (Les Wallons) et 1903 (Lu Steûle wallonne).

Oh ! Por mi, dju so fir
Quand sj’so-st-à l’étrandjir
D’aveur sutu hossi
En on trô come à Vervî !

[Oh! Pour moi, je suis fier
Quand je suis à l’étranger
D’avoir été bercé
Dans un trou comme Verviers !] …

Il est aussi amusant de découvrir que le pianiste verviétois, Jean-François MALJEAN, a baptisé un de ses albums : Apormidjusofir !

Cet album de 2012 propose des artistes invités précieux comme : Jacques Stotzem, Didier Laloy, Robert Jeanne, Olivier Bodson, Rhonny Ventat, René Thomas, Silvano Macaluso, Jean-François Hustin, Krystell Mandy, Philippe De Cock, Angelo Crisci, Domenico Ferlisi-Greco, Alain Rinallo et Frédéric Malempré. Le disque est produit par Hans Kusters Music, réalisé et arrangé par Jean-François Maljean & Silvano Macaluso aux studios ESSEM Music.

Le site du musicien est en anglais, vu le succès rencontré par sa musique en Asie et, plus particulièrement en Chine depuis qu’il a composé Chime Of The Dawn Bells, une chanson sortie en février 2020 pour soutenir la population de Wuhan frappée par le Covid-19 (le clip a dépassé les 100 millions de vues sur le YouTube chinois) : JEANFRANCOIS-MALJEAN.COM

La Barcarolle vervîtwesse
Oh ! Por mi, dju so fir
Quand sj’so-st-à l’étrandjir
D’aveur sutu hossi
En on trô come à Vervî !
Oh ! Pour moi, je suis fier,
Quand je suis à l’étranger,
D’avoir été bercé
Dans un trou comme Verviers !
1. So noste air qu’on rosinêye
Tos lès djous qu’on s’atavelêye,
Dj’à sèyî bèle cupagnêye,
Du mete ci refrain-voci :
Sur cet air que l’on fredonne,
Chaque fois que l’on s’attable,
J’ai essayé, belle compagnie,
De mettre le refrain que voici :
2. Nos n’avans rin èl makète.
Vèrvî c’noh quu l’plokète.
Mais, foûs d’one pê d’bèrbisète,
Quu n’faît-i donc nin moussi ?
Nous n’avons rien dans la tête.
Verviers ne connaît que les ploquettes*.
Mais d’un seul pis de brebis,
Que n’avons nous baratté** ?
3. Inte lès bruts du nos fabriques,
-Tchèstês pleins du mécaniques
Hoûtez donc quêne bèle musique…
C’est Vieuxtemps qui d’jowe ainsi !
Entre les bruits des fabriques
-Châteaux pleins de mécaniques-
Ecoutez donc quelle belle musique…
C’est Vieuxtemps qui joue ainsi !
4. Totes lès fleurs du nosse valêye,
-Sêpes ou dobes, bèles ou djolêyes,-
Qu’a printimps on veût florêyes,
A l’djeûne n’ont rin catchi
Toutes les fleurs de notre vallée,
-Simples ou doubles, belles ou jolies-
Qu’au printemps on voit fleurir,
Au matin n’ont rien caché.
5. A mitant d’on grand carnadje,
-Qwans lès canons fint ravadje-Djardon, came on vrai savadje,
Sabréve a brès’ rutrossîs.
Au milieu d’un grand carnage,
-Quand les canons faisaient ravage-
Jardon, comme un vrai sauvage,
Sabrait à bras raccourcis.
6. Nos polans bin lèver l’tièsse,
Câ lu Liberté qu’on c’tchèsse,
A s’grand martyr so nosse plèce :
Adjunians nos d’vant Chapuis !
Nous pouvons bien relever la tête,
Car la liberté qu’on chasse,
A son grand martyr sur notre place :
Agenouillons-nous devant Chapuis !
7. Nos avans, sins qu’on n’i pinse,
On tereû quu l’providince
A covrou d’one bone sumince ;
Biolley n’est nin co roûvi !
Nous avons, sans qu’on y pense,
Un terreau que la Providence
A couvert d’une bonne semence ;
Biolley n’est pas oublié !
8. N’acontans nin lès marotes
Qui tchafetet hâr ou bin hot’.
Lu drapa dèl Polyglotte
Nu pout nin èsse mi tchûzi
N’accomptons pas les commères
Qui jacassent à hue ou à dia.
Le drapeau de la Polyglotte
Ne peut pas être mon choix.

* ploquettes : déchets de laine.
** baratter : battre le beurre dans une baratte.

Texte : Corneil Gomzé – Musique : Albert Ernotte
Traduction : Marianne Rathmès et Christine Pagnoulle


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SAARIAHO, Kaija (1952-2023)

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“Kaija Saariaho (ou alors Laakonen, son nom de jeune fille) naît en 1952 à Helsinki. C’est, à l’époque, une enfant réservée. À l’école Steiner où ses parents l’ont inscrite, elle dessine beaucoup, se plaisant à entrer dans les sujets parfois abstraits que l’on propose aux jeunes élèves. Elle raconte que parfois,  quand elle ne pouvait se rendre en classe, en raison de sa santé alors fragile, elle passait ses journées, seule, à écouter la radio et les sons de la nature, dans la maison de campagne de sa mère. D’ailleurs, la plupart de ses souvenirs d’enfance sont “acoustiques” : le vent dans les feuilles des arbres, la pluie qui tombe, ou bien l’eau glissant sur la coque en aluminium du bateau de son père, provoquant une étrange résonance, comme filtrée.

La musique arrive alors comme une nécessité. Elle commence à apprendre le violon, le piano, et la guitare, et compose sérieusement à partir de dix-sept ans. Toujours passionnée par les arts plastiques en plus de la musique, elle entre aux Beaux-Arts d’Helsinki, ainsi qu’au Conservatoire en Piano, Orgue, Théorie et Histoire de la Musique, ainsi qu’à l’université où elle étudie la Musicologie, l’Histoire des Arts et la Littérature. Mais à l’aube des années 1970, difficile pour une femme, qui plus est venant d’un milieu d’industriels, de faire carrière dans les arts. C’est pendant cette période de doute que la jeune Kaija, dix-neuf ans, décide de se marier pour s’extraire de la pesanteur familiale. Son époux se nomme Saariaho. Ils divorceront peu de temps après, mais pour symbole de cette liberté acquise, elle gardera son nom.

À l’époque, la jeune musicienne souhaite devenir organiste, musicienne d’église, peut-être plus aisé dans un premier temps. Moins risqué que la composition en tous cas. Mais plus les mois passent, plus le désir de la création se fait sentir, insistant, pressant. En 1976, elle éprouve le besoin d’aller étudier à la célèbre Académie Sibelius auprès de Paavo Heininen. Professeur de composition reconnu, Heininen a aussi la réputation d’être dur avec ses élèves. Devant son enseignement rude, la jeune compositrice peut compter sur le soutien de ses camarades de classe, qui l’encouragent et la soutiennent, comme Magnus Lindberg ou Esa-Pekka Salonen.

Avec ses amis, elle fonde une association, “Oreilles Ouvertes !“. Leur but, lutter contre les tendances nationalistes de la musique finlandaise de l’époque, en voulant diffuser la musique post-sérielle venue d’Allemagne et de France dans leur pays. Au sein du groupe qui mêle compositeurs, interprètes et musicologues, l’émulation est à son comble. On organise des concerts, parfois dans des lieux inattendus, ou des conférences, comme lorsque Kaija Saariaho organise dans ce contexte un séminaire autour de la musique d’Alban Berg. Il fallait alors “montrer sa clairvoyance”.

En 1978, elle fréquente les cours d’été de Darmstadt. Elle y respire l’air de l’avant-garde d’Europe de l’Ouest. En partant, elle n’emporte que deux ouvrages dans ses bagages : le Traité d’Orchestration de Walter Piston, et La Pesanteur et la Grâce de Simone Weil. A Darmstadt, elle découvre l’école spectrale, son infini de nuances, de coloris et de sensations. Les Maîtres se nomment bien sûr Murail, Grisey, Lévinas. C’est à Darmstadt encore qu’elle rencontre Brian Ferneyhough et Klaus Huber, qui enseignent tous deux à Freiburg. Ferneyhough lui dira alors : “Ton cerveau et ton cœur ne sont pas encore réunis”.

Force est de constater que le langage post-sériel ne convient guère à la jeune compositrice. Elle cherche encore, travaillant sans relâche son univers sonore. Son intérêt va en effet rapidement s’orienter vers l’électronique, et l’El Dorado qu’est Paris au début des années 1980, avec l’Ircam créé il y a quelques années. Excitation des découvertes et lenteur infinie des processus. On pourrait ainsi résumer l’ambiance dans les studios parisiens. Pourtant, l’ordinateur est vu par les compositeurs de l’époque comme une base permettant d’accélérer certains calculs… Chose que Saariaho réprouve. Elle insiste avant tout sur son métier, son artisanat, durement acquis auprès de Paavo Heininen à Helsinki.

Paris est une ville qui la séduit. Le bouillonnement des années Mitterrand avec son aspect multiculturel happe la compositrice. C’est aussi dans les studios de l’Ircam qu’elle rencontre son futur mari, le compositeur Jean-Baptiste Barrière, qui deviendra un fidèle compagnon de route et un soutien de tous les instants. Cependant, peu de commandes émaillent cette période pourtant décisive dans sa carrière de compositrice. En 1985, toutefois, le compositeur et chef d’orchestre Paul Méfano découvre sa musique et lui demande une œuvre nouvelle. Ce sera Lichtbogen, pour ensemble et électronique. Comme l’aurore boréale qu’elle décrit, Lichtbogen (“Arc de lumière”), se déploie dans des plages miroitantes et méditatives. La manière y est simple : quelques gammes, des sons tantôt tenus, tantôt écrasés. Des teintes mouvantes, moirées de micro-intervalles.

C’est là qu’est la clé du style Saariaho, ce qui fait la singularité de son esthétique. Une si parfaite maîtrise des couleurs instrumentale qu’elle transforme en un tour de plume chaque membre de l’orchestre en un “Saariaho-instrument”. Tourné vers l’éther des sons harmoniques avec un goût certain pour la parure orchestrale, sa musique se ressent. Chaque battement devient matière, qui se transforme progressivement en scintillement, se fondant dans une texture souvent impalpable, au-travers d’instruments de prédilection, comme la flûte ou le violoncelle.

Pourtant, cela ne l’empêche pas d’aimer passionnément l’écriture vocale, forcément moins malléable que la pâte d’un orchestre de 90 musiciens. Pour la voix, son écriture devient incisive, directe, allant droit au but, et droit au mot. Comment ne pas évoquer ce qui est sûrement à ce jour son “opus magnum” : l’opéra L’Amour de Loin (2000). Inspiré par l’histoire du troubadour Jaufré Rudel (1148-1170) sur un livret original d’Amin Maalouf, le premier opéra de Saariaho témoigne déjà d’une maîtrise du genre confondante, inscrivant d’emblée l’œuvre au rang des classiques de notre temps. Dans l’universel de l’amour contraint par la distance, la peur et la soif d’idéal, elle dresse une partition qui se veut autant narrative que méditative, tellurique et gracile, colorée avant tout, qui ne renie rien et qui donne tout. Et c’est peut-être cela au fond, l’univers de Kaija Saariaho”. (d’après ENSEMBLEINTERCONTEMPORAIN.COM)

“L’Amour de loin” © opera-online.com

“Kaija Saariaho, née Kaija Anneli Laakkonen, est née en Finlande le 14 octobre 1952. Elle étudie les arts visuels à l’université des arts industriels (aujourd’hui Université d’art et de design) d’Helsinki. Elle se consacre à la composition avec Paavo Heininen, à partir de 1976, à l’académie Sibelius où elle obtient son diplôme en 1980. Elle étudie avec Klaus Huber et Brian Ferneyhough à la Musikhochschule de Freibourg-en-Breisgau de 1981 à 1983, puis s’intéresse à l’informatique musicale à l’Ircam durant l’année 1982. Elle vit depuis à Paris. Elle enseigne la composition à San Diego, Californie en 1988-1989 et à l’académie Sibelius à Helsinki de 1997 à 1998, puis à nouveau entre 2005 et 2009.

Le travail de Kaija Saariaho s’inscrit dans la lignée spectrale avec, au cœur de son langage depuis les années quatre-vingt, l’exploration du principe d’ “axe timbral”, où “une texture bruitée et grenue serait assimilable à la dissonance, alors qu’une texture lisse et limpide correspondrait à la consonance”. Les sonorités ductiles du violoncelle et de la flûte se prêtent parfaitement à cette exploration continue : Laconisme de l’aile pour flûte (1982) ou Près pour violoncelle et électronique (1992) travaillent entre sons éthérés, clairs et sons saturés, bruités.

Son parcours est jalonné de nombreux prix qui couronnent ses œuvres les plus importantes : Kranichsteiner Musikpreis pour Lichtbogen (1986), œuvre qui révéla la tonalité personnelle et lumineuse de Kaija Saariaho au sein de l’esthétique spectrale ; Prix Ars Electronica et Italia pour Stilleben (1988), qui joue avec virtuosité sur les errements de la conscience avec le médium radiophonique. Dans les années deux mille, son œuvre sera encore maintes fois récompensée – Nordic Council Music Prize (2000), Prix Schock (2001), American Grawemeyer Award for Music Composition (2003), Musical America Composer (2008), Wihuri Sibelius Prize (2009), Léonie Sonning Music Prize (Danemark, 2011), Grand prix lycéen des compositeurs en 2013 pour Leino Songs. En 2018, la fondation BBVA lui décerne le prix Frontiers of Knowledge pour sa contribution à la musique contemporaine.

Les années quatre-vingt marquent l’affirmation de son style, fondé sur des transformations progressives du matériau sonore, qui culmine avec le diptyque pour orchestre Du cristalà la fumée. Dans cette même veine, citons les pièces NoaNoa, Amers, Près et Solar, écrites en 1992 et 1993. Suit une brève période de remise en cause, au moment même où la compositrice se trouve projetée sur la scène internationale à la faveur de nombreuses commandes. La composition de l’Amour de loin, opéra sur un livret d’Amin Maalouf, mis en scène par Peter Sellars, signe une nouvelle étape où les principes issus du spectralisme, totalement absorbés, se doublent d’un lyrisme nouveau.

Après cet opéra, dont l’enregistrement par Kent Nagano fait l’objet du Grammy Award 2011, Saariaho composera de nombreuses pièces orchestrales pour de prestigieuses formations, un deuxième opéra, Adriana Mater, une passion sur la vie de Simone Weil, La passion de Simone, deux œuvres encore réalisées avec Sellars et Maalouf, et en 2008, un monodrame sur un livret de ce dernier d’après Madame du Châtelet Émilie, créé par Karita Mattila à l’Opéra de Lyon en 2010. En 2012, elle compose Circle Map, pièce pour orchestre et électronique, dont six poèmes de Rumi lus en persan servent de matériau pour la réalisation de la partie électronique et d’inspiration pour l’écriture orchestrale. Son opéra Only the Sound Remains (2015), mis en scène par Peters Sellars et inspiré de deux pièces du théâtre Nô traduites par Ezra Pound, est créé en 2016 à l’Opéra d’Amsterdam.

Son travail de composition s’est toujours fait en compagnonnage avec d’autres artistes, parmi lesquels le musicologue Risto Nieminen, le chef Esa-Pekka Salonen, le violoncelliste Anssi Karttunen (artistes finlandais tous issus du groupe “Korvat Auki !” (“Ouvrez les oreilles !”), collectif fondé dans les années soixante-dix à Helsinki, et auquel Saariaho collabora) ; la flûtiste Camilla Hoitenga, les sopranos Dawn Upshaw et Karita Mattila, ou encore, le pianiste Emmanuel Ax”. (d’après BRAHMS.IRCAM.FR)

Visiter le site de Kaija Saariaho

  • Illustration en tête de l’article : Kaija Saariaho © Priska Ketterer

[INFOS QUALITE] statut : actualisé | mode d’édition : compilation par wallonica.org  | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : operaonline.com ; Priska Ketter


QUITIN : Eugène Ysaye (1938)

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© collection privée

QUITIN José (1915-2003), Eugène Ysaye – Etude biographique et critique (Bruxelles, Bosworth & Co, 1938), avec une préface d’Arsène SOREIL


Préface de M. Arsène SOREIL

En me demandant quelques lignes de préface, M. ]osé QUITIN aura fourni, du moins, au Liégeois adopté que je suis, l’occasion d’un hommage, très modeste, à la ville que nous aimons.

Dans la cité de GRETRY et d’YSAYE, de DEFRECHEUX, d’Henri SIMON, de MIGNOLET, chacun prend une conscience plus vive et plus exigeante de la communauté spirituelle wallonne. La leçon liégeoise se prend face aux horizons comme devant les œuvres, parmi les chansons, au sein de la foule comme dans l’intimité. Accueil aimable qui est partout. Je songe naturellement, et de préférence, aux contacts liégeois que m’aura valus [sic] le “beau métier”, à la sommation quotidienne qui, des bancs attentifs, monte vers la chaire : sommation de renouvellement, de vie, de clarté. Belle jeunesse avide de recevoir! Elle ne se doute pas que nous aussi nous recevons, et beaucoup, et qu’il y a dans la classe austère, échange et réciprocité de devoirs et de gratitude. Ce qui est tout à fait beau, tout à fait bon, c’est quand il nous est permis d’écouter à notre tour, d’apprendre auprès de l’élève d’hier. Je ne savais d’Eugène YSAYE que ce que tout le monde en sait. Pour avoir eu la primeur du beau travail si informé, si compétent déjà, de M. José QUITIN, j’éprouve le sentiment d’une faveur reçue, reçue de Liège. Je mesure à mon plaisir, le plaisir qu’éprouvera le public wallon et un public plus vaste, celui même, pourquoi pas ? de l’Européen YSAYE.

Je souhaite à ce livre de faire aimer la supériorité vraie, le travail, le désintéressement, l’amitié, la simplicité, la bonhomie. YSAYE, c’est tout cela, et YSAYE, c’est Liège, c’est la Wallonie, une des expressions les plus parfaites que notre petite patrie ait livrées d’elle-même.

Arsène SOREIL


Avant-propos

Avant de commencer cette étude sur la vie et l’oeuvre du grand maître liégeois Eugène YSAYE, je tiens à remercier son fils, M. Gabri YSAYE, qui a mis à ma disposition, avec l’amabilité la plus charmante, non seulement ses souvenirs, mais aussi la magnifique collection de lettres que son père reçut de VIEUXTEMPS, D’INDY, CHAUSSON, DEBUSSY, LEKEU, de combien d’autres encore, avec qui il entretenait d’étroites relations.

José QUITIN


Justification de l’étude sur Eugène Ysaye

Il y a quelques années, encore élève à l’Athénée Royal de Liège, et devant faire à mon tour une causerie sur un sujet librement choisi, j’avais pris comme thème Eugène YSAYE.

Le Maître, qui m’avait connu tout gamin, et avec qui mes parents entretenaient d’amicales relations, fut amusé de mon enthousiasme à son égard et me fournit lui-même quelques indications biographiques.

J’ai repris et développé ce modeste travail d’écolier.

La présente étude, où j’ai mis toute mon affection pour l’homme généreux, tout mon respect pour le grand Liégeois, toute mon admiration pour l’Artiste, je l’ai voulue strictement objective. J’ai relaté sa vie, son caractère, son oeuvre, avec le plus d’exactitude possible. J’ai donné mon avis sincèrement sur les compositions de lui que je connais. je suis sûr qu’il me pardonne, là-haut, mes présomptueuses critiques, car il aimait avant tout la vérité.

José QUITIN


Eugène YSAYE

CHAPITRE PREMIER

Biographie du virtuose.
Son rôle dans la propagation de la musique contemporaine.

Le 16 juillet 1858, naît à Liège, faubourg Sainte-Marguerite, celui dont le nom devait devenir célèbre dans toute l’Europe et les deux Amériques : Eugène YSAYE. Son père, Nicolas YSAYE, chef d’orchestre du théâtre d’opérettes liégeois, le Pavillon de Flore, mieux connu à l’époque sous le nom du propriétaire de l’établissement : Amon RUTH [chez Ruth], est un musicien adroit et avisé. Il sera chef d’orchestre dans plusieurs tournées de la célèbre cantatrice Carlotta PATTI en Amérique.

Quant à la mère d’Eugène YSAYE, Marie-Thérèse SOTTIAU, de santé assez délicate, elle a grand’peine à élever deux enfants aussi turbulents, qu’Eugène et son frère aîné Joseph. Les deux gamins vivent dans la rue. Ce sont d’interminables courses, jeux, batailles entre “bandes” rivales sur la place des Arzis et à travers le faubourg, dont le caractère populaire n’a guère changé depuis lors. Mais cette vie insouciante est interrompue fort tôt. A peine âgé de quatre ans et demi, l’enfant apprend, sous la direction de son père, les premiers rudiments du solfège et, peu après, du violon. En 1866, Eugène YSAYE est admis comme élève au Conservatoire Royal de Liège dans la classe de Désiré HEYNBERG, pour en être expulsé peu de temps après. Les rapports du professeur donnent comme motif : “Cet élève semble manquer de dispositions”. En réalité, Eugène qui n’a que huit ans, est un enfant terrible, qui brosse les cours avec la plus grande désinvolture s’il trouve un partenaire pour une partie de billes.

Après cet éclat, son père le reprend sous sa direction et le fait bûcher ferme.  Bientôt après, Eugène passe un nouvel examen et réintègre le Conservatoire, dans la classe de Rodolphe MASSART. En 1867, il obtient, en partage avec Ovide MUSIN, cet autre grand violoniste, un second prix de violon. L’année suivante, il conquiert un premier prix de violon et un premier prix de musique de chambre. Il est âgé de dix ans !

A cette époque, Eugène YSAYE habite rue aux Frênes, aux limites du populeux quartier d’Outre-Meuse. Son père part en tournée en Amérique.  L’état de santé de la mère s’aggrave pendant son absence et elle meurt en 1869.

Eugène reste seul avec son frère pendant quelque temps. Personne ne s’occupe de lui. Heureusement, le retour de son père l’oblige a reprendre ses études sérieusement. Déjà bien avant cela, Eugène faisait partie de l’orchestre du Pavillon de Flore, ainsi que celui de la Cathédrale Saint-Paul, que son père dirigeait. D’ordinaire, Nicolas YSAYE empochait à la fois son salaire et celui de son fils. Un jour, il s’absente d’une répétition. Pour la première fois de sa vie, le gamin reçoit le prix de son travail et signe le livre du caissier. Très fier de ce geste d’homme, Eugène se laisse entraîner par un ami qui fait miroiter à ses yeux les délices du billard et des pintes [ancien verre à bière, contenant environ un quart de litre. La pinte de bière coûtait à l’époque cinq centimes] de bière du pays, et l’argent se liquéfie…

L’enfant rentre assez penaud a la maison et déclare à son père n’avoir rien reçu. Celui-ci, homme violent et prompt à s’emporter, se rend aussitôt à la Cathédrale.

Accroupi dans un coin de la petite cuisine de sa maison de la rue des Meuniers, Eugène attend anxieusement. Toute sa vie il se souvint du retour de son père, raidi, le vaste chapeau noir sinistrement incliné sur le nez, grandissant à mesure que son fils se courbait et s’écriant d’une voix terrifiante : “Je reviens de Saint-Paul !“.

Lorsqu’il racontait cette anecdote, Eugène YSAYE ne manquait pas d’ajouter : “j’åreu volou moussi d’vint on trô d’sori!” [“J’aurais voulu disparaître dans un trou de souris !”].

Nous retrouvons le père et le fils à l’orchestre de Spa, pour la saison. Le père est chef, Eugène joue les parties de violon solo et… de trombone à coulisses !

Eugène est un adolescent exubérant et emporté. Pour obliger son fils à travailler, Nicolas YSAYE le renfermait dans sa chambre. Mais un jour qu’Eugène avait un rendez-vous avec une petite amie, les choses se gâtèrent. Il se laissa enfermer, puis, son père parti, cassa d’un coup de poing la porte vitrée, tourna la clef restée dans la serrure et s’en fut tout courant au rendez-vous. Ce n’est qu’après avoir retrouvé la belle qu’il s’aperçut qu’il avait la main ensanglantée. Il s’était ouvert une veine du poignet. Cet accident le gêna pendant toute sa carrière et les deux seuls arrêts qu’il eut en public provinrent d’une faiblesse subite du poignet.

Cependant il ne cesse de travailler. En 1874, il a donc seize ans, il obtient deux médailles en vermeil, pour le violon et la musique de chambre. La qualité dominante, qui consacrera sa célébrité, est déjà visible chez lui à cette époque. Quel que soit le violon qu’il ait entre les mains, fut-ce le plus infâme sabot, YSAYE en tire une sonorité merveilleuse, qui allie le charme, la beauté et la puissance. Voici en quels termes Armand PARENT, le célèbre altiste, relate, dans son livre Souvenirs et Anecdotes, son émerveillement la première fois qu’il entendit jouer YSAYE. Celui-ci, qui avait à peine vingt ans, exécute une oeuvre de WIENIAWSKY.

Que dire de cette révélation ! je savais par ouï-dire qu’YSAYE était un violoniste remarquable, mais j’étais loin de m’imaginer une telle perfection : beauté de son, attaque vigoureuse sans jamais écraser la corde (qualité conservée pendant toute sa carrière), facilité surnaturelle de main gauche, archet d’une souplesse et d’un esprit extraordinaires, rythme inébranlable et surtout une émotion communicative à un suprême degré.

Peu après, YSAYE reçoit une bourse du gouvernement et se rend à Bruxelles ou il devient élève particulier du célèbre virtuose russe Henri WIENIAWSKY, qui venait de prendre la succession de Henri VIEUXTEMPS comme professeur au Conservatoire de la capitale.

En 1876, Eugene YSAYE succède à Ovide MUSIN comme premier violon solo au Kursaal d’Ostende. Plusieurs exécutions d’œuvres de WIENIAWSKY marquent son séjour dans cette ville. Après une fougueuse interprétation de la Polonaise, un critique de l’époque écrit : “Ce jeune talent a conquis d’emblée la première place dans cette brillante pléiade de violonistes belges, gloire artistique de notre petit pays. »

En 1877, YSAYE devient élève de Henri VIEUXTEMPS, qui l’entraîne à Paris. Une lettre de VIEUXTEMPS, datée de cette même année, recommande le jeune virtuose à M. PEYCHAUD, généreux mécène bordelais qui avait fait de Bordeaux la ville de France la plus renommée après Paris pour la valeur de ses concerts et de ses manifestations artistiques. Voici un passage de cette lettre qui montre quelle estime VIEUXTEMPS avait pour son élève.

“16 avril 1877.

Mon Cher Monsieur PEYCHAUD,

Ces mots vous seront remis par M. YSAYE, mon jeune et déjà très habile disciple, qui aura l’honneur de se faire entendre samedi 21 courant au concert du Cercle Philharmonique. Doué d’une façon particulière, possédant une belle qualité de son et une conception simple et naturelle en même temps qu’un mécanisme de bon aloi, vous apercevrez les dons qui le distinguent et le destinent à atteindre très haut dans l’avenir. J’espère qu’il saura mettre ses heureuses qualités en évidence et saura les faire apprécier par le public, les artistes et les connaisseurs, parmi lesquels vous occupez à si juste titre une des toutes premières places.”

C’est à Bordeaux qu’YSAYE fait la connaissance de Camille SAINT-SAËNS, qui lui donne l’occasion de se produire aux concerts COLONNE à Paris.

Une lithographie datée de 1879 montre un jeune homme grand et svelte, à carrure athlétique, respirant la force et la santé. Le visage est calme mais énergique, les yeux profonds. De longs cheveux auréolent cette tête fière, au front haut et droit. Une barbe légère atténue la largeur du menton, puissant et volontaire.

J’imagine que cette attitude de fierté tranquille, mais sans arrogance, était celle du jeune artiste, conscient de sa valeur et fort de sa personnalité naissante, vis-à-vis du public.

YSAYE était passionnément attaché à son maître Henri VIEUXTEMPS. Ce n’est qu’après sa mort, survenue en 1881, qu’il se rend a Berlin. Il y est engagé comme Konzertmeister à l’orchestre BILSE, aux appointements de 600 marks par mois. YSAYE y prend connaissance d’un vaste répertoire orchestral, y compris les œuvres de WAGNER, dont l’avènement venait d’être consacré en Allemagne et à qui la France fermait encore ses portes.

Cependant, cette vie ne lui plaît pas. Malgré les offres alléchantes de BILSE qui lui propose jusqu’à 200 marks d’augmentation, il le quitte. Il cherche à donner des concerts, à se faire connaître. Présenté à JOACHIM, le maître du violon en Allemagne, il lui joue son concerto hongrois de telle façon que le compositeur en est émerveillé.

Mais tout n’est pas rose pour YSAYE depuis qu’il a quitté BILSE. Il voyage perpétuellement et court le cachet. Dans ses lettres, son père lui fait d’amers reproches. Il semble même enclin à croire qu’Eugène, qui se trouve actuellement dans l’impossibilité de lui envoyer des secours financiers comme il le faisait auparavant, mène la vie à grandes guides et l’oublie. Des embarras d’argent avaient aigri Nicolas YSAYE. Une place qui lui revenait de droit lui avait échappé. Eugène YSAYE le réconforte et l’encourage dans une lettre qu’il lui adresse a Dunkerque, puis il cherche à lui faire comprendre et admettre sa décision de quitter BILSE. Depuis lors, cependant, il éprouve des difficultés :

“…(Je perds patience) au milieu de la vie errante que je mène, cherchant la gloire plus que la fortune, au milieu des tribulations sans nombre dont le sort me gratifie, tantôt par l’art, tantôt par la matière.”

Aux reproches de son père, il répond par ces phrases magnifiques, qui montrent une résolution, une vigueur, une volonté extraordinaires chez ce jeune homme de vingt-cinq ans :

“Voulez-vous que je retourne chez BILSE ? Voulez-vous que je me voue pour 600 bons marks par mois à un public idéal ? Voulez-vous que je renonce à être quelque chose ? C’est bien facile. J’épouserai même une allemande sentimentale et bête si vous le voulez. Elle me fera des économies et nous vivrons tous comme des coqs en pâte. Allons donc ! A d’autres. Je me sens créé pour avoir un nom, un grand nom. je l’aurai, je le veux et c’est mal à vous de m’empêcher de suivre ce cours de mes pensées et de ma nature. Croyez-vous donc qu’il ne m’a pas fallu du courage, de la force et de la conviction pour renoncer au doux enfer que me faisait vivre BILSE à Berlin au Konzerthaus ? Croyez-vous donc que j’ai toujours vécu sans souci du lendemain ? La force, dis-je, la volonté m’ont soutenu et où tant d’autres auraient échoué, j’ai réussi ! Oui, j’ai réussi. Maintenant la glace est fondue, et si j’attends encore un an, si je sacrifie encore un an la question d’argent pour voir quelques coins de l’Europe où je suis ignoré, l’Europe sera à moi.”

Anton de RUBINSTEIN, le grand pianiste et compositeur russe, qui avait été le compagnon de WIENIAWSKY quelques années auparavant, entraîne YSAYE en Russie. C’est le début des tournées d’YSAYE. Mais RUBINSTEIN est le maître. Il dresse son jeune compagnon à sa discipline artistique et lui fait voir tout le répertoire connu alors des sonates pour violon et piano.

Rodolphe MASSART, le premier maître d’YSAYE à Liège, maître auquel il conserva toujours une grande reconnaissance, avait posé les bases de son éducation musicale et violonistique. WIENIAWSKY avait perfectionné sa technique et lui avait donné le brio que sa fougueuse nature mettait merveilleusement en valeur. VIEUXTEMPS avait tempéré les excès de cette nature trop généreuse avec son enseignement classique, son style simple et noble à la fois. Enfin, RUBINSTEIN, à son tour, lui insuffle un rythme inébranlable, en même temps qu’un extrême souci des nuances. Il a ainsi une profonde influence sur le tempérament artistique d’YSAYE.

Celui-ci passe deux hivers en Russie. Il loge chez RUBINSTEIN qui le traite en frère cadet. Il est certain qu’il approfondit là-bas sa connaissance des œuvres de la jeune école russe contemporaine.

Le virtuose est complet, l’artiste possède des conceptions esthétiques élevées et fermement ancrées. La période de formation est achevée, et YSAYE commence seul ses tournées triomphales à travers l’Europe. Plusieurs fois, on l’entendra à Berlin après PABLO DE SARASATE et JOACHIM, les deux maîtres du violon les plus appréciés à l’époque. Chaque fois son succès dépasse celui, pourtant énorme, de ses deux rivaux.

Vers I883, YSAYE se fixe à Paris, dans ce Paris qui est en pleine effervescence intellectuelle. Le symbolisme triomphe. Le poète doit être humain et artiste. La jeune école abandonne le Naturalisme et le Parnasse. VERLAINE et MALLARMÉ ouvrent la voie. Maurice BARRÈS, André GIDE débutent et vont s’imposer.

En peinture, l’impressionnisme trouve en Claude MONET et DEGAS de merveilleux apôtres.

En musique, c’est l’école symphonique qui s’affirme avec César FRANCK, LALO, SAINT-SAËNS, FAURÉ, DUPARC, d’INDY, CHAUSSON, MAGNARD, Guy ROPARTZ. Le jeune Guillaume LEKEU débute et DEBUSSY, plus près du mouvement pictural, accomplit sa révolution artistique.

Pour tous ces artistes, YSAYE apparaît comme un dieu.

Pour tous ces compositeurs, il sera l’interprète rêvé, pour qui ils écriront une oeuvre.

Lors d’une visite à son frère aîné Joseph, directeur de l’Ecole de Musique d’Arlon, Eugène YSAYE fait la connaissance de Mlle Louise BOURDEAU, fille du Major BOURDEAU. Les jeunes gens s’épousèrent à Arlon en 1887. Le plus beau cadeau de noces d’YSAYE lui fut donné par le père FRANCK, qui lui envoya le manuscrit dédicacé de sa merveilleuse sonate qu’il venait d’achever.

A Paris, Eugène YSAYE rencontre et s’attache Raoul PUGNO, pianiste français. Désormais ils continueront ensemble la route qu’YSAYE se fraie à travers le monde. PUGNO est plus qu’un accompagnateur pour lui. C’est le complément indispensable au cours de ses fantaisies de virtuosité ; c’est son double dans les sonates; c’est encore un frère sage et attentif, car l’homogénéité de leurs deux natures se resserre dans les liens d’une étroite
amitié.

Une lettre de PUGNO à Mme YSAYE, écrite de Moscou où les deux artistes sont en tournée, nous révèle ce rôle de PUGNO :

« En tous cas, écrit-il, je soigne votre gros, soyez-en sûre, avec un soin de bonne d’enfant. Et à chaque désir intempestif, champagne, bière ou toute autre chose, il entend la voix du mentor qui lui dit sévèrement: Eugène, je vais télégraphier à Louise ! et aussitôt son cœur parle et le tigre devient mouton. »

En 1886, YSAYE avait été nommé professeur au Conservatoire de Bruxelles.  Sa classe comptait, outre de nombreux étrangers, une pléiade de jeunes Belges qui, depuis, ont porté hors de nos frontières le renom de l’école belge du violon : DERU, CHAUMONT, ZIMMER, MARCHOT, CRICKBOOM et tutti quanti.

L’activité d’YSAYE est débordante. En plus de ses tournées, avec PUGNO, qui les conduisent jusqu’en Amérique, on l’entend à maintes reprises en trio avec GÉRARDY et PUGNO.

En 1886, il fonde un quatuor à cordes avec son élève Mathieu CRICKBOOM au second violon, Léon V AN HOUT à l’alto et Joseph JACOB au violoncelle. Le succès de ce quatuor est foudroyant. En raison de cette réussite et de l’avidité d’YSAYE à découvrir des nouveautés, son rôle dans la diffusion des œuvres de la jeune école française prend une importance primordiale. Tous les compositeurs lui envoient leurs manuscrits, tous veulent être joués par lui. La raison de cet enthousiasme, SAINT-SAËNS nous la livre dans cette lettre datée du 7 avril 1893 :

“Mon cher Ami,
C’est un violoniste qui m’écrit pour me dire à quel point vous avez été merveilleux au Conservatoire et quel triomphe vous avez remporté “malgré” mon concerto. Je m’y attendais et je ne me console pas de ne pas vous avoir entendu.
Je pourrai partir un samedi soir et aller passer le dimanche avec vous. Et vous me le jouerez pour moi tout seul.
Votre bien reconnaissant,

C. SAINT-SAËNS”

Claude DEBUSSY a envoyé en lecture à YSAYE le manuscrit de son splendide Quatuor et lui demande son avis sur son oeuvre. Dans la même lettre, DEBUSSY, qui souhaite vivement revoir YSAYE, auquel il a soumis précédemment la partition de Pelléas et Mélisande, à laquelle il travaille depuis plusieurs années, le remercie de ses encouragements.

“Très cher Ami,
Je suis anxieux d’avoir ton avis sur le Quatuor et quel sort lui réserve ton Éminence. J’ai de plus tous les employés de la Maison DURAND et Fils sur le dos et ils viennent chaque matin réclamer mon manuscrit. “Que faire, Seigneur, que faire ?” comme disait saint Paul dans un vers demeuré fameux.
]’ai été tellement bousculé à mon arrivée à Paris que c’est seulement aujourd’hui que je trouve un moment pour le faire (sic) et te dire encore une fois mon grand regret d’avoir été obligé de partir si vite ! Car je dirai faiblement la joie que m’ont donnée les quelques heures passée avec toi. Je t’assure que ton approbation à Pelléas et Mélisande m’a été d’un encouragement tout à fait unique, et je serais heureux que la dédicace de cette oeuvre te fasse, à la recevoir, le plaisir que j’ai eu à te la donner.”

Soit dit en passant, cette dédicace donnée dans un mouvement de reconnaissance spontané par DEBUSSY, fut reportée sur le Quatuor tandis que Pelléas était dédicacé à M. Henry MALHERBE, critique et musicologue français, en juin 1914, c’est-à-dire douze ans après la première représentation de l’opéra.

 YSAYE se consacre à la propagation des œuvres des jeunes. Il crée à Bruelles, en 1893, la sonate de Guillaume LEKEU. Ce dernier, dans une lettre à un ami, écrit à ce propos :

“Ce qu’est devenue ma sonate de violon sous la main d’YSAYE, tu ne peux l’imaginer – j’en suis encore épouvanté dans mon ravissement!”

L’intimité qui régnait entre ces artistes était admirable. YSAYE était surtout lié avec Vincent d’INDY et CHAUSSON. Vincent d’INDY le conviant à venir passer une journée chez lui s’exclame

“… Surtout, ça ne fait pas que je t’ai assez vu durant ton séjour ici et je m’en chagrine. Au moins tâche de comprendre cela en venant demain de bonne heure, je dis de bonne heure, ça veut dire l’heure que tu voudras, 8 heures du matin (! ! !) si le cœur t’en dit, mais il ne t’en dira pas …
Enfin, je voudrais bien que nous puissions causer et voir ta musique avant déjeuner si possible, on est plus tranquille.
Bien entendu, viens en veston et en chemise sale, car nous sommes absolument en famille, je n’ai invité aucun ami ni personne parce que je tiens à t’avoir seul, bien à moi pendant un bon moment et à causer. Rien n’est fructueux comme ces entretiens entre gens pas trop moules qui peuvent échanger des opinions d’art.”

De CHAUSSON, à qui YSAYE avait sollicité un prêt d’argent, cette réponse pleine de délicatesse :

Cher Ami,
Pas de notaire ! à quoi penses-tu ? Je vais à Paris lundi, je te ferai envoyer la chose en question et de ton côté, tu m’enverras un reçu. Et ce n’est pas plus difficile que cela. Je suis très content de pouvoir t’être agréable. Et maintenant, parlons de choses sérieuses!

Et CHAUSSON l’entretient d’un prochain concert.

En 1895, Eugène YSAYE fonde à Bruxelles, avec son frère cadet Théo, pianiste et compositeur, les concerts YSAYE. Toute la jeune école française y sera entendue. Toute la jeune école belge : GILSON, JONGEN, VREULS, DUPUIS, LEKEU, Théo YSAYE et combien d’autres encore, y verra créer ses œuvres.

Ces concerts, qui complètent l’oeuvre de diffusion artistique commencée par le quatuor YSAYE, font de Bruxelles, sous l’impulsion du Maître, un centre musical dont l’importance rivalise avec celle de Paris et se trouve même, vers 1900, sérieusement en avance. Une lettre de DUPARC, en même temps qu’elle montre la vive admiration du compositeur français pour YSAYE, nous renseigne sur l’activité des concerts de Bruxelles :

Château de Florence,
Monein (Basses-Pyrénées)

Cher Ami,

J’ai appris hier, tout à fait par hasard, par un journal d’orphéon qu’on m’envoie de Bordeaux, que vous veniez de faire exécuter Phidylé à Bruxelles ; je ne veux pas tarder à vous dire combien je vous en suis reconnaissant et je vous prie de vouloir bien exprimer toute ma gratitude au chanteur qui m’a si bien interprété. L’orchestration de cette mélodie a été mon dernier travail et je pense que je n’en ferai plus aucun autre, car en dépit de mes apparences plantureuses, j’ai une pauvre santé, et ma tête refuse son service. Je n’ai jamais entendu Phidyléet je n’ai pas besoin de vous dire si j’aurais été heureux de l’entendre à Bruxelles. Je sais quelle merveilleuse musique on y fait, ce qui n’a rien d’étonnant quand un artiste tel que vous s’en mêle. Mais j’aurais surtout été heureux de vous revoir et de vous entendre ; je n’oublierai jamais, croyez-le, les frissons que vous m’avez fait passer dans l’épine dorsale, ni les émotions profondes dont vous avez rempli mon cœur et mes yeux en jouant tant de belles choses, autrefois chez BORDES, rue La Rochefoucauld, et entre toutes l’admirable Quintette de mon bien-aimé maître FRANCK. Figurez-vous que moi, son vieil élève, je ne connais pas encore son quatuor qu’on dit si sublime. Mais je me promets bien d’aller exprès à Bruxelles quand je le pourrai pour vous demander de me le faire entendre. Ce jour-là sera un des deux ou trois tout à fait heureux qui me restent peut-être à vivre.

Adieu, cher Ami, et merci encore : croyez à mes sentiments les plus affectueux et comptez-moi toujours parmi les admirateurs les plus enthousiastes de votre merveilleux talent.

DUPARC

Le théâtre de la Monnaie, à Bruxelles, s’associe, pour sa part, aux efforts artistiques d’YSAYE et crée plusieurs œuvres que l’Opéra de Paris refusait comme trop révolutionnaires. Citons en 1886 : Gwendoline de CHABRIER ; en 1897, Fervaal de d’INDY ; en 1903, l’Etranger de d’INDY et le Roi Artus de CHAUSSON.

Mais ce n’est pas sans peine qu’YSAYE civilise ses compatriotes. A côté de l’opposition qui lui est faite par les pontifes musicaux de l’époque, il se trouve en proie à des difficultés d’ordre pratique. Ainsi le premier concert YSAYE est donné au Cirque. Il faut avouer que le décor de trapèzes et d’agrès ne cadrait guère avec la musique symphonique…

Assez longtemps après, vers 1910, alors que les concerts YSAYE étaient lancés et connaissaient le succès, YSAYE annonce, pour l’hiver suivant, la création de six symphonies d’auteurs belges. Du coup, le nombre des abonnements tomba de 50 %. Inutile de dire que les six symphonies furent jouées.

Cependant, l’activité d’YSAYE le retient souvent loin de son poste de professeur de violon au Conservatoire Royal de Bruxelles. Aussi, en 1897, il envoie, de New-York, sa démission au Directeur du Conservatoire, M. GEVAERT.

Libéré des soucis professoraux, YSAYE continue son oeuvre de propagandiste avec le même zèle, la même foi, la même ardeur à faire connaître les noms de ses amis qu’il avait mises à établir sa propre réputation.

YSAYE se glorifie à juste titre de son apostolat artistique. Le soir même de la première exécution à Bruxelles, après la mort du compositeur, du merveilleux Poème de CHAUSSON, dont BREITKOPF l’éditeur, disait que cette musique “était trop moderne pour plaire et se vendre“, YSAYE écrit à Mme CHAUSSON et à ses enfants :

Aujourd’hui, 17 juin 1899, trois mille auditeurs, instruits de la mort du compositeur ont écouté pensivement, religieusement et avec une émotion que je sentais croissante, son Poème dont j’ai laissé mon cœur sangloter la triste et sublime mélodie plaintive.

Votre père a reçu aujourd’hui -je l’affirme, l’ayant bien senti- la première feuille d’une couronne de gloire que tous les peuples lui tresseront ; et moi qui fus parmi les premiers à comprendre, à aimer, à admirer le musicien personnel, le poète sincère et doucement mélancolique qu’il était, je fus aujourd’hui plus attendri encore à la pensée que j’étais le premier après sa mort à mettre humblement toutes mes forces d’artiste au service d’une de ses œuvres, dont la pure gloire rejaillira sur vous tous, chers enfants, et surtout sur celle qui en est comme la discrète émanation : votre mère!

[Extrait de la Musique de l’Amour, par Ch. OULMONT]

1914 ! Les trois fils d’Eugène YSAYE, Gabri, Antoine et Théo (ce dernier n’avait pas seize ans !) s’engagent dans l’armée belge. YSAYE séjourne à Knocke. L’avance constante des armées allemandes le contraint de se réfugier en France, d’où il passe à Londres. Toute sa fortune, au débarquement en Angleterre, consiste en son violon.

Il trouve à Londres le plus charmant accueil et se produit comme virtuose et comme chef d’orchestre, pour le plus grand bien des réfugiés belges en Angleterre. En 1917, il se rend en Amérique où Mme TAFT, belle-sœur du Président des Etats-Unis lui offre la place de chef à l’orchestre de Cincinnati. YSAYE y poursuit son oeuvre de propagandiste et fait découvrir aux Américains imbus des romantiques allemands les trésors de la jeune école française.

Dès 1920, YSAYE rentre en Belgique, rappelé par nos Souverains, et y reprend ses fonctions de Maître de chapelle à la Cour.

Un deuil cruel vient frapper l’artiste. Sa compagne des jours de lutte et de gloire meurt à Bruxelles en février 1924.

Tous les amis du Maître, qui connaissaient la place qu’occupait au foyer Mme YSAYE et qui aimaient cette femme dont le charme captivait tout son entourage, s’affligèrent avec lui. Le Roi ALBERT lui écrivit les lignes suivantes :

Laeken, le 11 février 1924

Cher Maître,
Je suis vivement ému en apprenant le deuil cruel qui vient vous frapper si inopinément dans vos plus chères affections. Je sais combien Mme YSAYE était pour vous une compagne intelligente et dévouée, et personnellement
j’avais pu apprécier son charme et son amabilité.
Aussi est-ce de tout cœur, cher Maître, que je prends part à votre douleur et à celle de vos enfants et que je vous assure de mes sentiments fidèlement dévoués.

ALBERT

De son côté, la Reine ELISABETH adressait à son vieux professeur une lettre tout aussi simple et sincère.

La santé d’YSAYE avait été ébranlée par ce coup funeste. Mais il reprend bientôt le dessus. On entend de nouveau son violon prestigieux. Une lettre de G. FAURÉ nous permet d’apprécier l’accueil du public parisien.

Bien cher Ami,
Tu penses bien que, si je n’étais pas au Théâtre des Champs-Elysées hier soir, c’est que cela ne m’avait pas été possible. Les sorties du soir me sont, hélas, tout à fait interdites!
Mais j’y avais des amis et les bonnes nouvelles abondent depuis ce matin. Je sais donc que tu as joué comme toi seul sais jouer et qu’on s’est retrouvé de nouveau devant ce style ample, généreux, d’une absolue et géniale magnificence qui semblait disparu de la Terre ! Je sais que le théâtre était comble, que tu as été acclamé triomphalement et j’espère que tu auras ressenti ce qu’au delà d’une profonde admiration, il y avait de profonde et émouvante affection dans cet enthousiasme.

FAURÉ

Nous voyons YSAYE entrer dans une période de production artistique intense. Plusieurs de ses œuvres sont créées à Liège sous sa direction.

En 1927, YSAYE épouse en secondes noces, Mlle Jeannette DINCIN, violoniste remarquable, fille d’un médecin américain.

Mais la maladie (YSAYE était atteint de diabète), qui progressait sournoisement, entre dans une phase aiguë. En dépit des soins attentifs de Mme Jeannette YSAYE et de l’intervention des meilleurs médecins, l’amputation du pied droit devient nécessaire.

Malgré les tourments physiques qu’il endure, YSAYE continue son oeuvre musicale. Il vent élargir le sillon ouvert un siècle et demi auparavant par Jean-Noël HAMAL et créer un opéra wallon.

Sur un livret composé entièrement par lui, YSAYE écrit la musique drue, vivante et colorée de Piér li houïeu [Pierre le houilleur].

Cependant, la joie procurée par le succès de son oeuvre est de courte durée. La maladie le terrasse le 12 mai 1931, alors qu’il commençait un nouvel opéra wallon, d’après un roman de Joseph MIGNOLET : L’avierge di pîre [La vierge de pierre].

Eugène YSAYE était âgé de soixante-treize ans…

Cette esquisse de la longue et brillante carrière du virtuose nous a déjà permis d’entrevoir, outre les qualités de l’artiste, certains traits de bonté et de dévouement qui caractérisent l’homme.

Recueillant les souvenirs de ceux qui l’ont connu intimement, y ajoutant ceux qui me restent de mon enfance, je vais tenter de peindre ce caractère admirable.

CHAPITRE DEUXIÈME

L’homme

La première chose que l’on doit dire d’YSAYE, pour expliquer son caractère et son oeuvre, c’est qu’il est purement et absolument wallon. Son enfance s’est passée dans les quartiers les plus foncièrement liégeois : Sainte-Marguerite et Outremeuse. Il y a puisé la sève populaire et forte qui, durant la longue vie qu’il a menée loin de sa petite patrie, a nourri et soutenu son idéal d’Amour et de Beauté. Car YSAYE n’est pas seulement wallon par ses origines, il l’est par ses goûts, par ses affections, par son parler, par ses actes, par sa musique. Si tous les artistes savent qu’ils le trouveront conseiller sincère et secourable, les enfants de Wallonie savent qu’ils trouveront en lui un père. Guillaume LEKEU lui dédicace une photographie dans les termes suivants :

A Eugène YSAYE, à l’ami sûr et toujours réconfortant, au Maître évocateur d’émotions inoubliables, filialement du fond du cœur.

Son entourage ne l’appelait jamais autrement que le Père et plus familièrement Pèpère.

Dès le premier abord, YSAYE attirait invinciblement la sympathie. Il se dégageait de lui une sorte de fluide qui en faisait un irrésistible séducteur. Ce fluide était particulièrement agissant auprès des petits enfants, qu’il adorait, et avec qui il savait jouer des heures entières, pour leur plus grande joie.

Ses lettres, ses discours, étaient émaillés de réflexions pittoresques, dites en patois, qui expriment son amour pour la Cité ardente.

Tous les auteurs wallons lui étaient familiers : il les lisait, il venait applaudir leurs oeuvres au théâtre wallon du Trocadéro, qui recevait sa visite à chacun de ses voyages à Liège.

C’est son affection pour son terroir natal qui poussera YSAYE à écrire pour les Wallons sa dernière oeuvre : Piér li houïeu.

Mais à côté de ces sentiments élevés se font jour d’autres goûts wallons, tout prosaïques ceux-là, tels que l’amour du boudin, de ces pommes de terre spécifiquement wallonnes que l’on appelle cwènnes di gattes [cornes de chèvre] et du flairant froumadje di Hève [les fromages de Herve (près de Liège) ont un parfum comparable à celui du camembert]. Voici en quels termes YSAYE qui séjournait au Zoute où il ne pouvait trouver ces denrées fait, à une Liégeoise, une odoriférante commande gastronomique.

Le Zoute – Villa Chanterelle.

Divine Berthe ! – Le printemps est revenu, l’été reviendra, et le doux parfum des fleurs ainsi que le chant des oiseaux feront germer en nous des moissons nouvelles d’amours, de poésie, d’harmonies, de baisers -si j’ose- ô Berthe !
Hélas! ce qui a disparu, ce qui ne fleurit plus, ce que je voudrais voir revenir, ce sont les Herves qui distillent des parfums plus suaves, plus tisonnants, plus remémorants que toute l’Arabie! … La nuit, comme des bras d’une femme aimée, je sens qu’on m’entoure le cou d’une aune de boudin des deux sexes! … Alors, ô Berthe, il faudrait ne pas me laisser dans les affres et, en revenant de Saint-Paul, passer au derrière de la petite Vierge [La statue de la Vierge, par Del Cour, érigée face à la cathédrale Saint-Paul] et faire une flairante commande de douze bouquets pas trop défleuris. Si tu fais cela, je te bénirai. Mon âme à toi,

Eugène YSAYE.

La confiance en soi était la qualité maîtresse d’YSAYE. Toute sa vie le prouve surabondamment. Cette confiance était soutenue par une force physique extraordinaire, et cette puissance lui permettait de jouer aisément, en une même soirée, trois œuvres que les meilleurs violonistes n’abordent séparément qu’avec prudence au concert, en raison de leurs difficultés techniques et de la résistance physique qu’elles exigent de l’exécutant. Ce sont les sonates de LEKEU, de FRANCK et la sonate à Kreutzer de BEETHOVEN, soit environ deux heures d’une musique vibrante, tourmentée et passionnée.

YSAYE était d’ailleurs un grand sportif. DUPONT, maître d’armes à Bruxelles, lui donnait régulièrement la leçon d’escrime. François THIRIFAY, maître d’armes à Liège, fut également son professeur et partenaire. YSAYE prêta maintes fois son concours comme virtuose aux galas organisés par ses amis les escrimeurs au profit de l’un ou l’autre atteint par l’âge ou l’infortune. C’est ainsi que nous voyons réunis dans un de ces galas les maîtres du fleuret IMBART DE LA TOUR et François THIRIFAY et les maîtres de la musique : le pianiste Arthur de GREEF, le violoncelliste LOEWENSON, la cantatrice LITVINE et enfin YSAYE, avec la musique du 1er Régiment de Guides comme orchestre. Au sortir de scène, YSAYE, qui ne se sentait nullement fatigué, quitta son habit pour livrer à son vieil ami THIRIFAY un assaut au fleuret dont l’envers du décor fut spectateur et juge.

YSAYE fut aussi un fervent de la bicyclette et du tennis, sports tout nouveaux à cette époque. La natation comptait en lui un adepte enthousiaste et il maniait des haltères tous les matins.

Lorsque l’âge lui interdit la pratique des sports, il devint supporter assidu des matches de football avec toutes les qualités… vocales requises pour jouer ce rôle. Pendant ses vacances, il organisait des parties de croquet. Mais au dire de ses partenaires, cela ne durait jamais longtemps, car des batailles terminaient toutes les parties perdues par YSAYE, vilain joueur, qui ne prétendait pas payer l’apéritif à ses vainqueurs.

La force physique d’YSAYE et sa confiance en soi étaient soudées par une volonté de fer. M. Armand PARENT rapporte, dans “Souvenirs et anecdotes”, les faits suivants :

En 1886, YSAYE est engagé aux concerts COLONNE à Paris. Aux deux répétitions avec l’orchestre il joue mal. Tête de COLONNE et désespoir de PARENT …  J’emprunte le texte de ce dernier :

La veille du concert, au moment de nous quitter, YSAYE, un peu soucieux mais énergique, me fait cette déclaration stupéfiante : « Je sais que je n’ai pas été brillant aux répétitions, mais demain je serai sublime ».

Et le lendemain, au concert, ce fut un délire d’enthousiasme dans le public.

Mais les manifestations de cette volonté impérieuse étaient adoucies par une bonne humeur constante. Même dans les circonstances les plus pénibles pour lui, YSAYE conserve le ton gouailleur du wallon qui refuse de s’apitoyer sur son propre sort.

Alors qu’il se remettait lentement des suites de l’opération subie en 1929, opération au cours de laquelle on l’avait amputé d’un pied, il écrivait à son ami Vincent d’INDY :

Bruxelles le 31 juillet 1929.

Mon cher Vieux,
J’ai tardé à te donner de mes nouvelles parce que je tenais à le faire moi-même et que j’en étais incapable jusqu’à ce jour …
Et voilà, comme dit la chanson : J’ai un pied qui r’mue et l’autre qui ne va guère, j’ai un pied qui r’mue et l’autre qui ne va plus. Oui, je n’ai plus qu’un pied, le gauche, le droit a été mangé par les cochons, je crois. En résumé, j’eusse préféré le raccourcissement d’Abélard, quoique…
Ta bonne petite lettre, cher vieil ami, fut un baume sur le moignon; celui-ci prend déjà la jolie forme d’une boule de bilboquet; dans quelques semaines, un appareil me permettra de marcher (presque deux ans de stagnation et de souffrances).
Enfin, c’est fini, et tu es le premier à qui j’annonce moi-même cette bonne nouvelle.

Je t’embrasse,
EUGÈNE.

(Extrait de “Souvenirs et Anecdotes” d’A. PARENT)

La bonté d’YsAYE était proverbiale parmi les artistes. Aucun d’eux n’allait le solliciter en vain. Conseils, appui moral, secours financiers, YSAYE faisait tout ce qui était en son pouvoir pour aider ses jeunes confrères. Il remuait ciel et terre, formait une coalition artistique pour empêcher de jeunes virtuoses d’aller se vendre, comme il disait aux orchestres des villes d’eau, où ses protégés, forcés de se soumettre aux exigences d’un public au goût artistique très variable, étiolaient leur talent.

En l’occurrence, YSAYE se souvenait de ses luttes à Berlin, des difficultés éprouvées, des trucs qu’il avait dû employer pour séduire les imprésarios méfiants et peu scrupuleux. Tel celui qui l’engagea après la réception que voici.

YSAYE était à bout de ressources. Ou trouver un engagement, ou jouer à la terrasse des cafés. Il dépense ses derniers marks à acheter deux bouteilles de champagne et à louer un domestique pour quelques heures. Ses amis l’aident à remeubler temporairement son appartement et YSAYE convoque un grand imprésario berlinois. Le domestique, dûment stylé, introduit ce dernier avec tout l’apparat convenable et, dès que le visiteur et son maître sont installés, apporte, comme si la chose était courante et naturelle à la maison, la première des deux bouteilles de champagne. La discussion se prolonge. La bouteille est vide. YSAYE fait un signe. Le domestique, avec une politesse obséquieuse, s’incline respectueusement devant lui et lui demande : « Toujours le même, Monsieur ? ».

Lorsqu’il racontait cette histoire, qui se termina fort heureusement, YSAYE disait du domestique : “Ci là ! dji l’âreu bin strôné !” [“Celui-là, je l’aurais volontiers étranglé”]

La bonté d’Eugène YSAYE conférait à son logis, une atmosphère toute spéciale. Sa maison était ce qu’on appelle à Liège, li mohonne dè Bon Dju [La maison du Bon Dieu], ouverte à tout qui frappait à la porte.

Guillaume LEKEU écrivait à sa mère :

YSAYE est parti ce matin pour Bruxelles, où j’irai le voir à la fin du mois … Il ne veut pas que je descende à l’hôtel, ma chambre, chez lui, m’attend perpétuellement, paraît-il. Je ne parviendrai jamais, certainement, à m’acquitter envers YSAYE de toutes les marques d’affection qu’il me prodigue.

(Extrait de “Guillaume LEKEU” par M. LORRAIN)

Cette hospitalité qu’YSAYE accordait sans compter à tous ses amis mettait son entourage dans des situations inextricables. Plus d’une fois, des invités durent se contenter d’un fauteuil, car toutes les chambres étaient occupées ! Sa villa du Zoute, La Chanterelle, était le théâtre de scènes baroques qui justifient l’expression qui vient sous la plume de LEKEU : “J’ai passé la soirée chez YSAYE en compagnie de Madame et de son frère Théo. Quels êtres extravagants mais si profondément artistes.

Mon père, qui était en vacances à Knocke faisait du quatuor avec YSAYE à La Chanterelle. Il lui demande un jour :

– Mais qui est ce bonhomme là ? Voilà huit jours qu’il nous écoute (un petit public d’amis et de commensaux écoutaient le travail du Maître).
– Celui-là ? C’est un ami. Il loge ici.
– Tiens ! et comment s’appelle-t-il ?
– Ah! valet! Çoula, djè nè sé rin! [Ah, mon garçon, cela, je n’en sais rien].

La Villa du Zoute était le rendez-vous estival, de tous les artistes de passage à la côte belge. Pablo CASALS, Georges ENESCO, Joseph SZIGETI, Arthur RUBINSTEIN, Alfred CORTOT, Yves NAT, Jacques THIBAUD, et combien d’autres encore ! y vinrent et payèrent comme tous les visiteurs, le tribut à la musique. Infatigable, malgré son âge, YSAYE travaillait le violon le matin avec ses élèves, faisait une courte promenade l’après-midi, puis étudiait une nouvelle oeuvre, et, le soir, on exécutait des quatuors et des quintettes. La soirée se prolongeait très tard.

Parfois, cependant, l’un ou l’autre des partenaires était insuffisant. YSAYE, entravé, ne supportant pas d’entendre mal jouer les œuvres qu’il préférait et, d’autre part, ne voulant pas faire affront à un jeune musicien, se déclarait fatigué et proposait une partie de whist.

Le whist était plus qu’un jeu pour lui. Il lui arrivait d’entrer dans des colères folles, lorsque son partenaire commettait une bévue.

Ces colères, aussi fugaces que violentes, car il ne savait garder rancune à personne, YSAYE les avait encore en une autre circonstance. Fervent amateur de Bourgogne, il ne supportait pas que le moindre choc fût donné à la bouteille pendant le débouchage. Il suivait l’opération avec l’angoisse du gourmet qui craint le sacrilège du bouchon cassé. Un jour qu’un violoncelliste liégeois venait de commettre ce crime affreux, YSAYE se laissant tomber dans son fauteuil avec un râle de colère étouffée, exhala douloureusement ces mots définitifs : “Il est âssi adreu di ses mains qu’on pourçai di s’cowe!” [Il est aussi adroit de ses mains qu’un cochon de sa queue].

YSAYE était toujours escorté de quelques élèves qui venaient recevoir du vieux Maître des leçons merveilleuses de technique et surtout d’interprétation.

M. François RASSE, Directeur du Conservatoire Royal de Liège, ancien élève d’YSAYE au Conservatoire Royal de Bruxelles, et dont YSAYE prisait fort les qualités de musicien et d’érudit, a bien voulu me documenter sur la partie technique de l’enseignement d’YSAYE. Tout nouvel élève, quel que fût son acquis, devait, avant tout, s’assimiler les gammes et arpèges doigtées par YSAYE. Non seulement les gammes simples, mais aussi celles en 3es, 4es, 6es, 8es et 10es. Aux changements de position, au lieu de déplacer rapidement toute la main, ainsi que le pratique l’école classique, YSAYE rassemblait les doigts et chassait celui qui tenait la note par celui qui devait jouer la note suivante. En un mot, au doigté par succession des classiques, il opposait un doigté par substitution. Ajoutons qu’il effectuait les changements de position sur les demi-tons. A cela se joignait un travail spécial du pouce gauche dont YSAYE se servait comme d’un pivot immobile autour duquel se déplaçait la main dans certains traits rapides. Dans un changement de position où toute la main devait se déplacer, le pouce précédait les autres doigts et formait, si je puis dire, une base avancée de la nouvelle position. YSAYE possédait une extraordinaire souplesse du pouce gauche. Grâce à cela, il exécutait des traits qui, d’ordinaire, exigent le déplacement total de la main, sans changer le pouce de place, ce qui lui donnait une extraordinaire vélocité et lui permettait d’obtenir une justesse impeccable.

Au point de vue de l’archet, YSAYE se montrait tout aussi exigeant. Non seulement il ne voulait pas qu’on entende le passage d’une corde à l’autre, mais il n’acceptait même pas qu’on le voie. Et pour donner l’illusion complète à l’œil et à l’oreille, il faisait décrire à l’archet un arc de cercle continu de la quatrième à la première corde. Il avait d’ailleurs composé une série d’exercices (doigts et archet combinés) à ce sujet. Ce travail de l’archet, joint à des doigtés très personnels, parfois peu orthodoxes du point de vue classique, mais toujours essentiellement pratiques et violonistiques, conféraient à YSAYE une ampleur de sonorité et un soutenu dans le phrasé qui l’ont rendu inégalable.

Comme tous ceux qui ont connu YSAYE et que j’ai consultés pour établir les bases de mon étude, M. RASSE me recommanda vivement d’insister sur la grande bonté du Maître. Sa classe était une famille. YSAYE ne supportait pas les petites jalousies courantes entre artistes. Il entrait dans une formidable colère s’il surprenait un de ses élèves à dénigrer un camarade.

Nul ne l’entendit jamais médire d’aucun artiste. Respectueux et reconnaissant envers ses anciens maîtres, il entendait que chacun respectât ses professeurs. Un jour un jeune violoniste belge lui demande de l’entendre et de bien vouloir l’accepter comme élève. Après l’audition, YSAYE critique doucement les défauts, assez nombreux, du jeune artiste. Celui-ci d’accabler aussitôt son ancien maître de vifs reproches, voyant en lui la cause de ses travers.

– Qui était votre professeur? demande YSAYE, fâché d’entendre les diatribes du jeune homme.
– M. THOMSON.
– Il est difficile de ne rien apprendre avec un Maître comme THOMSON, Monsieur, et s’il ne vous a pas plu, je vous plairai encore moins.

Remarquons qu’YSAYE et THOMSON, camarades de classe du Conservatoire de Liège, étaient rivaux directs en tant que virtuoses.

Ainsi que je le disais plus haut, l’enseignement d’YSAYE était avant tout artistique. Chaque oeuvre recevait les doigtés et coups d’archet qui lui convenaient et que les élèves reproduisaient soigneusement, mais la leçon était une leçon d’interprétation.

YSAYE accompagnait son élève au piano ou, lorsqu’il était bien disposé, au violon. Alors, c’était un émerveillement. Sous ses doigts, le violon sonnait comme un orchestre. Le chant joué par l’élève était si pleinement soutenu par l’accompagnateur que l’auditeur non averti n’aurait pu dire lequel, du maître ou de l’élève jouait la partie principale. Chacune de ces improvisations qu’YSAYE brodait sur l’accompagnement écrit par le compositeur intensifiait l’expression de la mélodie et lui en faisait dire plus que son auteur n’avait rêvé qu’elle dit. YSAYE n’a jamais voulu écrire ces accompagnements.

]’ai eu le bonheur d’entendre une de ces inoubliables improvisations, peut-être la dernière du Maître. YSAYE dînait à Liège, et j’étais parmi les convives de cette réunion tout à fait intime. Son dernier élève, M. Remo BOLOGNINI, jeune violoniste américain de très grand talent, joua d’abord un caprice de PAGANINI. Puis le Maître voulant remercier ses hôtes, accompagna M. BOLOGNINI dans le 4e concerto de VIEUXTEMPS.

L’archet, qui était celui d’un vieillard pendant les quelques premières mesures – YSAYE avait à ce moment soixante-douze ans – s’affermit immédiatement et le prodigieux virtuose, retrouvant pour quelques instants toute la puissance de sa jeunesse, redevenu ardent et fougueux, accompagna son digne élève comme jadis VIEUXTEMPS l’avait accompagné lui-même.

L’Adagio du Concerto nous surprit tous les yeux pleins de larmes, et le Finale nous laissa écrasés devant le brio et la puissance du Maître. La dernière note s’était tue depuis longtemps qu’aucun d’entre nous n’osait bouger, de peur de rompre l’enchantement terrible et merveilleux qui nous étreignait encore.

Cet homme unique, qui interprétait les œuvres les plus savantes, les plus intellectuelles, les plus raffinées avec une compréhension extraordinaire, n’avait même pas fait une école primaire. Quand il était enfant, l’enseignement n’était pas obligatoire, et Nicolas YSAYE estimait préférable pour son fils, l’étude du violon à celle de l’arithmétique ou du français.

Personne n’a pu me dire comment Eugène YSAYE apprit les rudiments de la lecture et de l’écriture. Mais une chose est évidente, c’est que, arrivé à l’âge d’homme, YSAYE discourait en un français impeccable avec une facilité que lui enviaient maints orateurs, écrivait admirablement sa langue, de même que l’anglais et l’allemand, et parlait assez couramment l’italien et le russe.

A ce point de vue, YSAYE fut, dans toute la force du terme, un autodidacte. Il se forma en voyageant en compagnie de livres, de dictionnaires, de grammaires. Quatre auteurs eurent sur son esprit, sur son art même, une influence indubitable. Tout d’abord, Jean-Jacques ROUSSEAU. YSAYE trouvait en lui-même la justification de la formule qui est à la base de l’édifice rousseauiste : l’homme naît bon. Cette affirmation, YSAYE l’adopta, avec toutes ses conséquences, parce qu’il ne pouvait croire à la jalousie, à l’envie, à la méchanceté des autres hommes.

La bibliothèque d’YSAYE renfermait aussi les traductions des auteurs grecs et latins. Sa lecture favorite, dans ce domaine, était les Commentaires de la Guerre des Gaules, de Jules César.

Ce souci d’étendre ses connaissances vers le domaine littéraire antique évoque l’aspect classique du caractère d’YSAYE. Il est étonnant de voir quel fonds de classicisme pur possède ce virtuose romantique. Au point de vue musical, il faut sans doute y voir les influences de VIEUTEMPS et de RUBINSTEIN, dont la musicalité était extrêmement raffinée. YSAYE entretint et développa le germe qu’ils avaient déposé en lui. Ses lectures classiques lui donnèrent une tournure d’esprit qui tempéra les élans de sa nature impétueuse dans ce qu’ils auraient pu avoir d’excessifs ; elles remplirent le rôle des barrages de notre Meuse, qui régularisent son débit sans jamais l’amoindrir, mais au contraire, l’ennoblissent et font d’elle un fleuve puissant.

Cependant la nature romantique et ardente d’YSAYE trouve sa correspondante dans les œuvres d’Honoré de BALZAC. YSAYE et BALZAC ont en commun la bonté, la puissance, la verve, la vie intense. BALZAC, d’inspiration romantique, par l’exubérance de sa Comédie humaine, est réaliste par la vérité de ses personnages et de ses décors. Ce mélange de romantisme et de réalisme, nous le retrouvons chez les Wallons, mais avec une pointe d’ironie et une sentimentalité plus délicate, qui en font une race à part, dont les artistes sont personnels, sinon toujours dans leur technique, du moins dans leurs sentiments.

Cet esprit, YSAYE le possédait et l’aimait par dessus tout et si BALZAC lui apparaissait comme le Dieu de la littérature, les auteurs wallons, dont les vers et la prose occupaient une large place dans sa bibliothèque, étaient plus près de son cœur. YSAYE écrivait un jour :

Vous savez combien j’aime et je cultive notre bonne vieille langue si mordante, si gouailleuse et si gaie, comme rend gai le bon vieux vin !

Et ailleurs encore :

Liège, le sol natal, les rives fleuries, notre bon vieux patois, pour moi, c’est l’pan dè bon diu [Le pain du Bon Dieu, poème en dialecte liégeois de Henri Simon, traduit en français par J. Haust aux éditions La vie wallonne, Liège)] que SIMON chante si bien!. .. C’est ce pain là qui nourrit mes souvenirs, mon esprit et mon cœur.

Cet attachement au terroir se traduit sans cesse dans ses lettres, par ses réflexions pittoresques dites en patois, par ses enthousiasmes pour les artistes de chez nous, par son affection agissante envers eux, et enfin, par ses interprétations et ses compositions.

CHAPITRE TROISIEME

L’Artiste et le Compositeur
Les interprétations d’YSAYE

Est-il possible d’analyser quand on est emporté par un remous sentimental qui livre l’auditeur à l’artiste ? YSAYE envoûtait son public. A qui plus qu’à lui pourraient s’appliquer ces paroles de Camille MAUCLAIR parlant du ‘prestige du virtuose‘ :

Cependant, il se tient, seul et libre au devant d’une foule, il obtient une qualité inconnue de silence, une obéissance passive dont l’instantanéité est saisissante. Nul être qui n’attende de lui le rythme de son cœur : il en réglera les battements, et son geste commandera les organismes. Il crée l’angoisse et le ravissement. Il décrète l’amour et la peine, et de tels droits lui sont acquis sans conteste. Des centaines de créatures s’en remettent à lui du soin de leur émotion. Il est le prince, l’amant, le mage et le prêtre. Il ordonne, il caresse, il soumet, il conseille tour à tour. Cependant, perdu dans son rêve, il est immensément isolé, et il sait qu’il règne, mais ne semble pas le savoir.

Camille MAUCLAIR, La Religion de la Musique

Eugène Ysaye photographié par Alban (1930) © José Quitin

YSAYE ne soumettait pas seulement son public : il soumettait aussi les compositeurs. Une fois leur oeuvre entre ses mains, il en faisait sa chose. Il bouleversait les idées de l’auteur et lui imposait ses géniales conceptions. Et l’auteur découvrait à son oeuvre des beautés ignorées, et il admirait l’interprète qui lisait en lui mieux qu’il ne l’avait fait lui-même.

Tous composaient pour YSAYE. CHAUSSON lui écrit que son Poème et son Quatuor sont faits pour lui. Il ajoute même : “DEBUSSY écrit pour toi un Concerto. Je ne le connais pas et ne veux pas le connaître maintenant.” Je ne pense pas que CHAUSSON, qui achevait son Poème à cette époque, craignit de subir les influences de DEBUSSY. Je crois plutôt qu’il préférait avoir la révélation du concerto en question par YSAYE lui-même. Malheureusement, cette oeuvre avorta et fut jetée au panier par DEBUSSY.

Avant d’étudier le Compositeur Eugène YSAYE, il me semble opportun de souligner les deux tendances apparemment contradictoires qui se font jour déjà chez le virtuose. YSAYE est un Artiste avant tout. Ses capacités techniques sont mises au service de la musique. Mais il ne peut nier qu’il est élève de WIENIAWSKY et de VIEUXTEMPS, deux Virtuoses du violon. Aussi, le voyons-nous, dans sa jeunesse, accorder au violon une place prépondérante, et parmi les instruments, et dans la musique elle-même. Armand PARENT écrit : “A cette époque lointaine (1885), la musique pour YSAYE, c’était le violon, la musique à son service. Le violon était le roi de la musique, c’en était touchant.

La maturité aidant, YSAYE atténua cette conception un peu simpliste, mais jamais au point de négliger si peu que ce soit, l’importance du violon, ni la connaissance approfondie de sa technique. Il exigeait de ses élèves une technique accomplie, disant, avec raison, qu’elle seule permet au virtuose de se donner entièrement à l’interprétation des œuvres jouées. YSAYE reprocha toujours aux écoles belge et française de minimiser le côté purement instrumental au profit du côté artistique, comme à l’école allemande de verser dans le travers opposé.

Cette conception d’YSAYE touchant le rôle et les capacités d’un interprète, nous la retrouvons toute entière dans sa musique. En effet, YSAYE écrit pour et par le violon comme il disait parfois. Si nous exceptons deux œuvres pour le violoncelle et son opéra, toutes ses compositions sont écrites pour son instrument favori.

Que trouvons-nous dans les œuvres d’Eugène YSAYE ? D’abord, de la Musique. – Une musique fluide, mélodieuse, qui sonne bien, quoique toujours un peu grisaille au début du morceau. Comme ces brouillards qui couvrent la Meuse le matin et que le soleil déchire, ainsi la nature artistique et intime d’YSAYE s’épanche dans sa musique avec une tendresse souvent mélancolique, voilée par une sorte de pudeur, que traduit l’accompagnement du quatuor à cordes. Mais, peu à peu, la nature fougueuse du Maître se manifeste. Sa musique gronde, grandit, s’accélère, s’enfle, sonne, éclate enfin en un cri passionné qui laisse l’auditeur haletant après cette course vers l’Idéal.

Puis, le calme revient. La fureur des sentiments exacerbés fait place à un apaisement profond, mais où l’âme du compositeur est toujours vibrante, toujours prête à s’élancer de nouveau à la conquête du Beau.

Parcourons l’oeuvre d’Eugène YSAYE. J’y marquerai quatre groupes qui correspondent à ses conceptions artistiques et intellectuelles :

  1. Les œuvres purement sentimentales.
  2. Celles où le souci de joindre la virtuosité à la musicalité se fait jour.
  3. Les œuvres de technique pure.
  4. Son opéra, Piér li Houïeu.

Signalons que ce classement correspond à l’ordre chronologique des compositions. Nous voyons ainsi YSAYE évoluer vers la technique pure au violon en réaction contre l’abandon progressif de ce souci par les violonistes
au cours de ces dernières années.

La première partie, qui est la plus abondante, se compose d’une série de Poèmes pour un ou plusieurs instruments à cordes, avec accompagnement d’orchestre. Les caractères sentimentaux que je signalais tout à l’heure se manifestent pleinement dans ces œuvres dont le prototype est à mon avis, le poème pour orchestre à cordes sans basses intitulé Exil. Voici quelques titres qui suggèrent les sujets traités : Chant d’hiver, Scène au rouet, Extase, Méditation, Amitié, Poème élégiaque.

J’ai eu le bonheur de retrouver des commentaires d’Eugène YSAYE sur quelques-unes de ses œuvres. Ils furent donnés par le Maître à un concert à Liège en 1926. Il profitait de cette occasion pour développer les idées qui lui étaient chères touchant le rôle et les qualités du virtuose et les éléments qui doivent, selon lui, composer toute oeuvre instrumentale.

Méditation, poème pour violoncelle et orchestre à cordes.

Ecrire pour un instrument dont on ne joue pas m’a toujours semblé une chose impossible ; mais j’avais l’exemple de VIEUXTEMPS qui écrivit des concertos pour violoncelle qui décèlent une connaissance parfaite des ressources techniques de l’instrument. De plus, les HOLLMANN, HEKKING, GÉRARDY, SERVAIS, CASALS, POLLAIN, GAILLARD et d’autres m’ont initié de si près aux secrets de leurs basses que je n’eus guère de peine à faire sonner ce ténor de la corde. La Méditation est le développement d ‘une esquisse datant des temps lointains où GÉRARDY et moi nous parcourions, de concert, l’Amérique du Nord. Beaucoup plus tard, Fernand POLLAIN me tisonnant, je repris l’ébauche et achevai le tableau et on me permettra de dire que la Méditation, garnie de son vêtement orchestral, est l’une de mes machines pour laquelle j’ai une légère préférence. Je ne sais pourquoi, peut-être est-ce par les souvenirs qui se rattachent à l’époque de l’esquisse…

Le début de cette notice montre bien le souci qu’avait YSAYE d’écrire pour un instrument, c’est-à-dire de lui faire donner son maximum de sonorité et d’en exploiter le plus complètement possible les ressources techniques.

Chant d’hiver, pour violon et orchestre réduit.

Ce morceau fut conçu à une époque où l’âme de l’artiste est tourmentée par le doute, à l’un de ces moments où la conscience de n’être rien vous obsède et vous meurtrit ; alors c’est la tristesse, la mélancolie, le regret des jours sans souci de l’enfance au bord de la Meuse qu’on exhale en des mélodies plaintives et un peu frileuses. En lisant les beaux vers wallons de VRINDTS j’ai trouvé cette strophe qui rend bien la pensée qui s’agite dans le cours de ce Chant d’hiver qui, écrit avant l’admirable Poème d’Ernest CHAUSSON (de même que mon Poème élégiaque) éveille l’intérêt par la nouveauté de la forme.

To soule si plainde, tot soule choûler,
I nîve … et l’nivaye si ra poule
disconte les mohonnes : li vint hoûle …
… I m’sonle co même ôr li chanson
Di noste aiwe tot moussant d’zos l’glèce.

J. VRINDTS, Poèmes wallons

[Tout semble se plaindre, tout semble pleurer, / Il neige … et la neige se blottit / Contre les maisons ; le vent gémit… / Il me semble même entendre encore la chanson / Du ruisseau glissant sous la glace]

On peut rattacher à ces œuvres le trio de concert pour deux violons, alto et orchestre à cordes et le poème Amitié pour deux violons et orchestre. On remarquera dans la notice d’YSAYE sur le Trio, la restriction qu’il apporta au côté technique par pur souci artistique, pour que l’oeuvre sonne bien, comme il dit.

Trio de concert, pour deux violons, alto et orchestre.

La guerre, si souvent improductive de choses d’art fut le contraire pour moi : une grande partie des œuvres du programme d’aujourd’hui date des années de la terrible épreuve que l’Europe a subie. Ce Trio fait partie du travail qui fut mon oasis pendant la tourmente, car le musicien n’a pas d’exil, il emporte avec lui l’élément consolateur : l’Art, et nulle puissance ne peut détruire ce refuge de la pensée, du cœur. Je voulais écrire ; j’écrivais un Duo pour deux violons pour jouer avec notre vénérée souveraine la Reine ELISABETH lorsque, sur le point d’achever, je m’aperçus que la partie technique manquait de sens poétique et que, loin d’être une récréation, ce duo devenait un travail des plus ardus. Je renonçai à ma première idée et je transformai le morceau pour trois instruments au lieu de deux. C’est ainsi que cette composition de forme plutôt classique fut jouée à Londres en 1916-17 par MM. DEFAUW, TERTIS et moi-même. Cela sonne bien et, dès l’état de duo, je n’en voulais pas davantage.

Amitié, Poème pour deux violons et orchestre.

C’est encore l’idée du Duo, mais ici la pensée est libre, et on la laissera s’égarer dans le vaste champ des heureux et doux souvenirs combien variés ! d’une amitié pure qui a bientôt cinquante ans d’âge et dont les sentiments, meilleurs, plus sûrs, moins fragiles que ceux de l’amour sont chez moi et chez celui à qui l’oeuvre est dédiée, indestructibles.

YSAYE fait allusion ici à Théodore LINDENLAUB, critique musical du journal Le Temps, qui fut le conseiller et le guide du virtuose dans maintes occasions.

Le Poème Nocturne fait transition entre ces œuvres purement sentimentales et celles où se manifeste le souci d’allier la virtuosité à la musicalité. La notice d’YSAYE sur ce poème montre, de plus, sa constante recherche de l’originalité, qui se traduit ici par la réunion du violon et du violoncelle.

Poème nocturne, pour violon, violoncelle et orchestre à cordes.

A part le Concerto de BRAHMS, un duo original de VIEUXTEMPS, la Muse et le Poète de SAINT-SAËNS, et quelques arrangements sur des opéras célèbres, je ne connais pas d’œuvres importantes pour violon, violoncelle et orchestre. Cette lacune dans le répertoire des solistes m’a tenté, et c’est au cours des dernières tournées que je fis en Amérique que j’ai conçu le plan de cette oeuvre.

En général, la forme Poème m’a toujours attiré, elle est plus favorable à l’émotion, elle n’est astreinte à aucune de ces restrictions qu’oblige la forme consacrée du Concerto ; elle peut être dramatique et lyrique, elle est par essence romantique et impressionniste ; elle pleure et chante, elle est ombre et lumière et de prisme changeant ; elle est libre et n’a besoin que de son titre pour guider le compositeur, lui faire peindre des sentiments, des images de l’abstrait sans canevas littéraire ; c’est, en un mot, le tableau peint sans modèle.

Le Poème est, je le pense, un progrès dans mon écriture musicale; il doit marquer chez moi une étape décisive dans l’essai, dans la recherche tenace, la volonté d’associer l’intérêt musical à celui de la grande virtuosité de la vraie virtuosité, trop négligée, je le répète, depuis les maîtres du violon, depuis que les instrumentistes n’osent plus écrire et abandonnent ce soin à ceux qui ignorent les ressources, les secrets du métier.

J’ai laissé volontairement de côté les Harmonies du Soir pour quatuor solo et accompagnement d’orchestre d’archets. En effet, cette oeuvre qui, par l’inspiration et la forme, se rattache à la série des Poèmes, montre un autre souci du compositeur : la recherche des combinaisons originales d’instruments ou de groupes d’instruments dans le but d’enrichir les sonorités. Remarquons à ce sujet la conception hardie de Exil, écrit pour un orchestre de violons et d’altos. Cette oeuvre audacieuse, dont l’équilibre est parfait, est tout à fait originale et le succès qu’elle remporte au concert en dit assez sur ses qualités. Écoutons ce qu’YSAYE disait des Harmonies du Soir.

Les Harmonies du Soir, pour quatuor solo et orchestre d’archets, op. 31.

Cette composition est ma dernière production. Cette combinaison du quatuor solo avec accompagnement d’orchestre de cordes est, je crois, toute nouvelle, et je n’en connais pas d’autre exemple. Ce morceau fut joué pour la première fois au Palais de Laeken dans un concert consacré à mes œuvres et notre gracieuse Souveraine en est la Marraine.

L’idée maîtresse est toute lamartinienne, de pensée rêveuse. Deux thèmes qui à la fin se juxtaposent, en forment la trame ; la forme est graduelle et, comme dans la plupart de mes œuvres, elle fait place à la douceur qui achève l’oeuvre en retournant au sens méditatif et rêveur.

Cette dernière phrase, qui nous donne le schéma de tous les Poèmes d’YSAYE, définit l’aspect sentimental des œuvres de l’artiste. Avant d’examiner la seconde partie de son oeuvre qui consacre l’union de la virtuosité et de la pensée musicale, signalons des mélodies telles que Lointain passé, Les neiges d’antan, Berceuse, Rêve d’enfant, qui s’apparentent plus ou moins à l’une ou l’autre inclination d’YSAYE.

Mais d’autres œuvres apparaissent qui sont écrites dans le but de relever le niveau de la virtuosité instrumentale tout en y alliant les beautés de la pensée musicale. Je citerai la Fantaisie et le Divertimento, tous deux pour violon et orchestre.

Divertimento, pour violon principal et orchestre.

Déjà à remarquer le titre, on saura que le rôle de l’orchestre n’est pas celui d’un simple accompagnement et que la polyphonie, autant que les conquêtes de l’harmonie moderne s’y insèrent. L’oeuvre doit donner l’impression d’une chose qui marche mesurément, alla marcia. La forme est progressive et d’un seul mouvement, sans arrêt. Le violon se divertit, semble livrer son humeur à l’improvisation. Il n’y a là, pour ainsi dire, aucun thème régulier, le sens est mélodique (sans l’astreindre à des césures, à des périodes) et la technique elle-même du violon est essentiellement chantante.

Le but – s’il y en eut un – fut d’intéresser l’auditeur par une corrélation intime, un équilibre constant entre l’action de la virtuosité et le rôle orchestral. L’auteur s’efforce de redonner au travail purement instrumental, un renouveau d’intérêt, une puissance d’attraction trop négligés, un peu perdus depuis PAGANINI, VIEUXTEMPS et WIENIAWSKI.

Les violonistes ont abusé des compositions pianistiques, des choses qui subordonnent le verbe du violon au soi-disant intérêt symphonique. Le Divertimento doit nous ramener à une conception plus juste, plus claire et plus respectueuse du caractère, des ressources, du pouvoir de cet instrument idéal qu’est le violon.

Passons au troisième groupe des compositions d’YSAYE : les œuvres de virtuosité pure.

Nous trouvons ici un mouvement violonistique qui, par ses proportions fait songer à celui de Jean-Sébastien BACH. Mais alors que chez BACH les difficultés techniques résultent de la polyphonie et des formes savantes qu’il emploie pour écrire de la musique, chez YSAYE, au contraire, les difficultés techniques sont le but et, chose étonnante, il en résulte une musique originale et forte.

De nos jours, ce parti d’accumuler des difficultés uniquement pour le plaisir de les résoudre est passé de mode. Le public exige la romance qui le chatouille agréablement et, en fait de virtuosité, il n’apprécie guère que la vélocité. Faut-il voir dans les goûts actuels le résultat, transposé dans la musique instrumentale, des libertés que DEBUSSY a innovées en composition ? Le rejet des règles et des contraintes a conduit en droite ligne au laisser-aller, générateur d’une désolante pauvreté d’inspiration. Un phénomène parallèle a-t-il lieu pour les virtuoses ?

Quoiqu’il en soit, on ne peut faire grief à YSAYE d’avoir édifié son recueil de sonates sur cette conception, si l’on considère que la majeure partie de son oeuvre est avant tout sentimentale et poétique. YSAYE écrivait ses sonates au lit, le soir, sans avoir d’instrument près de lui. Le lendemain, il les jouait, et c’est à peine si une retouche était nécessaire par-ci, par-là.

Chaque sonate est dédiée à un virtuose contemporain et est écrite pour lui. YSAYE avait recherché les qualités maîtresses de chacun d’eux et avait écrit une oeuvre qui devait mettre en valeur les dons techniques, rythmiques et artistiques particuliers à Jacques THIBAUD, Fritz KREISLER, Georges ENESCO, Manuel QUIROGA, Mathieu CRICKBOOM et Joseph SZIGETI.

Remarquons que la dénomination Sonate accordée à ces œuvres doit être prise dans le sens primitif. Au XVIIe siècle, Suonata signifiait pièce sonore. Les italiens appelaient ainsi, à l’origine de la musique instrumentale indépendante, tout morceau écrit pour des instruments à archets ou à vent.

Parcourons rapidement ces sonates :

  • A Joseph SZIGETI, un Grave, Fugato, Allegretto poco Scherzoso et Finale con brio où les doubles-notes abondent et donnent à l’oeuvre un caractère orchestral.
  • A Jacques THIBAUD une sonate d’inspiration romantique dont les parties s’intitulent : Obsession, Malinconia, Danse des Ombres, Les Furies. Ici, la technique est plutôt dans l’archet.
  • La Danse des Ombres, constamment à deux voix, écrite dans le mouvement de la Sarabande du XVIIe siècle, est formée d’une série de variations sur le thème du Dies Irae, exposé intégralement à la fin de la Malinconia qui précède. Cette sonate est certainement la meilleure des six parce que, malgré lui dirais-je, YSAYE a laissé l’artiste dominer le virtuose. Peut-être, par renversement des rôles, a-t-il subi le prestige de Jacques THIBAUD, qui
    est, avant tout un artiste, comme jadis CHAUSSON, d’INDY, FRANCK avaient subi l’autorité du violoniste idéal : Eugène YSAYE.
  • La Sonate n°3, dédiée à Georges ENESCO, porte le titre de Ballade. Elle commence par un récitatif écrit sans barres de mesure. (YSAYE reprendra ce procédé d’écriture plus tard dans un choeur de son opéra). Au récitatif succèdent un Lento puis un Allegro con bravura dont le thème, un peu lourd et appuyé s’allège dans un emportement d’arpèges brisées, de traits en sixtes et en dixièmes qui amènent, après reprise du thème, une progression finale avec une pédale sur ré qui se termine par deux mesures tempo vivo d’accords arrachés au talon de l’archet.
  • La quatrième sonate, à Fritz KREISLER, est à base rythmique. Elle reprend les titres des sonates de BACH et aussi leur technique d’accords arpégés dans l’Allemande et la Sarabande. C’est toujours le style de BACH qui inspire, le Finale, où l’archet exécute tous les genres de détachés. Cette sonate fut imposée par voie de tirage au sort au 1er concours international Eugène YSAYE (Bruxelles 1937).
  • La cinquième, à son élève et ami Mathieu CRICKBOOM, comporte deux parties intitulées l’Aurore et la Danse rustique. Cette sonate évoque à maintes reprises la technique de PAGANINI par des effets de cordes pincées par les doigts de la main gauche et par les traits en doubles notes où quartes et sixtes se mêlent. La fin de la Danse est un véritable déchaînement violonistique dans lequel le mouvement va sans cesse accelerando.
  • La dernière sonate, dédiée à Manuel QUIROGA, ne comporte qu’une seule partie Allegro. Tout au long des sept pages de la partition, le violon subit un assaut frénétique. On se demande s’il est possible à un homme d’exécuter staccato ces traits en tierces, en dixièmes, de bondir de la quatrième à la première corde, de lancer ces gammes qui sillonnent l’oeuvre comme autant d’éclairs. Mais YSAYE connaissait les ressources du violon et celles de son élève, dont la technique étonnait le vieux Maître lui-même.

A côté de ce monument violonistique encore ignoré du public et malheureusement, de la plupart des violonistes, YSAYE préparait une Méthode de violon qui devait, par un entraînement rationnel et progressif, permettre d’aborder l’étude des sonates avec plus de facilité.

Une partie de ce travail dont on imagine aisément la haute valeur pédagogique était écrite, mais fut malheureusement égarée après la mort du Maître.

Le Dictionnaire de Musique de RIEMANN, inscrit parmi les œuvres d’YSAYE six concertos pour le violon. Il est vrai qu’YSAYE travailla assez longtemps à des concertos dont le nombre exact est huit. Mais il n’en fut jamais pleinement satisfait et ces œuvres sont restées inédites. J’ai retrouvé, sur la couverture du troisième concerto, propriété de M. Gabri YSAYE, les lignes suivantes écrites de la main du Maître :

3e Concerto – en Mi – Paris 1880. Ce concerto (1re partie seulement) fut joué à Stockholm, Hambourg 81-82. Il fut d’abord essayé à Spa en 80, en été, avec orchestre, partie solo jouée par M. CRICKBOOM. Je le reprends aujourd’hui après quarante-cinq ans d’oubli… J’y sens ma jeunesse pleine de fougue et d’expression. La tonalité et la forme font penser à MENDELSSOHN ! C’est un modèle qu’un jeune homme pouvait suivre.

Eugène YSAYE, 1928

La sonate en do mineur, pour violoncelle solo, est écrite dans le même esprit que les sonates de violon. Le style en est polyphonique à la manière des sonates de BACH. Elle est composée de quatre parties : grave, intermezzo, in modo di recitativo, Finale con brio. La première partie expose un thème noble et large, d’une gravité sombre. Mais la fin s’anime et la mélodie s’élève. La première partie s’achève dans un registre aigu, dans un sentiment plus clair quoique toujours en mineur. L’intermezzo est une pièce très bien venue. Je suis tenté d’y voir un grave personnage se mettre à danser. Mais sa danse trop correcte et lui-même guindé, d’où les hésitations traduites par des accords pizzicati à contretemps. La troisième partie nous replonge dans une atmosphère d’anxiété. Le violoncelle gronde sourdement sur la quatrième corde et laisse l’auditeur suspendu au point d’orgue final. La finale enchaîne brusquement. Le drame éclate soudain, le thème de la première partie réapparaît, dans un mouvement plus rapide, pour se perdre dans un tumulte de doubles-notes auxquelles des fragments chromatiques confèrent un caractère d’imploration. Mais le thème de la première partie revient pour conclure avec autorité et brutalité.

Par son esprit perpétuellement sombre et agité, par sa conception unitaire basée sur le thème initial, cette sonate prend une place à part dans l’oeuvre d’Eugène YSAYE. J’espère qu’elle prendra une place de choix dans le répertoire du violoncelle, car c’est une oeuvre vraiment belle, mais hérissée de terribles difficultés techniques.

Si nous voulons faire le point dans l’oeuvre instrumentale d’YSAYE, nous constaterons que, partout où il laisse chanter son cœur sans se préoccuper de la technique, il atteint à un lyrisme ample et généreux qui rend ses œuvres très attachantes et très belles.

Ce seront le Poème d’Hiver, Exil, Lointain passé et Rêve d’enfant, une miniature merveilleuse de fini et de délicatesse.

Par son inspiration romantique, le Divertimento fait accepter les passages de technique pure qu’il renferme. Pour ma part, je place au-dessus de tout cela la 2e sonate pour violon solo, où la technique et l’inspiration sont si intimement soudées pour concourir à l’expression de la pensée qu’elles forment un tout splendide qui fait étape dans la littérature du violon.

Signalons, pour terminer cet aperçu de l’oeuvre instrumentale d’Eugène YSAYE, de nombreuses transcriptions et arrangements d’œuvres anciennes et modernes. Citons entre-autres : l’Aria de BACH, un Aria de HAENDEL, une Sonate de Nicolo PASQUALI, l’Etude valse de SAINT-SAËNS, etc…

Il me reste à examiner la dernière oeuvre d’YSAYE, celle qui marque l’apogée de son ascension vers le Beau, celle où il mit tout son cœur de Wallon fervent, celle pour qui il usa ses dernières forces avec un enthousiasme juvénile : Piér li houïeu.

YSAYE commença son opéra en 1929, alors qu’il était âgé de soixante-onze ans. Entendons-le parler de son travail.

Bons et chers Amis,
Connaissez-vous une chose plus tyrannique, plus absorbante, plus exclusive qu’une partition, qu’une orchestration à écrire? Non ! Il n’y a pas au monde de femme plus jalouse, plus grognarde, plus pleurnicharde, plus chiourme et plus vindicative lorsqu’on tente de la quitter, ne fût-ce que pour un court moment.
Je suis pris dans cette galère, mes pauvres amis, et j’y rame comme un forçat !… C’est Piér li houïeu qui prétend que je l’habille de neuf ; il réclame tantôt du velours, tantôt du satin ; il lui faut du doux, du fort, du zéphir et du tonnerre tot al fèye [tout à la fois], et il ne se contente point de fleurs, de dentelles, d’arabesques, festons, astragales sonores, il veut des bijoux, de l’or et tous les trésors de Golconde ! Cela m’apprendra aussi à vouloir le faire chanter dans la seule langue que les Russes ignorent !
Mèlie, Piér et Jâck me harcèlent de leur exorbitante prétention; les chœurs me poursuivent comme le fut Oreste par les Euménides ! ils me forcent à chanter avec eux et, de mon organe de pintade en détresse, dji brai come on vai [je crie comme un veau].
Enfin, aujourd’hui, comme tous mes personnages sont partis à Flémalle-Grande pour lutter contre les Disciples [Les Disciples de Grétry, vieille et célèbre chorale liégeoise dont le destinataire de cette lettre, M. Jean Quitin, est directeur], je souffle un moment et je vous écris…

C’est tout YSAYE qui s’exprime dans ces phrases. C’est l’artiste emporté par son rêve et c’est le Wallon qui ne perd jamais sa bonne humeur gouailleuse, le sens inné du ridicule et de l’ironie amicale. Eugène YSAYE voulait être le promoteur d’un mouvement qui aurait donné naissance à un théâtre lyrique wallon.

Avant lui, Jean-Noël HAMAL, compositeur liégeois du XVIIIe siècle, avait écrit quatre opérettes dont la plus connue est Li voyièdje à Tchâfontaine [Le voyage à Chaudfontaine]. Plus près de nous, Sylvain DuPuis compose la musique de Coûr d’ognon [Coeur d’oignon]. Marcel BATTA, Joseph DUYSENX, DEFOSSEZ, Rose DEROUETTE, écrivent sur des livrets wallons. Aucun cependant, ne traite un sujet aussi dramatique que l’est Piér li houïeu qui, par son caractère et son ampleur scénique, reste une oeuvre profondément originale et intensément wallonne.

Le livret de l’opéra, entièrement de la main d’YSAYE, raconte un épisode d’une grève de mineurs. Piér a été choisi comme chef par ses compagnons. Afin de précipiter les événements, les ouvriers le poussent à déposer une bombe sous les fenêtres du patron. Cependant, Mèlie, épouse de Piér, croit que la grève n’est pas le seul motif des absences fréquentes de son mari. Jalouse, elle le suit alors qu’il va placer l’engin meurtrier.

Pour éviter un crime et sauver son mari elle tente d’éteindre la mèche, mais l’explosion se produit. Mortellement blessée, Mèlie est ramenée chez elle, et
la douleur de Piér et de Jâck, père de Mèlie, est poignante à voir. Avant de mourir Mèlie s’accuse de l’attentat. Piér, touché par le remords se fait moine.

Cet épisode des grèves, parfois sanglantes, qui marquèrent les débuts du socialisme en Belgique, est prétexte à l’étude de l’âme wallonne, tour à tour sentimentale, gaie, simple et avenante, puis farouche et aveuglément emportée par ses passions, devant la menace faite à sa liberté. Tous ces aspects sont brossés en des tableaux pleins de naturel. Des scènes émouvantes, habilement amenées, contrastent heureusement avec des épisodes populaires et joyeux.

Cependant, un grand défaut alourdit le livret. La scène finale où Mèlie est ramenée mourante, est introduite magistralement. Mais malheureusement un chœur de lamentations chanté par les femmes des houilleurs vient atténuer petit à petit, l’émotion qui étreignait le spectateur. Si bien que la décision surprenante de Piér, qui suit l’arrivée inattendue d’un moine, nous trouve parfaitement consolés de la mort de Mèlie.

Il y aurait eu grand avantage à laisser tomber le rideau sur la douleur de Piér et de Jâck. Dans ces conditions, l’émotion subsistait. L’auteur avait fait voir tout ce qu’il voulait montrer, et le sort de Piér, resté inconnu, n’aurait inquiété personne car, en réalité, ce n’est pas lui le héros : Piér n’est qu’un bras agissant ; Mèlie, elle, est l’âme même du drame.

Hormis cela, l’action est bien conduite, et les personnages sont infiniment sympathiques. L’âme tendre et passionnée de Mèlie, la dure volonté des tièsses di hoïe, la philosophie sereine du vieux Jâck et l’être impulsif de Piér sont magistralement peints. La progression des événements est bien soutenue. Le début est frais et joyeux ; une paskèye [chansonnette], un crâmignon [danse populaire chantée], une scène d’amour.

Bientôt viennent les doléances de Mèlie qui se plaint à son père des absences de Piér, une scène de jalousie orchestrée magnifiquement, nous introduisent au coeur du drame, lequel se déroulera suivant un rythme accéléré. La partition est pleine de verve et de coloris. L’ouverture, pièce symphonique de valeur, nous place d’emblée dans une atmosphère dramatique. YSAYE y utilise avec bonheur les thèmes du chant d’amour de Piér, du crâmignon Pov’mohe [Pauvre mouche], du chant des houilleurs qu’il
développe dans une fugue au dessin net et animé. Dans l’action, l’orchestre soutient les voix avec une sorte de ferveur ardente.

Une nouveauté hardie en matière d’écriture théâtrale est appliquée dans le choral du Serment des houilleurs. Durant neuf pages de partitions, il n’y a plus de barres de mesure. Cette rupture originale et audacieuse avec l’écriture mesurée confère à ce passage une solennité, une grandeur, une puissance qui conviennent particulièrement bien à l’idée exprimée.

Sans avoir ces hardiesses d’écriture, le duo d’amour et la douleur du père sont deux passages pathétiques, qui émeuvent vivement par leur sincérité.

La création de Piér li houïeu eut lieu à Liège en mars 1931. Eugène YSAYE, gravement malade, écoutait la radio-diffusion de son opéra dans la clinique du Docteur LARUELLE, à Bruxelles. Sa Majesté la Reine ELISABETH avait tenu à assister à cette première de l’oeuvre qui devait terminer la carrière du Maître.

M. François GAILLARD, Directeur et chef d’orchestre du théâtre, assuma la lourde tâche de la mise au point de l’exécution. Les interprètes étaient Mme Yvonne YSAYE, petite cousine du compositeur, MM. Alfred LEGRAND et Jacques JENOTTE, de l’Opéra-Comique de Paris. Le spectacle était précédé d’un concert d’œuvres d’Eugène YSAYE, où l’on entendit MM. Gabri YSAYE, Remo BOLOGNINI, Rodolphe SOIRON, Charles DONNAY et Hector CLOCKERS.

Lorsqu’on pense que Piér li houïeu, qui est la dernière composition d’YSAYE, ne porte que le numéro 35 au catalogue de ses œuvres, on ne peut que déplorer le fait qu’il ait commencé si tard à écrire pour le théâtre. Quels chefs d’oeuvre n’aurait-il pas produits si, à trente ans, il avait travaillé un peu plus pour lui et un peu moins pour les autres? Car cet homme de soixante-douze ans débutait dans la composition théâtrale. Toutes ses œuvres précédentes avaient été écrites pour instruments à cordes et orchestre. YSAYE abordait donc pour la première fois, le travail simultané du grand orchestre symphonique, des voix et des chœurs.

Certaines critiques ont visé une instrumentation parfois massive. Seule, une longue pratique de l’écriture symphonique permet d’éviter d’emblée ce défaut. Hélas ! le Maître ne devait plus vivre assez longtemps pour pouvoir réviser son oeuvre et corriger ces détails.

Epilogue.

Eugène YSAYE fut, dans toute l’acception du terme, un grand homme. Artiste unique, virtuose incomparable, compositeur puissant et inspiré, il fut encore et surtout un père pour tous les jeunes qui eurent recours à lui.

La Reine ELISABETH, qui fut de tous temps une véritable amie pour Eugène YSAYE, a voulu perpétuer le nom du Maître et sa bonté agissante en créant d’après les directives qu’il lui avait soumises dans plusieurs rapports, un Prix International Eugène YSAYE.

La première épreuve de ce prix réservé aux moins de trente ans, fut disputée à Bruxelles, à Pâques 1937. Le jury, composé des violonistes les plus en renom de différents pays d’Europe retint, en finale, douze concurrents. On assista à la victoire complète et incontestable de l’école russe, qui remporte les Ier (David OISTRAKH), 3e, 4e, 5e et 6e prix.

La raison de cette victoire russe a été formulée par M. OISTRAKH : “Ce concours montre que nous avons, en effet, des conditions exceptionnelles de travail qui nous assurent également des séries de victoires dans notre vie musicale à venir» (Le Soir, 3 avril 1937).

Cette constatation du premier classé est corroborée par M. Jacques THIBAUD, le grand violoniste français, au cours d’une interview qu’il accorda à M. DE GEYNST (La Meuse, 4 avril I937) : “L’année d·ernière déjà, lorsque j’ai été donner un concert à Moscou, les candidats au prix YSAYE se livraient à l’entraînement. A cette époque, tous, sous la conduite de maîtres éminents, travaillaient en vue de ce concours.”

Il ressort donc que la préparation de ces jeunes gens était poussée jusqu’au dernier point depuis très longtemps déjà. Comme le Prix YSAYE honore avant tout la technique, les concurrents russes eurent la partie belle. Mais sans aucun doute, les Belges voudront montrer qu’ils comptèrent parmi eux des maîtres du violon et ramèneront en Belgique le titre glorieux de Grand Prix International Eugène YSAYE.

Il m’est impossible, pour achever cette étude, de trouver des mots plus justes que ceux prononcés par le grand violoncelliste espagnol Pablo CASALS, reçu à la Maison d’Art de Bruxelles en 1935 : “Vous eûtes en Belgique, le meilleur, le plus sublime et génial chantre du violon que l’on ait jamais connu ;
il s’appelait Eugène YSAYE. N’oubliez jamais ce que vous devez à son nom, à son
oeuvre toujours vivante et à son impérissable mémoire.”

Liège, le 27 septembre 1937.                 JOSÉ QUITIN


Et dans la documenta :


[INFOS QUALITE] statut : publié et posté dans documenta | mode d’édition : transcription du PDF océrisé | source : QUITIN José, Eugène Ysaye. Etude biographique et critique  (Bruxelles, Bosworth & Co, 1938, épuisé)  | contributeur : Patrick Thonart | crédits illustrations : Bosworth & Co | remerciements à Patrick Thonart (collection privée)


Plus de musique ?

KUIJKEN : les six suites pour violoncelle solo de Bach, BWV 1007-1012 (concert, Céroux-Mousty, 1997)

Temps de lecture : 6 minutes >

“A 15 ans, Wieland Kuijken entame des études de violoncelle. Il obtient le prix supérieur au Conservatoire de Bruxelles. Mais c’est en autodidacte qu’il commence la viole de gambe à l’âge de 18 ans. Avec son frère Sigiswald, ils fondent l’ensemble Alarius en 1959 qui se consacre à la musique baroque. Parallèlement à cela, Wieland s’intéresse à la musique contemporaine : il fera avec l’ensemble Musiques nouvelles de nombreux concerts dans toute l’Europe.

Comme gambiste, Wieland s’est acquis une réputation internationale. Il a enregistré de nombreux disques avec, entre autres, Jordi Savall, Gustav Leonhardt, Frans Brüggen, Alfred Deller et bien sûr avec ses frères Sigiswald et Barthold.

Wieland Kuijken est professeur de viole aux conservatoires de Bruxelles et de La Haye, donne de nombreuses masterclasses dans le monde et fait partie de nombreux jurys internationaux.

Il est membre de La Petite Bande depuis sa fondation, est violoncelliste du Quatuor Kuijken et dirige également le Collegium Europe depuis 1988.

Comme violoncelliste baroque et comme gambiste, Wieland Kuijken est unanimement considéré comme un des précurseurs et comme un des grands maîtres de l’interprétation contemporaine de la musique baroque.”

Sigiswald, Barthold et Wieland Kuijken © Barthold Kuijken

Johann Sebastian Bach (1685-1750)

  • Suite n°1 en sol majeur BWV 1007 : Prélude – Allemande – Courante -Sarabande – Menuet I & II – Gigue ;
  • Suite n°2 en ré mineur BWV 1008 : Prélude – Allemande – Courante -Sarabande – Menuet I & II – Gigue ;
  • Suite n°3 en do majeur BWV 1009 : Prélude – Allemande – Courante -Sarabande – Bourrée I & II – Gigue ;
  • Suite n°4 en mi bémol majeur BWV 1010 : Prélude – Allemande – Courante – Sarabande – Bourrée I & II – Gigue ;
  • Suite n°5 en do mineur BWV 1011 : Prélude – Allemande – Courante -Sarabande – Gavotte I & II – Gigue ;
  • Suite n°6 en ré majeur BWV 1012 : Prélude – Allemande – Courante -Sarabande – Gavotte I & II – Gigue.

Les suites pour violoncelle seul de Bach

“La genèse

À force de considérer en lui l’organiste, le claveciniste et le compositeur de cantates, passions et messes, on en oublie que Bach était violoniste de formation. En 1703 , il commence sa carrière comme violoniste à Weimar, où il retourne en 1708 comme Konzertmeister et, en 1717, il est nommé maître de chapelle de la Cour de Coethen dont le petit orchestre est constitué essentiellement d’instruments à cordes. En 1720, Bach couronne sa carrière violonistique avec ses Sei Solo o Violino senza Basso accompagnato, qualifiées de libro primo sur la page de titre de l’ autographe. On est tenté de supposer que le compositeur envisageait à la même époque un libro secondo sous la forme d’un opus du même genre, ou peut-être même qu’il y travaillait déjà. Aujourd’hui, on présume généralement que les 6 Suites a Violoncello senza basso, dont il existe également un autographe (malheureusement non daté), constituent ce second livre. Le seul point de repère que l’on ait pour une datation éventuelle de la composition de ces suites est le fait que la page de titre et les titres soient de la main de la seconde femme de Bach, Anna Magdalena, qu’il avait épousée le 3 décembre 1721, après la mort subite de sa première femme.

Bach ne composa jamais pour une postérité imaginaire, mais avait toujours en vue un but déterminé. Ses œuvres pour clavier furent avant tout conçues pour les leçons qu’il donnait à ses fils, son Orgelbüchlein poursuivait le même objectif tandis que les grands Préludes et Fugues d’orgue furent composés essentiellement pour son propre usage.

Excellent violoniste, Bach a joué lui-même ses Sonates et Partitas pour violon solo, comme le prouvent les indications de doigté dans l’autographe. Son habileté à jouer de la viole de gambe et du violoncelle était en revanche minime et n’aurait jamais permis une interprétation de ces Suites, d’une exécution exceptionnellement difficile. À la question souvent soulevée de savoir pour qui il composa ce libro secondo, la réponse des musicologues est que Bach ne peut l’avoir destiné qu’à Ferdinand Christian Abel, un remarquable gambiste et violoncelliste qui fit partie, jusqu’en 1737, de la Chapelle des Princes d’Anhalt-Coethen et qui était l’ami du compositeur. C’est le fils d’Abel, Karl Friedrich, lui aussi excellent gambiste, qui fonda à Londres, avec Johann Christian Bach, les célèbres Bach-Abel Concerts.

Les limites de l’instrument

La comparaison s’impose entre les œuvres pour violon et pour violoncelle seul. Pour le violon, Bach écrit trois Sonates et trois Suites ‘modernes’ pour l’époque, tandis que pour le violoncelle, il se contente de Suites. Au violon, instrument doué d’une extrême souplesse, il n’impose pas seulement une virtuosité poussée au plus haut degré mais aussi une polyphonie très élaborée, qui dépasse presque les limites de l’interprétation violonistique. S’il voit également dans le violoncelle un instrument dont il convient de jouer avec virtuosité, il se sent cependant plus à l’étroit dans les possibilités qu’offre l’instrument, plus étroitement lié aussi à la tradition. Cette tendance à une certaine objectivation se traduit dans l’utilisation seulement discrète de la polyphonie, de la technique des doubles cordes et des effets de bariolage. L’écriture polyphonique se retrouve dans les Sarabandes, parfois aussi dans la Bourrée et la Gavotte, tandis que les autres mouvements des Suites se contentent souvent de très peu de doubles cordes, qui interviennent plus spécialement dans les cadences et les conclusions. Cette retenue provient notamment du fait que l’on employait encore partout, vers 1700, un type d’archet ne permettant qu’un jeu limité. Par cela même, Bach devait donc renoncer à ces effets spécifiquement ‘spatiaux’ qui caractérisent à un si haut degré ses œuvres pour violon. La richesse de techniques et de couleurs, de procédés d’écriture et de caractères distincts à laquelle parvient Bach dans le cadre de ces limites est cependant étonnante.

Viola pomposa

Que Bach ait aspiré à élargir les possibilités d’exécution technique du violoncelle, c’est là ce que nous apprennent les deux dernières Suites. Il donne à la cinquième le titre de Suite (sic) discordable, prescrivant l’accord de la corde de la, un ton plus bas, en sol. Quant à la dernière, Bach la composa pour un instrument à cinq cordes, la viola pomposa, instrument dont il inspira la construction, à moins qu’il n’en eût été lui-même l’inventeur, et dont l’ampleur du registre en première position excédait de vingt-cinq pour cent celle du violoncelle. Ernst Ludwig Gerber, fils d’un élève de Bach, confirme dans son lexique que le compositeur utilisa cet instrument dans son orchestre à Leipzig. À l’en croire, on s’en servait surtout pour jouer des basses animées parce que les “passages hauts et rapides” se laissaient plus facilement exécuter sur cet instrument. Ces possibilités accrues qu’offrait la viola pomposa, Bach les a exploitées dans chacun des mouvements de la dernière des six Suites.

Le choix des mouvements

À la différence d’autres cycles d’œuvres de Bach, dans lesquels c’est précisément la disparité des mouvements qui détermine le caractère cyclique, la particularité des Suites pour violoncelle réside dans le fait que les six œuvres reposent toutes sur la même ordonnance de mouvements. Bach se sentait tenu d’y respecter cette norme germanique d’une division cyclique fixe, à laquelle il accorda également la prédilection dans ses Suites pour clavier. À un Prélude introductif succèdent les quatre mouvements attitrés de la suite que sont l’Allemande, la Courante, la Sarabande et la Gigue, cette dernière danse étant chaque fois précédée de deux danses à la mode, qui constituent pour ainsi dire la seule donnée variable au sein de la série de mouvements. Ces “morceaux galants” adoptant la forme du Menuet, de la Gavotte et de la Bourrée, se présentent pratiquement sans la moindre stylisation. Bach place en tête de toutes les Suites un Prélude qui représente chaque fois un autre type et dont la structure comprend de une à quatre parties : ainsi dans la Suite n°2, il s’agit d’un mouvement doté d’un développement harmonique d’une incroyable richesse et d’un point culminant clairement marqué, dans la Suite n° 4, d’un Prélude s’étalant en plans sonores avec triples accords brisés et passages de vélocité, vaguement comparable au 1er Prélude du Clavier bien tempéré, dans la Suite n° 5, d’une ouverture à la française avec section introductive solennelle et section médiane quasi fuguée et, dans la Suite n° 6, d’un morceau de grande virtuosité, prenant très clairement modèle sur le style de la toccata.

Dans les mouvements attitrés de la suite, Bach est certes davantage lié aux conventions. Cependant, il s’efforce là aussi de donner aux formes, mouvements, rythmes et figurations tels qu’établis par la tradition dans les dernières décades du XVIIe siècle, la plus grande variété possible en développant leur potentiel artistique. À cette transformation ou extension permanente d’éléments préexistants, qui constitue un trait fondamental de toute la production de Bach, vient s’ajouter un étonnant approfondissement du contenu qui a élevé ses œuvres au-dessus de toute contingence pour leur conférer une valeur intemporelle.”

Texte préparé par l’association Espace Garage
pour les concerts des 5-6 décembre 1997
© Collection privée


Pour y avoir assisté : ce concert fut un grand moment… momentané. Il est néanmoins encore possible d’explorer les 6 Suites pour violoncelle de Bach en écoutant “l’ultime version”, selon nous, enregistrée par Anner Bylsma en 1992 (son premier enregistrement des Suites, daté de 1979, était trop fortement entaché de la hâte et de l’aridité des débuts des Baroqueux, comme on nommait à l’époque cette nouvelle approche musicale initiée, entre autres, par les Kuijken). Dans nos Incontournables, un article du Savoir-écouter y est consacré avec un extrait de la Première Suite (video).


Savoir écouter…

Tangerine Dream, le rock allemand et la “musique cosmique”

Temps de lecture : 4 minutes >
Tangerine Dream en concert © Melanie Reinisch

“Ce segment du rock allemand, souvent très apprécié par les amateurs de “beau son” et de “grandiose”, trouve ses racines à Berlin. Le groupe fondateur en est Tangerine Dream, né en 1967 mais qui ne prendra le virage de l’électronique que quelques années plus tard. Le groupe a toujours été à géométrie variable, mais ses membres essentiels dans les premières années, aux côtés d’Edgard Froese, sont Klaus Schulze et Conrad Schnitzler.

Schulze, très marqué par les opéras de Richard Wagner, prendra sa liberté dès 1970 et sera le véritable inventeur du rock spatial ou “space rock” dans la première moitié des années soixante-dix, avec ses albums comme le double “Cyborg”, “Picture Music”, “Blackdance” et “Timewind”. Tangerine Dream, reconfiguré autour d’Edgard Froese lui emboîtera le pas, comme en témoignent des disques tels “Phaedra” et “Rubycon”.

Cette musique est liée par une sorte de pacte technologique à toutes les évolutions des nouveaux instruments électroniques de l’époque, les synthétiseurs bien sûr mais aussi les boîtes à rythmes et les séquenceurs, augmentés d’effets et de machines de toutes sortes, les instruments prenant à ce moment-là beaucoup de place et exigeant une manutention délicate et un câblage sophistiqué.

Schulze et Tangerine Dream sont très prolifiques, le premier avec une approche plus rythmique (il est batteur à la base) et les seconds de façon plus romantique, à tel point que l’on peut parfois se demander s’ils ne font pas de la musique au kilomètre… Schulze sous son nom et sous le pseudonyme (wagnérien !) de Richard Wahnfried, Tangerine Dream avec un groupe qui n’arrête pas de changer autour du pilier Edgard Froese, ont chacun à leur actif des dizaines d’albums, des “live”, des coffrets, et nombre de musiques de films puisque le style s’y adapte plutôt bien, jusque dans des superproductions type “Body Love” pour Schulze ou plus tard “Risky Business” et “Red Nights” pour Tangerine Dream. Les qualificatifs de “spatiale” et de “planante” ont souvent été employés pour décrire cette musique que les critiques ont tout de suite nommée, à cause de son aspect futuriste, “kosmische Muzik” ou “musique cosmique”.

Moins médiatiques, deux autres créateurs ont aussi très largement participé à l’avènement des nouvelles esthétiques électroniques. D’abord, Conrad Schnitzler ; peintre de formation, il a étudié avec l’artiste plasticien avant- gardiste et performer Joseph Beuys et c’est un musicien autodidacte. Avec Hans-Joachim Roedelius, il a fondé le Zodiac Free Arts Lab, un lieu important de Berlin qui n’a connu qu’une existence de quelques mois, en 1969. Artistes de free jazz, de nouveau rock et pionniers des machines s’y retrouvaient pour des concerts fleuves propices à des rencontres et à une émulation entre groupes et musiciens. Schnitzler y a croisé Schulze et Edgard Froese et tous trois ont été Tangerine Dream pendant un temps, laissant même un album à la postérité, “Electronic Meditation”. C’est ensuite que Schnitzler a initié Kluster avec Roedelius et Moebius, avant de poursuivre une carrière solo jusqu’à sa mort en 2011. Bruitiste autant qu’électronicien, il a résumé à la fois l’esprit de cette période et ses propres théories en expliquant : “Nous sommes des artistes anti-mélodistes, nous nous concentrons sur une musique de sons et de bruits.”

Klaus Schulze © echoes.org

Le guitariste Manuel Göttsching, au moment où il fonde Ash Ra Tempel en 1970, gravite lui aussi dans la nébuleuse de musiciens qui fréquentent le Zodiac. Schulze en est le premier batteur, mais c’est Wolfgang Mueller qui lui succède. Lui et Göttsching mettent au point un “space rock” inventif, un temps proche de ce que fait Pink Floyd dans “Ummagumma”. “Schwingungen” est un grand album de rock planant, publié en 1972, la même année que “Seven Up” qui lui est enregistré avec la complicité de l’écrivain et philosophe américain Timothy Leary, célèbre pour ses préceptes qui prônent la consommation de L.S.D.

Edgard Froese a souvent raconté que l’un des facteurs qui l’avaient poussé à faire la musique de Tangerine Dream était sa rencontre avec Salvador Dali à Cadaqués en Espagne. Âgé de vingt ans, avec son groupe The Ones dont il était le guitariste et qui jouait du rock et du rhythm’n’blues, il avait été invité à jouer dans la villa du Maître au cours d’une soirée artistique où la musique voisinait avec la poésie et avait été profondément marqué par la liberté de création qui régnait. On retrouve l’influence de l’univers surréaliste de Dali dans la musique de Tangerine Dream, dans les visuels de ses pochettes d’albums, jusque dans le nom du groupe… Sous son nom, Edgard Froese publiera d’ailleurs en 2004 le disque “Dalinetopia”, décrit par le musicien comme “un voyage sonore surréaliste dans le monde fantastique de Dali”.

L’influence des psychotropes est notable chez plusieurs formations allemandes de l’époque. Elle a parfois mené à des expériences restées sans lendemain voire des impasses (les sessions improvisées d’Amon Düül I qui étaient ouvertes à toute personne, musicien ou non, qui voulait se joindre au groupe…), à un rock extrémiste (voir le travail de Klaus Dinger avec ou sans Neu !), et a coloré nombre de travaux qui restent importants aujourd’hui, d’Ash Ra Tempel à Guru Guru en passant par Amon Düül II.

Un peu plus tard, avant de commencer une période “space pop” à la fin des années soixante-dix, Manuel Göttsching réalisera, seul mais toujours sous le nom d’Ash Ra Tempel, l’un des albums les plus passionnants de cette décennie allemande des années soixante-dix. Il s’agit de “Inventions For Electric Guitar” (1974), qui est un peu le pendant pour guitare et machines de ce que fait à l’époque le minimaliste Terry Riley avec un orgue électrique et une chambre d’écho.

Si toutes ces musiques possèdent des parfums d’évasion et de science-fiction qui proviennent bien sûr du pouvoir de l’électronique (synthétiseurs, effets, etc.) et de son potentiel à faire rêver, on peut risquer une hypothèse : Klaus Schulze et Tangerine Dream, comme d’ailleurs un Jean-Michel Jarre ou un Vangelis, s’écouteraient plutôt de manière passive, alors que Conrad Schnitzler et Ash Ra Tempel exigeraient plutôt une écoute active.” [JEUDELOUIE.COM]


[INFOS QUALITE] statut : actualisé | mode d’édition : compilation par wallonica.org  | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : Melanie Reinisch  ;  echoes.org  |


GURNEY : Sleep (in Five Elizabethan Songs, 1920)

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“Né en Angleterre à Gloucester en 1890 et mort en 1937, Ivor Bertie GURNEY est pour certains un des grands mélodistes anglais, mariant la musique au texte poétique dans une soixantaine de mélodies sur des poèmes de différents auteurs et quatre cycles vocaux, si l’on ne considère que les œuvres publiées, soit un total de 265 mélodies, selon Michael Hurd dans l’une des rares biographie du musicien. Sa célébrité est fondée sur ses Five Elizabethan Songs pour voix et piano, affectueusement surnommés « the Elizas » écrits en 1913 et publiés en 1920, qui révèlent au public un talent qui lui vaut une bourse d’études au Royal College of Music de Londres en 1911. Puis viennent Lights Out, sur des poèmes d’Edward Thomas, ami poète mort au combat en 1916, publié en 1925 et deux cycles vocaux pour quatuor à cordes et piano, The Western Playland (and of Sorrow) et Ludlow and Teme, sur des poèmes extraits du Shropshire Lad de A. E. Housman (1859-1936), dont il commence la composition en 1907. D’autres œuvres sont publiées après sa mort grâce aux efforts du compositeur anglais Gerald FINZI (1901-1956). Le musicien s’exprime essentiellement dans l’idiome de la musique de chambre propre à l’expression de sentiments personnels, et reste étranger au monde de la symphonie et de l’opéra, malgré ses ambitions.”

Lire toute sa biographie musicale par Gilles COUDERC sur FABULA.ORG…

S’il est également poète, Gurney est principalement connu pour son travail de compositeur. La première guerre mondiale, pendant laquelle il a servi dans les rangs de l’armée britannique, a été une expérience traumatisante. Suffisamment, semblerait-il, pour que le compositeur -qui avait été gazé pendant le conflit- voie sa santé mentale progressivement décliner. Après plusieurs années d’activité sur la scène musicale, Gurney est déclaré irresponsable en 1922 et interné. Il mourra 15 ans plus tard d’une tuberculose qui s’ajoutait aux différentes affections qui marquèrent le poète-compositeur : syndrome post-traumatique, exposition à des gaz toxiques, peut-être syphilis et troubles bipolaires.

Ses Five Elizabethan Songs sont les suivants :

        1. Orpheus,
        2. Tears,
        3. Under the Greenwood Tree,
        4. Sleep,
        5. Spring.

L’Aurora Orchestra, sous la baguette de Michael COLLON, en a donné une version magnifique sur le cd Insomnia où le ténor Allan CLAYTON interprète un arrangement de Iain Farrington : la pièce originale était écrite pour voix et piano…

Come, Sleep, and with thy sweet deceiving
Lock me in delight awhile;
Let some pleasing dream beguile
All my fancies; that from thence
I may feel an influence
All my powers of care bereaving

Though but a shadow, but a sliding
Let me know some little joy!
We that suffer long annoy
Are contented with a thought
Through an idle fancy wrought:
O let my joys have some abiding!

Ivor Gurney, Five Elizabethan Songs (1920)


Ecouter encore…

FOLIEZ, Jean-François (né en 1984)

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Jean-François Foliez

Né en 1984, Jean-François FOLIEZ commence l’étude de son instrument dès l’âge de 4 ans, étudie le solfège à l’Académie de Huy et la clarinette en cours particuliers. A 16 ans, il se consacre au saxophone ténor et à l’improvisation d’abord dans le Big band de Liège, puis dans diverses formations. Il entre au conservatoire de Maastricht où il étudie le jazz avec le saxophoniste allemand Claudius Valk. Il s’inscrit ensuite au Conservatoire Royal de Liège, où il étudie la clarinette classique avec Jean-Pierre Peuvion, puis avec Benjamin Dietels. Il participe à une masterclass avec Eddie Daniels et à des cours particuliers avec Steve Houben.

Il joue au sein de nombreuses formations: JF Foliez’s Playground  (compositions du clarinettiste), Music 4 A While (musique baroque remise au goût du jour par Johan Dupont), O.S. Quintet (tribute to Benny Goodman, Bobby Jaspar), 3 J Trio (jazz New-Orleans), Vivo (orchestre eurorégional de Garrett List), The Swing Barons (cabaret swing années 20 avec show danseurs), After night (rythm’n blues), Gypsy Swing Quintet (Jazz manouche avec Christophe Lartilleux), Les 3 Mirlitons (trio de clarinettes).

Il a participé à de nombreux festivals : Jazz à Liège, Gouvy Jazz Festival, Festival Labeaume en musiques, Gaume Jazz Festival, Festival Musiq 3, Festival des midis minimes… (d’après IGLOORECORDS.BE)

“Truite arc-en-ciel” est le nouvel opus chansons du clarinettiste Jean-François Foliez. Jonglant entre émotion, humour et surréalisme, ce n’est pas moins de 17 musiciens qui ont participé à cette aventure à la croisée du jazz de la pop et de la musique classique…

“Jeux de mots sensuels coquins et musicaux, fort évocateurs sur une mélodie enveloppante, riche et rythmée. Une savoureuse badinerie amoureuse dans un décor inspirant… ”    (d’après LANVERT.BE en 2020)

Visiter le site de Jean-François Foliez…


[INFOS QUALITE] statut : actualisé | mode d’édition : compilation par wallonica.org  | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : rtbf.be


More Jazz…

FABRY : Le journal du Nightstalker (2020)

Temps de lecture : 3 minutes >
ISBN 978-2-36868-643-0

Steve “Serpent” FABRY, bassiste et chanteur au sein du groupe de métal Sercati, raconte au fil des albums l’histoire d’un personnage nommé le Nightstalker. Voulant explorer une autre facette de son protagoniste, il créa une seconde formation musicale portant sobrement le nom The Nightstalker, narrant les moments plus personnels de son héros en parallèle de l’histoire principale. S’attachant à sa création et l’univers qu’il mit en place, Steve a ainsi décliné ce récit en roman ainsi que dans un film. Il a aussi scénarisé un comics sur cet univers, dont les illustrations sont largement utilisées pour illustrer ce roman, premier tome d’un cycle de trois trilogies. Un jeu de rôle est également en préparation.

Steve Fabry et son héros © Steve Fabry

Un ange décide de descendre du Paradis afin d’aider une humanité en proie aux démons. Témoin de la souffrance que les humains ressentent, il devra trouver sa place et le sens de son existence parmi eux. Prenant le rôle d’un protecteur, il deviendra le Nightstalker. De nombreux ennemis entraveront sa route mais quelques alliés se rangeront à ses côtés. Au cœur de cette guerre, à qui pourra-t-il accorder sa confiance ?

Cette trilogie s’adresse, évidemment, aux amateurs du genre, ce qui ne la rend pas pour autant inaccessible à d’autres lecteurs. Si le récit du premier livre paraît un peu plus faible – mais c’est aussi une mise en place – l’histoire monte en puissance à mesure qu’elle avance. Steve Fabry a créé un univers qu’il construit au travers de différents médias et si la puissance de son imaginaire est la première chose que l’on note, l’humanité de ses personnages n’est pas la moindre de ses qualités.

© Anthony Rubier

“Je parcourais la ville le coeur léger. Courir sur les toits enneigés était l’un de mes plaisirs. Cette sensation de liberté était si intense… Cela me rappelait le Paradis. Je prenais le temps de m’arrêter et d’observer, au travers des fenêtres, les humains qui se retrouvaient en famille autour d’un dîner, un bon feu allumé dans l’âtre. Ce spectacle m’interpellait à chaque fois. Je repensais aux moments passés avec Gabriel et à la disparition de Père. Mes frères me manquaient. Ces instants rendaient ma solitude plus pesante encore. Je pensais encore à elle… Je quittai mon poste d’observation pour me diriger vers le port, tenant une rose dans la main gauche. J’avais une chose importante à faire. Pendant que je me déplaçais, des souvenirs douloureux traversaient mon esprit. Je n’arrivais pas à penser à autre chose. La culpabilité, la tristesse et la colère m’étreignaient tour à tour. Ce flot de sentiments s’interrompit lorsque j’arrivai à destination. Les docks étaient déserts. Je pris le chemin du hangar où s’était déroulé le dernier affrontement. Je pouvais encore sentir l’odeur de la mort qui planait sur cet endroit et  entendre les cris de douleur ainsi que le son des os qui  se fracassaient. Je déposai la fleur sur le sol. Je restai là quelques minutes pour me remémorer la bataille que nous avions livrée peu de temps auparavant dans ces lieux. Je repensais aussi aux sacrifices quand, soudain, un son de cloche attira mon attention. Je me retournai et vis une ombre au loin, qui s’enfuyait. Qui était-ce ?”

Philippe VIENNE


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HOSOKAWA, Toshio (né en 1955)

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Toshio Hosokawa, 2018. © ensembleintercontemporain.com

“Compositeur japonais né le 23 octobre 1955 à Hiroshima, Toshio HOSOKAWA se forme au piano, au contrepoint et à l’harmonie à Tokyo. En 1976, il s’installe à Berlin où il étudie la composition avec Isang Yun, le piano avec Rolf Kuhnert et l’analyse avec Witold Szalonek à la Hochshule der Künste. Il participe également aux cours d’été de Darmstadt en 1980 et suit l’enseignement de Klaus Huber et de Brian Ferneyhough à la Hochshule für Musik de Fribourg-en-Brisgau (1983-1986).

Klaus Huber l’encourage alors à s’intéresser à ses origines musicales en retournant au Japon les étudier de manière approfondie. Cette démarche double sera fondatrice d’une œuvre qui puise ses sources aussi bien dans la grande tradition occidentale –Hosokawa cite Bach, Mozart, Beethoven et Schubert parmi ses compositeurs favoris et n’ignore rien de Nono, de Lachenmann et bien sûr de Klaus Huber– que dans la musique savante traditionnelle du Japon, notamment le gagaku, l’ancienne musique de cour.

Toshio Hosokawa est invité dans les plus grands festivals de musique contemporaine en Europe comme compositeur en résidence, compositeur invité ou conférencier […]. Il collabore étroitement avec le chœur de la radio WDR de Cologne et est compositeur en résidence au Deutsches Symphonie Orchester pour la saison 2006-2007. En 1989, il fonde un festival de musique contemporaine à Akiyoshidai (sud du Japon) qu’il dirige jusqu’en 1998.
Toshio Hosokawa, “Futari Shizuka” © en.karstenwitt.com

Son catalogue comprend des œuvres pour orchestre, des concertos, de la musique de chambre, de la musique pour instruments traditionnels japonais, des musiques de film, des opéras. Ses œuvres, privilégiant la lenteur, un caractère étale et méditatif dont la dimension spirituelle n’est jamais absente, sont souvent composées en vastes cycles (“Sen”, “Ferne Landschaft”, “Landscape”, “Voyage” et “Océan”). Les thématiques du voyage intérieur et des liens entre l’individu et la nature traversent nombre d’entre elles […].

Compositeur en résidence à l’Orchestre symphonique de Tokyo de 1998 à 2007, Toshio Hosokawa est le directeur musical du Festival international de musique de Takefu et est membre de l’Académie des Beaux-Arts de Berlin depuis 2001. Il est également professeur invité au Collège de musique de Tokyo depuis 2004 et chercheur invité de l’Institute for Advanced Study de Berlin de 2006 à 2009. Il anime des conférences dans le cadre des cours d’été de Darmstadt depuis 1990. Il est directeur artistique du Suntory Hall International Program for Music Composition de 2012 à 2015.[…]

Si l’œuvre de Toshio Hosokawa se caractérise, à l’instar de compositeurs japonais tels que Yoritsune Matsudaïra, Toshiro Mayuzumi ou Tōru Takemitsu, par la dialectique entre Occident et Japon, sa particularité réside dans sa grande cohérence stylistique. Dans l’une de ses premières œuvres écrites pendant ses études en Allemagne, Melodia” (1979) pour accordéon, Hosokawa évoque la sonorité du shêng (orgue à bouche chinois) par un jeu comparable au rapport inspiration/expiration : partir d’un son piano, l’épaissir ensuite par l’accumulation d’autres sons en crescendo, et enfin revenir à l’état initial en decrescendo.

Même si cette œuvre de jeunesse, entièrement basée sur ce geste quelque peu connoté aujourd’hui, est loin d’être représentative de l’ensemble de sa production, elle annonce clairement les points sur lesquels il travaillera par la suite : la musique extra-européenne (plus précisément, celle du Japon), mais aussi l’économie de moyens, le processus reposant sur un seul geste qui s’intensifie progressivement (densité sonore, conquête du registre ou gain de dynamique), la dilatation du temps ou la corporalité.” (lire plus sur BRAHMS.IRCAM.FR)

Toshio Hosokawa, “Matsukaze”, Opéra de Lille, 2014 © opera-lille.fr

“Toshio HOSOKAWA est l’un des compositeurs japonais majeurs d’aujourd’hui. Il a créé un langage musical personnel à partir de sa fascination pour la relation entre l’avant-garde occidentale et la culture japonaise traditionnelle. Sa musique est fortement liée aux racines esthétiques et spirituelles de la culture japonaise (p. e. la calligraphie) et à celles de la musique de cour japonaise (le gagaku), et il donne une expression musicale à la notion d’une beauté née de l’éphémère : “Nous entendons les notes une à une et apprécions en même temps la façon elles naissent et meurent : un paysage sonore en continuel “devenir” animé de lui-même.”

Né à Hiroshima en 1955, Toshio Hosokawa est arrivé en Allemagne en 1976 où il a étudié la composition auprès d’Isang Yun, Brian Ferneyhough et plus tard de Klaus Huber. Bien qu’il ait d’abord fondé sa musique sur l’avant-garde occidentale, il a peu à peu développé un monde musical nouveau, entre Orient et Occident. C’est en 2001, avec sa première représentation mondiale de l’oratorio “Voiceless Voice in Hiroshima” qu’il obtient une très large reconnaissance […].

Les œuvres de musique lyrique de Toshio Hosokawa sont régulièrement programmées dans les grandes salles d’opéra. Son premier opéra “Vision of Lear” a été acclamé par la critique à la Biennale de Munich en 1998. “Hanjo”, opéra de 2004, mis en scène par la chorégraphe Anne Teresa de Keersmaeker, et commandé par l’Opéra de La Monnaie (Bruxelles) et le Festival d’Aix-en-Provence a été vu sur de nombreuses scènes depuis sa création.

Comme Hanjo”, l’opéra “Matsukaze” est également inspiré par le théâtre traditionnel japonais. Il a été représenté pour la première fois en 2011 à l’Opéra de La Monnaie, dans la chorégraphie de Sasha Waltz, puis à l’Opéra d’État de Berlin, à Varsovie, et au Luxembourg. Le monodrame “The Raven” pour mezzo-soprano et ensemble musical a été créé à Bruxelles en 2012, puis joué sur plusieurs autres scènes.” (lire plus sur SOMMETSMUSICAUX.CH)


[INFOS QUALITE] statut : actualisé | mode d’édition : compilation par wallonica.org  | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations ensembleintercontemporain.com ;  en.karstenwitt.com; opera-lille.fr  |


PIERRE, Antoine (né en 1992)

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Antoine Pierre © igloorecords.be

Le batteur et compositeur Antoine PIERRE (1992), basé à Bruxelles, est devenu une figure incontournable de la scène de jazz belge et européenne.  Leader des groupes URBEX et Next.Ape mais aussi sideman actif, il fait partie de plusieurs groupes importants sur la scène internationale – entre autres avec l’éminent guitariste Philip Catherine ou encore TaxiWars, l’expérience jazz vs. rock menée par Tom Barman et Robin Verheyen.

De retour de New York en 2015 où il a étudié pendant un an après avoir obtenu son diplôme du Conservatoire royal de Bruxelles, Pierre reçoit le Sabam Jazz Award Young Talent. Plus tard dans l’année, il entre en studio pour enregistrer son premier album en tant que leader, URBEX. Sorti en 2016, le groupe tourne pendant deux ans en Belgique, puis retourne en studio pour enregistrer un deuxième album, “Sketches Of Nowhere” (2018, Igloo Records). Acclamé par la critique (…), ils entament leur première tournée internationale (…) avec différents line-ups et invités, tels que Ben Van Gelder, Reinier Baas ou encore Magic Malik.

Une autre facette de la personnalité artistique multiple de Pierre se manifeste par la création de son groupe trip-hop/alternatif/électrique Next.Ape dans lequel il s’associe à la chanteuse hongroise Veronika Harcsa, au guitariste Lorenzo Di Maio et au claviériste luxembourgeois Jérôme Klein. En février 2019, ils sortent leur premier EP et font une tournée internationale (Hongrie, Maroc, Luxembourg, Belgique), parfois avec le saxophoniste américain Ben Wendel comme invité spécial. (lire plus sur MYCOURTCIRCUIT.BE)

Antoine Pierre © Christian Deblanc

Comment vis-tu ton instrument dans tous ces différents contextes stylistiques du jazz ?

Je crois que le truc principal, c’est que j’adore tout simplement jouer de la musique. J’aime aussi partager et y aller à fond avec tout mon cœur. Partir étudier à New York m’a beaucoup fait réfléchir sur le fait que tous les moments sont essentiels, et qu’il n’y a pas un gig moins important qu’un autre.

Et que finalement le style musical est secondaire ?

C’est bien simple, quand je suis arrivé à Bruxelles, j’avais 17 ans et tout ce que je voulais, c’était jouer du jazz, rencontrer des gens et m’améliorer. Mais cette musique esttellement vaste que tu ne peux pas vraiment te cantonner à un style en particulier. Dans cette optique-là, le style n’est pas quelque chose qui a dirigé mes choix. Au début, j’ai participé à des projets dont la musique ne me plaisait pas nécessairement, mais je me suis toujours dit que c’était un super enseignement. Par exemple, les projets plus mainstream m’ont permis d’appréhender la tradition du jazz. Evidemment j’ai des préférences, et maintenant je commence à choisir certaines directions. Les musiciens avec lesquels je joue de plus en plus régulièrement sont ceux dont je partageais les goûts, les styles et les influences. Aujourd’hui, je me retrouve à jouer du jazz avec le souffle que j’ai envie d’y mettre.

Tout à l’heure, tu parlais de New York, est-ce que cela a eu une influence sur tes choix stylistiques ?

Oui, c’est clair. En tout cas, sur la manière de jouer de la batterie. Avant, j’avais tendance à faire le caméléon en adoptant le son et la manière de jouer qui correspondait le plus au style dans lequel je devais me produire.
A New York, j’ai pu voir des batteurs que j’admire jouer dans des contextes différents tout en apportant à chaque fois leur empreinte, leur manière de se placer dans le temps, de faire sonner leur batterie, de faire intervenir leur personnalité dans la musique… Ça a été un déclic et je me suis dit : “C’est ça que je veux faire !”. Cela ne m’intéresse plus de jouer comme tel ou tel batteur, en fonction du contexte musical dans lequel je me trouve. Je ne veux pas être un musicien lambda ou une copie. Si par exemple, un jour on m’appelle pour un gig de hip hop ou de pop, je serai partant. J’écouterai la musique qu’il faut pour me préparer, mais je le ferai à ma façon. L’idée n’est pas de tirer la couverture vers moi, mais de rester moi-même, sans effacer ma personnalité, tout en respectant la musique.” (lire la suite de l’interview sur JAZZINBELGIUM.COM)

Urbex © Stefaan Temmerman

En savoir plus, sur le site d’Antoine PIERRE…


© Stefaan Temmerman

“Suspended”, sorti le 11 septembre 2020 chez OutNote, est le troisième et nouveau répertoire du groupe Urbex, dirigé par le batteur Antoine Pierre. Il a été enregistré en concert à Flagey dont Antoine Pierre est l’artiste en résidence, lors du Brussels Jazz Festival 2020. ‘Suspended’ est un répertoire original écrit en hommage à la période électrique de Miles Davis, et en particulier à l’album “Bitches Brew”, qui fête ses 50 ans en 2020.  Antoine Pierre s’est inspiré de l’énergie et de la vibe de cet enregistrement iconique pour composer les titres de son nouvel opus. [FRANCEMUSIQUE.FR]

ESTIÉVENART, Jean-Paul (né en 1985)

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Jean-Paul Estiévenart © 30cc.be

Jean-Paul ESTIÉVENART commence la trompette dans la fanfare de son village Montroeul-sur-Haine, en Belgique, sous le regard avisé et bienveillant de son grand-père. Mordu, il poursuit l’étude de cet instrument complexe à l’Académie de Saint-Ghislain pendant dix années. C’est là qu’il fait connaissance avec le jazz et s’en passionne instantanément.

En s’installant à Bruxelles en 2004, Jean-Paul devient rapidement une figure incontournable du jazz belge. Il enchaîne les concerts à un rythme effréné qui n’a pas diminué depuis lors.

En 2013, il démarre une nouvelle aventure musicale en créant son trio avec Sam Gerstmans à la contrebasse et Antoine Pierre à la batterie. Leur premier album, “Wanted” (W.E.R.F. Records, 2013) plante un décor singulier dans le paysage du jazz belge et marque le début d’une histoire qui continue encore aujourd’hui. Le trio est profondément imprégné par la tradition mais joue sans cesse avec ses codes et étend ses frontières, tout en conservant l’élégance et l’authenticité de son héritage…

Leur deuxième album, “Behind The Darkness” (Igloo Records, 2016) est un opus autobiographique qui fait référence à l’enfance du trompettiste dans les terrils de charbon. Il représente aussi les moments de noirceur rencontrés au cours de son existence. Le titre de l’album annonce pourtant un dénouement positif, alors que Jean-Paul passe le cap de ses 30 ans.

En plus de 10 ans de carrière, Jean-Paul Estiévenart a eu l’occasion de côtoyer de grands noms de la scène internationale du jazz (Enrico Pieranuzzi, Nathalie Loriers, Avishai Cohen, Logan Richardson, Dré Pallemaerts, Joe Lovano, Noel Gallagher, le Brussels Jazz Orchestra, Perico Sambeat, Maria Schneider,…).

Il joue également dans une dizaine de groupes belges en tant que sideman (Antoine Pierre Urbex, Lorenzo Di Maio quintet, LG Jazz Collective, Manolo Cabras 4tet, Manu Hermia Freetet, Jazz Station Big Band, Mik Maak, et beaucoup d’autres), ce qui fait de lui le trompettiste le plus sollicité du pays, avec plus de 40 albums à son actif.  (lire plus sur IGLOORECORDS.BE)

© jazznu.com

Son statut actuel de musicien polyvalent, Jean-Paul Estiévenart le doit surtout à lui-même : à ses tout débuts, c’est avec une assiduité rare qu’il participe quasi tous les lundis soirs aux jam sessions du Sounds ; par ailleurs, cet autodidacte dans l’âme passe des heures interminables à se perfectionner. Il a une prédilection pour le jazz pur et dur mais il ne rate pas une occasion pour rompre avec tous les stéréotypes. Ainsi, il s’est produit avec l’orchestre de swing jazz de Lady Linn et il est membre de l’ensemble multiculturel Marockin’ Brass. En outre, de temps à autre, il fait des apparitions dans les cercles du free jazz, fait partie du Jazz Station Big Band et joue avec le Brussels Jazz Orchestra. Et ce n’est pas tout, on le retrouve entre autres au sein de LG Jazz Collective, MikMâäk et Manu Hermia 5tet.

Toutes ces activités lui ont valu d’être largement reconnu par ses pairs et d’être récompensé entre autres par le Django d’Or 2006 du jeune espoir et une distinction pour son premier album avec son quatuor 4in1. Pour l’instant, il se concentre sur son trio avec Antoine Pierre (batterie) et Sam Gerstmans (contrebasse). (lire plus sur JAZZ.BRUSSELS)

Voir le site de Jean-Paul ESTIÉVENART

© jazznu.com

[INFOS QUALITE] statut : actualisé | mode d’édition : compilation par wallonica.org  | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : 30cc.be ; jazznu.com |


More Jazz…

LEKEU : Fantaisie sur deux airs populaires angevins (V. 24, 1892)

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© Galerie Wittert – ULiège

“Si le Pays de Liège a trouvé en Joseph Jongen un remarquable artisan, le Pays de Verviers a peut-être recélé et perdu un authentique génie.

Il y a un peu plus d’un siècle (1870), naissait à Heusy, dans une petite maison rurale, un grand musicien dont la mort prématurée nous a sans doute privé d’immenses chefs-d’oeuvre. L’enfance de Guillaume LEKEU fut particulièrement heureuse. Le cercle familial faisait plaisir à voir, tant le bonheur y rayonnait. Et c’est très jeune, comme il se doit, que celui qui signait toujours affectueusement ses lettres à ses parents, Vosse bouzou (en wallon : ‘jeune veau espiègle’), manifesta les plus sérieuses dispositions pour la musique. Pour des raisons professionnelles, le père Lekeu, drapier de son état, transplante sa petite famille à Poitiers d’abord, à Angers ensuite.

Guillaume poursuit ses études générales. Il passe brillamment son baccalauréat. Mais voici qu’un terrible coup de foudre le terrasse, l’exalte dans sa quinzième année : Beethoven, le Vieux, le Dieu. La partition de poche des derniers quatuors du maître de Bonn ne le quitta plus. Elle restera son bréviaire. Il compose, bien sûr, parce qu’il sait qu’il ne peut être que compositeur. L’art et la philosophie continuent cependant à le passionner.

Sa famille s’étant cette fois fixée à Paris, il rencontre le critique Théodore de Wizewa, fondateur d’une revue wagnérienne, et le médecin esthète Jean Cantacuzène. Avec ses deux nouveaux amis, il parcourt la Suisse, l’Allemagne, il foule pour la première fois le sol sacré de Bayreuth lors du Festival de 1889. Wagner en deviendra son deuxième dieu. Au retour, il est accepté comme élève par César Franck. L’enseignement qu’il en retirera est incalculable. Hélas, une seule petite année plus tard, le 8 novembre 1890, la mort du maître fait du jeune Lekeu un orphelin spirituel. Son désarroi est terrible. Heureusement, Vincent d’lndy, qui devait avoir subodoré le génie sous-jacent du jeune homme, le prend sous sa vigilante férule. Le 13 avril 1890 est aussi une date capitale dans la trop courte vie de Lekeu. Il rencontre à Verviers un autre illustre compatriote : Eugène Ysaye. Ce sera la commande de la célèbre Sonate pour violon et piano, au lyrisme échevelé, aux délicieuses longueurs, au franckisme transcendé déjà par une originalité tellement personnelle. D’aucuns pensent d’ailleurs que la fameuse Sonate de Vinteuil, ce contrepoint sonore d’un des plus grands romans de ce siècle, Du côté de chez Swann, de Marcel Proust, ne peut être que la sonate de Lekeu. Suprême référence. Déjà les chefs-d’oeuvre succèdent aux chefs-d’oeuvre. C’est le Trio à clavier, les Trois poèmes (sur des textes de l’auteur), le bouleversant Adagio pour cordes, et la Fantaisie sur deux airs populaires angevins.

A Angers, où les parents de Lekeu s’étaient installés en 1888, Guillaume s’était lié d’amitié avec un des membres les plus actifs de la vie musicale angevine, M. de Romain, qui devait d’ailleurs faire jouer toutes les oeuvres de son jeune ami. On raconte que c’est par hasard lors d’un dîner, que Lekeu entendit deux chants populaires locaux qui le séduisirent. Ce fut l’origine de cette oeuvre lumineuse, à l’orchestration chatoyante, tellement pré-debussyste, et bien au-delà de l’esthétique franckiste, qui reste peut-être jusqu’à ce jour son oeuvre symphonique la plus jouée. La Fantaisie fut créée par Eugène Ysaye lui-même à Bruxelles, en juin 1893, et à Verviers quelques mois plus tard, sous «ma noble direction (début), dans un concert très sélect», comme l’écrit Lekeu à son ami Alexandre lissier.


Orchestre Philharmonique de Liège – Dir. Pierre Bartholomée

Le quatuor à clavier, commandé à nouveau par Ysaye, sera sera son chant du cygne inachevé. La légende veut que c’est en mangeant une crème glacée que Guillaume Lekeu a contracté le typhus qui devait l’emporter si jeune. Le 29 décembre 1894, à Angers, Guillaume écrivait à Robert Brussel : «Mon cher ami, voici quinze jours que je vous ai quitté et, depuis lors, je suis malade, à mon désespoir et au très vif ennui de mes parents. Il n’y a rien de dangereux là-dedans (…), mais c’est désagréable. Je ne veux quitter Angers qu’après ma guérison complète (…). Ce sera, je l’espère, dans dix ou douze jours, ou plus tôt.» Injure du sort. Trois semaines après cette lettre, il était mort. Il fut inhumé dans le petit cimetière d’Heusy, son village natal. C’est ainsi que disparut, le lendemain de ses 24 ans, le plus grand musicien que la terre wallonne ait porté depuis César Franck. Si Beethoven était mort à 24 ans, il ne nous aurait laissé aucune symphonie, aucun des sept grands concertos, aucune des sonates pour violon et piano, pour violoncelle et piano, aucun des quatuors, aucune des 32 sonates pour piano… Beethoven ne serait guère plus pour nous qu’un entrefilet dans nos histoires de la musique, que le nom d’un jeune musicien à la mode, prometteur, trop tôt disparu. A 24 ans, Claude Debussy ne nous aurait laissé de ‘consistant’ qu’une seule oeuvre, admirable il est vrai, mais unique, «La Damoiselle élue». Wagner à cet âge n’en était qu’à ses premiers balbutiements. La Tétralogie, Tristan, Parsifal seraient restés à jamais dans les limbes d’une création avortée. A 24 ans, Guillaume Lekeu nous avait donné des chefs d’oeuvre. Déjà le talent laissait poindre l’éclair du génie : Guillaume Lekeu ne demeure pour nous, hélas, que la plus prometteuse des potentialités. Ce qu’il nous réservait, ce qu’il nous aurait donné si la camarde ne l’avait fauché en plein épanouissement, nul jamais ne le saura. Peut-être, qui sait, notre vingtième siècle musical en eût été différent…”

d’après Patrick BATON (programme du concert de l’Orchestre Philharmonique Royal de Liège, dirigé par Pierre BARTHOLOMEE, un 11 décembre du siècle dernier, avec comme solistes Frédéric LODEON et Pierre AMOYAL dans le double concerto de Brahms – collection privée)


L’oeuvre de Lekeu (d’après CLASSIQUENEWS.COM)

Apprentissage : les premiers essais d’écriture.

[…] Lekeu démontre des velléités de composition dès 1885 (Choral pour violon et piano, puis en 887, Morceaux égoïstes…), soit dès ses 15 ans, en particulier pendant ses vacances familiales à Verviers. L’inspiration aborde déjà les poèmes de Hugo, Lamartine (La fenêtre de la maison paternelle, Les pavots), Shakespeare et Goethe sans omettre Baudelaire (Les deux bonnes sœurs) sur le métier desquels le jeune compositeur apprend et réussit les noces délicates, exigeantes de la poésie et de la musique : les mélodies de Lekeu informent sur cette éloquence du cœur et de l’âme qui sont la clé de son écriture. Postromantique, le goût de Lekeu est surtout symboliste, avec, inclination visionnaire, une sensibilité pour les évocations mortifères, lugubres, parfois glaçantes… qui en fin de cycle, inspirera ses propres textes.

Admirateur de Beethoven, Lekeu s’essaie à la forme du quatuor : des nombreuses tentatives dès 1887, remonte le plus achevé (Méditation en sol mineur : énoncé par trois reprises d’un cri de douleur apaisé par une foi finalement salvatrice). Le jeune compositeur poursuit également ses leçons de violon auprès de son professeur Octave Grisard dont le Quatuor crée sa Méditation (après l’avoir débarrassé de ses erreurs d’harmonie). Toujours, Lekeu pourra compter sur l’appui et la collaboration de ses proches, plus âgés et expérimentés que lui dans la maîtrise de l’art. A l’automne 1887, l’écriture occupe désormais toute sa pensée ; le Molto adagio complète la Méditation, exprimant les sentiments chers au caractère du jeune homme : recueillement et profondeur (avec en exergue des citations des Evangiles de Matthieu et Marc sur le Christ au le mont des Oliviers, “mon âme est triste à en mourir”).

Les Morceaux égoïstes (septembre 1887-mai 1888) expriment au piano l’expérience d’une âme sensible désireuse de communiquer sa propre aventure émotionnelle dans une langue mélodique et harmonique, personnelle : en témoigne surtout le Lento doloroso, traversée hypnotique entre songe et cauchemar, d’une âpreté funèbre prenante inspiré d’un poème de Gustave Kahn : “les pleurs sont la langue où ce sont rencontrés / les retours muets d’étranges contrées”. Un sommet de profondeur glaçante que contrepointe totalement l’esprit irrévérencieux et provoquant de la Berceuse et Valse, comportant des références hommages pleins d’humour à Gounod, Delibes, Chopin, etc. De 1888, année d’approfondissement et de maturation, surgit dans sa totalité cohérente (février) l’admirable Quatuor en 6 mouvements V60, dédié à l’ami poitevin, pilier de toujours, Marcel Guimbaud. Entité poétiquement juste, d’un caractère enjoué et lumineux où perce l’originalité inclassable de son Capriccio (4e mouvement et le plus court de la série). De même, fasciné par la fugue, Lekeu parvient à sublimer dans le final, la rigidité de cette forme en un lyrisme libre et personnel. Puis se succèdent, la Sonate pour violoncelle en fa (terminée par D’Indy dans un style trop scolaire et mesuré pour servir de conclusion à la fougue initiale de Lekeu), Quatre séquences (V65) prodigieusement énoncées dans leur maladresse parfois explicite mais dont la sincérité saisit ; adagio malinconico puis allegro molto quasi presto, aux références baudelairiennes ; superbe lento assai (le plus développé et le plus original composé selon la correspondance à minuit). Enfin épilogue qui reprend le thème principal, le même que pour son Trio à clavier.

1889 : la classe de Franck

En 1889, Lekeu poursuit son exploration musicale en abordant l’écriture orchestrale avec l’Introduction symphonique aux Burgraves (avril) : tentative incomplète qui démontre une connaissance très aiguë des thèmes wagnériens. C’est l’été 1889, la fin du Lycée et pour le jeune compositeur encore autodidacte, l’horizon d’une nouvelle carrière musicale d’emblée orientée vers la composition dont le maître choisi est César Franck. Dès septembre, Lekeu se confronte donc aux exercices du Pater Seraphicus : la Première Etude Symphonique concentre les avancées du jeune Lekeu alors disciple de Franck, qui bravant l’ordre de mesure de son maître, ose cependant l’orchestration, lui qui vient de débuter son apprentissage parisien.

La Deuxième Etude Symphonique est inspirée par le Hamlet de Shakespeare (trois parties). En août 1890 sont achevées les deux premières parties : désespérance complexe du héros, pur amour démuni impuissant d’Ophélie (V19 et V22). Le 8 novembre 1890, Franck décède à la suite d’un accident de fiacre : son enseignement n’aura duré qu’un an et demi.

Le Trio à clavier

Sous la direction de Franck, Lekeu, doué d’une fièvre souvent impulsive, apprend la discipline et le contrôle : de 1891, datent des partitions mieux construites, plus profondes encore dans leurs choix dramatiques et expressifs. Trio pour piano, violon et violoncelle (Trio à clavier en ut mineur V70, janvier 1891) : le solide fugato du premier mouvement révèle l’apport du maître Franck à son jeune disciple. Douleur, espoir, rêverie, mélancolie, cri et malédiction… Lekeu y exprime tous ses chers thèmes empruntés aux Romantiques comme aux Symbolistes dont il fait une synthèse très originale. D’autant qu’en conclusion, comme un accomplissement salvateur, le compositeur développe finalement, le “lumineux développement de la bonté”, un parcours spirituel personnel que n’aurait pas renié son maître Franck, lequel avant de mourir, avait témoigné son enthousiasme face à la partition (que Lekeu lui dédiera naturellement en hommage). Solide et consciencieux, ce Trio comporte le métier d’un élève respectueux, certainement encore choqué par la perte de son maître si vénéré.

La Sonate pour piano de 1891 prolonge encore ce devoir de profondeur et de structure auquel l’a initié Franck. C’est un clair hommage aux œuvres pour piano de Franck (Prélude, choral et fugue). Même enracinement franckiste pour le célèbre et régulièrement joué : Adagio pour quatuor d’orchestre (avril 1891) qui porte aussi les vers de Georges Vanor : “Les fleurs pâles du souvenir”. Liberté inouïe de l’écriture (harmonique et mélodique), Lekeu a trouvé sa voie et son langage propre dans cet Adagio, antichambre d’une carrière qui s’annonce particulièrement juste et inspirée ; après la mort de Franck, Lekeu se rapproche de D’Indy, autre élève du Maître et véritable pilier dans la continuation de sa jeune vocation musicale.

A partir de 1891, les compositions de Lekeu sont liées à des événements vécus à Verviers : Epithalame pour le mariage de son ami Antoine Grignard (avril 1891 : la seule partition composée pour l’instrument de son maître, l’orgue dans laquelle il reprend le thème d’Ophélie).

Andromède

Suivent la printanière Chanson de mai (printemps 1891) sur un texte de son oncle Jean, le Chant lyrique pour choeur et orchestre destiné à la Société royale d’Emulation qui la crée le 2 décembre 1891 : partition ambitieuse, jouant de l’éclat partagé dialogué entre voix et fanfare, qui préfigure le grand défi du Prix de Rome auquel Lekeu se présente à Bruxelles la même année. D’Indy stimule le jeune créateur qui passe la première épreuve (écriture d’une fugue à quatre voix et d’un choeur avec orchestre) ; à l’été, Lekeu entre en loge d’écriture sur le thème d’Andromède dont l’arrogante beauté insulte les Néréïdes, filles de Neptune, lequel alors par vengeance lâche sur l’Ethiopie, un monstre affreux semant mort, destruction, désespoir. La cantate de Lekeu – poème lyrique et symphonique pour soli, choeur et orchestre, évoque la supplique des prêtres afin qu’ils désignent une victime expiatoire : Andromède ; la mise à mort de la jeune femme, libérée cependant par Persée… enfin, la victoire finale de l’harmonie dans un épithalame triomphal. Malgré ses espoirs, Lekeu n’obtient le 12 septembre 1891, que le 2e Prix : de fureur, il ne se présente pas à la remise. Il critique la partialité des juges : tous membres des conservatoires royaux de Gand et de Liège dont les élèves ont… naturellement obtenu le Premier Prix et le Premier second prix. Franckiste et parisien, Lekeu l’expatrié a été sévèrement sanctionné. Evidemment, la prière d’Andromède est le point capital d’un drame parfaitement écrit dont le thème de Persée, séquence finale, apporte un éclairage apaisé et salvateur. Tout Lekeu y est condensé dans une science désormais libre et originale, apportant les bénéfices d’un tempérament autonome qui sait ce qu’il doit à Beethoven et Wagner, surtout ses maîtres d’Indy et Franck.

Ysaye entre en scène

Après la déception du Prix de Rome 1891, Lekeu reçoit néanmoins plusieurs commandes : le Larghetto pour violoncelle et orchestre, seule oeuvre concertante aboutie et d’une séduction mélodique tenace (de Joseph Jacob, violoncelliste du Quatuor Ysaye, février 1892) ; la Sonate pour violon et piano demandée par Eugène Ysaye, lequel après l’écoute de la prière d’Andromède créée dans sa version de chambre au cercle des XX à Bruxelles, le 18 février 1892, avait été saisi par le talent du jeune compositeur. Les Trois pièces pour piano (avril 1892) sont commandées par l’éditeur liégeois Muraille : pleines de vie et d’entrain, elles rappellent la vivacité parfois caustique du musicien dans ses lettres. Suivent au printemps 1892, la Fantaisie sur deux airs angevins (dont la mise en forme pour orchestre est favorisé par le très gaulois d’Indy, auteur de la Symphonie cévenole et très soucieux d’affirmer la richesse de la musique française à travers ses idiomes provinciaux) ; il en découle aussi une version pour pour piano à quatre mains : évocation d’un couple pris entre l’ivresse d’un bal et l’abandon intime dans la nature d’une fin d’après midi sous le clair de lune. Les dernières opus de Lekeu sont des mélodies formant cycle, Trois Poèmes créés le 7 mars 1893 à Bruxelles pour le Cercle des XX lors d’un concert organisé autour d’Eugène Ysaye, lequel interprète en outre, la Sonate pour violon et piano dont il est le dédicataire. Dans les poèmes, la mort n’est que songe et l’ivresse amoureuse fait planer sur la nuit (Nocturne), un charme unique qui dévoile une originalité totalement assumée et développée. D’autant que Lekeu en une intuition de coloriste génial ajoute ici la sonorité du quatuor à cordes, bien avant Fauré (la Bonne chanson) et Chausson (la Chanson perpétuelle). L’ultime pièce reste la Berceuse datée de novembre 1892. Lekeu a alors sur le métier le Quatuor à clavier ; il décède à Angers le 21 janvier 1894, peu avant son 24e anniversaire.”

Lire l’article complet sur CLASSIQUENEWS.COM…


RIC 351

En 1994, RICERCAR éditait un coffret qui réunissait une quasi intégrale de l’œuvre de Guillaume Lekeu (1870-1894) ce prodigieux compositeur mort prématurément à l’âge de 24 ans. Admirateur de Beethoven et de Wagner, disciple de Franck, protégé d’Ysaÿe, Lekeu avait, dans ses dernières compositions, ouvert une voie nouvelle qui n’était ni française, ni germanique. C’est à ce périple, depuis les premières compositions écrites à 15 ans aux chefs d’œuvre de 1893, que nous invite cette nouvelle édition. À cette occasion, Jérôme Lejeune a complètement remanié et augmenté le texte de présentation qui propose une analyse chronologique des œuvres. L’écoute de ces compositions dans cet ordre aide à comprendre la façon dont se développe le talent du compositeur, et les citations d’extraits de son abondante correspondance permettent de deviner encore mieux l’état d’esprit de ce jeune homme passionnant et bouleversant qui avait mis en exergue de son Adagio pour Quatuor d’Orchestre cette simple phrase : “Les fleurs pâles du souvenir…”. (coffret 8 CD RICERCAR RIC 351, 2015)


Plus de musique…

MARLY : Le Chant des partisans (1941)

Temps de lecture : 3 minutes >
Maquisards bretons dans la région de Saint-Marcel © D.R.

Le mythe voulait que “le Chant des partisans” soit né dans les maquis. Mais la plus célèbre chanson française de la Seconde guerre a été composée à Londres par une Russe fière des exploits de partisans soviétiques […].

La guitare d’Anna MARLY, aristocrate née Anna Betoulinsky à Pétrograd (1917-2006) en pleine révolution d’Octobre et exilée en France peu après et le manuscrit original sont des pièces phares d’une exposition au Musée de l’Ordre de la Libération dédiée jusqu’au 5 janvier 2020 à la création de cet hymne de la Résistance.

Compositrice, guitariste, danseuse et chanteuse dans les cabarets parisiens, elle prend le nom de scène Marly. La guerre la contraint à un nouvel exil, en Angleterre, où elle tourne dans les cercles russophones résistants et s’engage comme cantinière dans les Forces françaises libres.

C’est en 1942 à Londres, après avoir lu le récit de la bataille de Smolensk qui a marqué l’arrêt de l’offensive allemande sur le front de l’Est en 1941, qu’elle écrit la musique et les paroles en russe de la “La Marche des partisans” qu’elle interprétera elle-même et qui deviendra “Le Chant des partisans“.

Marly, Kessel, Druon
© AFP

En 1943, Joseph Kessel (1898-1979), fils de Juifs de culture russe, aviateur et romancier et son neveu Maurice Druon (1918-2009) écrivent les paroles en français, poussés par le résistant Emmanuel d’Astier de la Vigerie (1900-1969). “Un peuple qui n’a pas de chanson est un peuple qui ne peut pas se battre“, disait Joseph Kessel qui a combattu pendant les deux guerres. Emmanuel d’Astier de la Vigerie qui avait pour sa part écrit les paroles pour une autre chanson d’Anna Marly, la “Complainte des partisans“, réinterprétée en 1969 en anglais par Leonard Cohen (1934-2016), voulait que les auteurs gardent l’anonymat. “Marly, Kessel, Druon qui ont écrit cela à Londres autour du thé et des sandwichs, cela n’apporterait pas beaucoup de crédibilité au chant des maquis. Il faut qu’on s’imagine qu’il surgit de la France occupée et appartient à tous les maquisards“, souligne Lionel Dardenne, commissaire de l’exposition. En 1945, les paroles sont imprimées avec leurs noms, mais cette ‘fausse image d’Épinal‘ persiste et les auteurs n’ont jamais été vraiment mis en avant, ajoute-t-il.

Adopté par les Viet Minh

Le Chant des partisans a rythmé les émissions de la France libre sur la BBC de Londres et le succès de ce chant de lutte et de résistance ne s’est jamais démenti. Depuis 1943, il a été repris, imité et réarrangé de nombreuses fois par Joséphine Baker, Yves Montand, les choeurs de l’Armée rouge, Johnny Hallyday, Claude Nougaro, Zebda, Camélia Jordana ou encore Noir Désir… Aujourd’hui le Chant des partisans est joué lors de cérémonies officielles “sans que les gens sachent d’où il vient“, souligne le commissaire. Accompagnant les cérémonies au Mont Valérien, haut lieu de la mémoire nationale ou en hommage des victimes du terrorisme, “il est chanté de façon presque funèbre alors qu’au contraire c’est un chant de marche et de mobilisation“, ajoute-t-il.

Ironiquement, le Chant des partisans a été adopté par le Viet Minh, l’armée pour l’indépendance du Viet Nam qui luttait contre la domination française.

Aujourd’hui, en France, ce sont les “gilets jaunes” qui se réapproprient le célèbre Chant avec des paroles transformées en “Macron entends-tu“. [lire l’article original -avec pubs- sur RTBF.BE (8 octobre 2019)]

Ami, entends-tu
Le vol noir des corbeaux
Sur nos plaines ?

Ami, entends-tu
Les cris sourds du pays
Qu’on enchaîne ?

Ohé, partisans,
Ouvriers et paysans,
C’est l’alarme !

Ce soir l’ennemi
Connaîtra le prix du sang
Et des larmes…

Montez de la mine,
Descendez des collines,
Camarades.

Sortez de la paille
Les fusils, la mitraille,
Les grenades.

Ohé ! les tueurs,
A la balle et au couteau,
Tuez vite !

Ohé ! Saboteur
Attention à ton fardeau,
Dynamite…

C’est nous qui brisons
Les barreaux des prisons
Pour nos frères.

La haine à nos trousses
Et la faim qui nous pousse,
La misère.

II y a des pays
Où les gens au creux des lits
Font des rêves.

Ici, nous, vois-tu,
Nous, on marche et nous, on tue,
Nous, on crève.

Ici, chacun sait
Ce qu’il veut, ce qu’il fait
Quand il passe.

Ami, si tu tombes,
Un ami sort de l’ombre
A ta place.

Demain du sang noir
Séchera au grand soleil
Sur les routes.

Chantez, compagnons,
Dans la nuit la liberté
Nous écoute…

Ami, entends-tu
Les cris sourds du pays
Qu’on enchaîne ?

Ami, entends-tu
Le vol noir du corbeau
Sur nos plaines ?


S’engager encore (il est grand temps)…

VRANCKEN, Roger (1920-2004)

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Guitariste, né à Liège en 1920, il débute en amateur dans les orchestres de Gene Dersin (1937) et de Lucien Hirsch (1938-1939). Il se produit également au Cotton (Liège) dans la formation de Gus Deloof (1939). Puis, ayant décidé de faire de la musique son métier, il signe son premier contrat professionnel avec le Rector’s Club en mai 1940, contrat interrompu aussitôt par l’arrivée des troupes allemandes.

Au début de l’Occupation, Roger VRANCKEN travaille dans différents bars liégeois, notamment avec le pianiste Vicky Thunus. Il effectue ensuite un séjour au sein de l’orchestre de Jean Omer au Bœuf sur le Toit (Bruxelles) et enregistre ses premiers disques avec cet orchestre en 1941. La même année, alors qu’il commence à se faire une certaine réputation dans les milieux du jazz, il sera l’un des premiers guitaristes belges (avec Frank Engelen) à adopter la guitare électrique. De même, fasciné par Django Reinhardt et Eddie Lang, il fera partie de l’avant-garde qui, en Belgique, sortira la guitare du rôle de simple instrument d’accompagnement.

De retour à Liège, il travaille avec Gaston Houssa, Jean Paques, etc. et devient un des piliers du «noyau swing» qui s’est constitué autour du saxophoniste Raoul Faisant. Dans sa passion pour le jazz, il vit avec Faisant (au Mondial, à l’Observatoire, … ) les heures les plus intenses de sa carrière musicale. Il participe ainsi à l’initiation des jeunes Bobby Jaspar, Jacques Pelzer et surtout René Thomas, dont il est un des premiers – et seuls – professeurs. Sous son nom de guerre (Roger Hodge), Vrancken dirige à la même époque son propre quartette (Hodge-Franck Quartet). Il ralentit ses activités la dernière année de l’Occupation puis, à la Libération, il joue pour les troupes anglaises puis américaines, jusqu’en première ligne.

Il participe bientôt au groupe vocal Les Cherokees aux côtés de Bob Jacqmain, Yetti Lee et Luce Barcy, et enregistre avec cet ensemble en compagnie de l’orchestre d’Ernst Van’t Hoff. De retour à Liège, il travaille au Cotton dans une formation mixte jazz-tzigane. Il travaille encore à Anvers et à Charleroi pendant quelque temps puis décide d’arrêter le professionnalisme, ne se produisant plus que très épisodiquement (notamment avec Robert Grahame, dans le café qu’il reprend au cours des années 50).

En 1959, il décide de tenter un come-back à l’occasion du premier festival de Comblain-la-Tour (où il sera accompagné par les jeunes Jean Lerusse, Willy Donni, etc.). Ce sera pour retomber aussitôt après dans un anonymat dont il ne sortira plus, ne reprenant sa guitare que pour quelques répétitions, hélas sans suite, avec la petite formation swing de Michel Dickenscheid. Il décédera à Seraing, en 2004, à l’âge de 84 ans.

Jean-Pol Schroeder


[INFOS QUALITE] statut : actualisé | mode d’édition : transcription (droits cédés) | source : SCHROEDER Jean-Pol, Dictionnaire du jazz à Bruxelles et en Wallonie (Conseil de la musique de la Communauté française de Belgique, Pierre Mardaga, 1991) | commanditaire : Jean-Pol Schroeder | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : anciensdecomblain.com | remerciements à Jean-Pol Schroeder


More Jazz !

JEANNE, Robert (né en 1932)

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Robert Jeanne © Jean Schoubs

Robert Jeanne est né à Liège, en 1932. Musicien autodidacte, il découvre Charlie Parker à la fin des années 40 et se passionne pour le jazz, fréquente la Laiterie d’Embourg et, après y avoir assisté à quelques jams mémorables réunissant Jacques Pelzer, René Thomas et Bobby Jaspar, décide de devenir musicien. Il débute avec des orchestres amateurs locaux, notamment les Bop Lighters en 1952, entre en contact avec Thomas et Pelzer et, dès 1955, participe à plusieurs concerts en Belgique et en Allemagne en leur compagnie. Il découvre Stan Getz et Al Cohn qui deviendront ses principaux modèles.

A fin des années 50, il forme son propre ensemble (répertoire be-bop et cool), le New Jazz Quintet, avec Milou Struvay à la trompette. Réduit à un quartette (Robert Jeanne, Léo Flechet, Jean Lerusse, Félix Simtaine), ce groupe se maintiendra des années durant. Entretemps, Robert Jeanne participe à de nombreux festivals et tournois (Spa, Zurich, Comblain, Dunkerque, Vienne,… ). Il s’efface de 1962 à 1966 car il se lance dans la course automobile.

En 1966, il replonge de plus belle, avec son quartette mais aussi, assez régulièrement, en compagnie de René Thomas ou du trompettiste Richard Rousselet. De 1971 à 1973, il joue dans le groupe de Jack Van Poli, Cosa Nostra, avec notamment le trompettiste américain Charlie Green (prestation au Festival de Prague). En 1974, il est membre du Solis Laeus de Michel Herr. Il travaille aussi avec le pianiste flamand Koen de Bruyn (1976) et, en 1978, il se produit avec Jacques Pelzer dans la comédie musicale “No No Nanette”, au Centre lyrique de Wallonie.

Il s’intègre pendant un moment à l’Act Big Band de Félix Simtaine puis participe (1980) au groupe Saxo 1000, monté en hommage à René Thomas et Bobby Jaspar. En 1982, il forme un nouveau quartette avec Fléchet et des jeunes musiciens. En 1983, il enregistre son premier disque en tant que leader (“Second Live”) avec Léo Flechet, André Klénes et Stefan Kremer .

Peu à peu son quartet se modifie au gré du passage de musiciens tels que Pirly Zurstrassen, Erik Vermeulen, Sal La Rocca, José Bedeur, Frédéric Jacquemin. Nouveau disque en 1992, avec Mimi Verderame, Sal La Rocca (et Frédéric Jacquemin. En 1994, il entre dans le Chapuis Street Big Band et, en 1996, dans l’octet mis sur pied par Mimi Verderame, Jazz Addiction Band. En 1998, il participe au Festival de Jazz de Saint-Louis, au Sénégal, en quartet avec Mimi Verderame, Sal La Rocca et Ivan Paduart. Et, en 1999, une tournée au Nicaragua avec le même quartet. Musicien de jazz et architecte, il est l’exemple rare d’une double carrière, très riche, accomplie en professionnel exigeant.

d’après Jean-Pol SCHROEDER et IGLOORECORDS.BE 


[INFOS QUALITE] statut : actualisé | mode d’édition : transcription (droits cédés) et compilation | source : SCHROEDER Jean-Pol, Dictionnaire du jazz à Bruxelles et en Wallonie (Conseil de la musique de la Communauté française de Belgique, Pierre Mardaga, 1991) | commanditaire : Jean-Pol Schroeder | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : Jean Schoubs | remerciements à Jean-Pol Schroeder


GRAHAME, Robert (1940-2018)

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Robert GRAHAME est né à Liège en 1940. Dès son enfance, il se met à l’harmonica, puis monte avec son frère un trio vocal. Il découvre le jazz, notamment en fréquentant la famille de René Thomas. Vers 1954, il se produit dans différentes formations de bal comme harmoniciste, puis comme bassiste. Lors de son premier engagement important, comme chanteur, dans l’orchestre de Fernand Lovinfosse, ce dernier lui apprend les premiers rudiments de guitare.

En 1958, il rencontre Jacques Pelzer et les “modernes” liégeois et devient vite un habitué des jam-sessions. Parallèlement, il travaille comme guitariste/chanteur dans l’orchestre de Pol Baud. Il joue dans différentes formations amateurs liégeoises et se produit à plusieurs reprises au Festival de Comblain, où il est remarqué par les critiques français (cité comme révélation dans Jazz Magazine).

Par l’intermédiaire de Jacques Pelzer, il fréquente bientôt les plus grands jazzmen (Lee Konitz, Chet Baker, Bill Evans, Stan Getz… ) et jamme en leur compagnie. En 1966, il monte un quartette avec le saxophoniste Eddie Busnello. Par la suite, il se partage entre le jazz et le “métier”, la variété, travaille comme musicien de studio et compose pour des chanteurs de variété. Il garde néanmoins un contact permanent avec le jazz à travers jams et petits concerts.

Pendant les années 80, il réapparaît plus régulièrement sur les scènes jazz, s’entourant soit de ses anciens compagnons (Bedeur, Liégeois, etc.) soit des musiciens de la jeune génération. Robert Grahame fut un des artisans de la relève du Festival de Comblain pour lequel il a assuré, chaque année, la programmation. Il décède en novembre 2018.

d’après Jean-Pol SCHROEDER


[INFOS QUALITE] statut : actualisé | mode d’édition : transcription (droits cédés) | source : SCHROEDER Jean-Pol, Dictionnaire du jazz à Bruxelles et en Wallonie (Conseil de la musique de la Communauté française de Belgique, Pierre Mardaga, 1991) | commanditaire : Jean-Pol Schroeder | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : jazzinbelgium.com | remerciements à Jean-Pol Schroeder


More Jazz…

FAISANT, Raoul (1917-1969)

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Si l’on n’y prend garde le nom même de Raoul FAISANT, que d’aucuns continuent de considérer comme le père du “jazz wallon”, sera bientôt passé définitivement dans l’oubli, lui que l’on tenait dans les années quarante comme l’un des ténors européens. Sic transit gloria….

Né à Flémalle-Haute, en 1917, il s’intéresse dès son plus jeune âge à la musique. Sa famille, une modeste famille ouvrière, ne s’opposait certes pas à cette inclination précoce : au début du siècle, le grand-père de Raoul avait joué au sein du célébrissime orchestre américain de John-Philip Sousa, celui-là même qui apporta aux Belges les premiers accents de musique syncopée en 1900. A six ans, les parents Faisant offrent à leur fils des leçons de piano avec un professeur particulier. Après la flûte et le hautbois, le jeune homme finit pas adopter le saxophone, alto d’abord, ténor ensuite.

Dès 1932, il se produit dans des orchestres de bal et laisse tomber ses études. Il entre pour un temps en usine – aux Tubes de la Meuse -, pour se retrouver bientôt dans la rue, après avoir participé à un piquet de grève. Doté d’une oreille et d’un sens harmonique et mélodique peu communs, il s’est mis à jouer cette musique américaine que diffuse au compte-gouttes l ‘I.N.R. : le jazz.

Raoul Faisant écoute le jazz avec une passion qui dépasse l’intérêt superficiel que lui portent la majorité des musiciens liégeois du moment. Exception faite de Victor lngeveld, déjà parti pour Bruxelles, d’Albert Brinckhuyzen, que Faisant a entendu au sein du Rector’s Club, et puis de Bobby Naret et de Jacques Kriekels avec lequel il va vivre, en 1937, une période de service militaire dont les nuits se passeront bien souvent en jam-sessions furieuses, les premières d’une longue série.

Démobilisé, de plus en plus absorbé par la magie de l’improvisation, il devient professionnel, se produisant à Liège, soit dans les bars du Carré (L’Enfer, par exemple), soit dans des orchestres de bal, celui d’Antoine Barzazzi entre autres. Mais, il n’a pas encore trouvé d’interlocuteurs partageant sa passion pour le jazz, car au bal, on n’improvise pas. Survient alors la guerre. A Liège, comme ailleurs, c’est le début de quatre longues années d’Occupation qui, paradoxalement, vont permettre à Faisant de faire exploser toute cette musique qui est en lui.

Les années de guerre

En 1940, il est au Caveau, dans un orchestre de femmes. Dans cette ambiance soyeuse et feutrée, Faisant prouve dès cette époque qu’il est le musicien le plus authentiquement jazz de la région. S’il est conscient de ses propres progrès, il n’imagine sans doute pas qu’il est déjà devenu le modèle d’une nouvelle génération. C’est en banlieue, à Jemeppe, dans un café appelé La Redoute, qu’il va enfin se trouver pour la première fois des accompagnateurs musclés, aptes à le faire avancer dans la voie du jazz . Willy et Johnny Stoffels, deux musiciens noirs qui ont échoué dans la région, lui donnent des ailes, l’un en lui fournissant un support harmonique enfin consistant à la basse, l’autre en créant pour lui le cadre rythmique qu’aucun batteur n’avait pu lui procurer jusque là.

La Redoute devient vite le lieu de rendez-vous obligé des rares amateurs de jazz, ou de bonne musique tout simplement. C’est à La Redoute que Faisant va rencontrer celle qui sera sa compagne, Reine, saxophoniste elle aussi. Mais c’est une autre histoire. Il reste que La Redoute est le point de départ de l’escalade de Faisant vers les sommets. En 1942 et 1943, entouré de quelques solides comparses avec lesquels il forme un noyau swing des plus percutants, il va faire le tour des établissements de Liège, y semant la bonne nouvelle du jazz contre vents et marées.

Sa sonorité est déjà remarquable par son ampleur et sa puissance, jointes à des dons exceptionnels pour l’improvisation. Entretemps, les Allemands ont interdit la danse; mais cette interdiction, outre qu’elle tolère bon nombre de dérogations, n’est pas de nature à décourager ni les musiciens du noyau swing ni les danseurs. Avec son ami Roger Vrancken, guitariste d’élite, il commence à “bricoler”, cherchant les combinaisons harmoniques les mieux appropriées, les arrangements rythmiques les plus percutants, toutes ces petites choses qui transforment une chansonnette en un morceau swing ! Pendant la soirée, bien sûr, on ne joue pas que du jazz, il faut satisfaire tout le monde. Mais, malgré cela, le noyau swing, de chorus sulfureux en blues lancinants, offre aux Liégeois plus de jazz qu’ils n’en ont jamais entendu.

Outre leurs prestations professionnelles dans des établissements comme L’Observatoire, le Mondial ou L’Etage, Raoul Faisant, Jean Evrard, Roger Vrancken, Victor Baselle, bientôt rejoints par les jeunes Maurice Simon et René Thomas (quinze ans à l’époque), se retrouvent également après journée (after hours) pour des jam-sessions torrides – chez la danseuse Mary Drom par exemple. Et là, plus question de concessions ! Quelques étudiants sont parfois admis dans ces cénacles, ils ont pour noms Jacques Pelzer ou Bobby Jaspar et ils ne perdent jamais une occasion de s’enivrer de la fascinante musique nouvelle.

Faisant est aussi amené, pendant l ‘Occupation, à se produire au sein de grandes formations : il jouera occasionnellement avec Gene Dersin, dès 1942 (mais le big band de Dersin a déjà un excellent ténor soliste en la personne de Jacques Kriekels). Il travaille dans l’orchestre de Gus Deloof qui l’emmène en tournée à Bruxelles et jusqu’en France et le fait participer à quelques séances d’enregistrements. Jusque-là, tout va plutôt bien. Les choses ne se gâtent que lorsque Faisant est réquisitionné pour le travail obligatoire en Allemagne.

Il imagine alors différents stratagèmes pour échapper à l’engrenage et il finit par se retrouver, sous un faux nom, en route vers la Hollande au sein de l’orchestre d’Hubert Simplisse. Et quel orchestre ! Un simple coup d’oeil sur les membres de cette formation donne à penser que, si le leader est accordéoniste, le musette ne doit pas être la seule musique au programme : il y là, outre Raoul Faisant, le trompettiste Jean Evrard, le pianiste Maurice Simon, René Thomas à la guitare, Clément Bourseault à la basse et le batteur hollandais Henk Van Leer. A Amsterdam vont avoir lieu quelques concerts où, malgré la censure allemande (pas d’improvisation, pas de musique anglaise ou américaine), le jazz est au premier rang.

A Liège, le climat général s’est refroidi : la tension est plus forte entre occupant et occupé. Bientôt, Jean Evrard est arrêté et déporté. Faisant ralentit ses activités, il joue encore au Caveau en 1944. Enfin, les Américains arrivent. Commence alors, pour Faisant et pour le jazz tout entier, un âge d’or de quelques années. Faisant – qui vient de passer de 72 à 120 kg – semble être partout à la fois : à Liège, à Bruxelles, en tournée pour les Américains. En 1944, pour Radio Heidelberg, version U.S., il joue avec Vicky Thunus. A Bad Norheim, il retrouve Jean Evrard et, ensemble, ils entreprennent un tournée des restcamps. René Thomas, plus “reinhardtien” que jamais, les seconde la plupart du temps.

Bruxelles et l’après-guerre

En 1945, Faisant s’installe à Bruxelles. On accueille à bras ouverts celui que la presse appelle “le crack liégeois”. Lui et son épouse hébergent pendant de longs mois René Thomas et Sadi. Faisant joue au Métropole dans l’orchestre de Dersin, monté à Bruxelles lui aussi ; au Cosmopolite, dans la formation du trompettiste Joe Lenski. En 1946, les Américains font à Faisant des offres alléchantes, qu’il décline : il vient de se marier et il ne désire pas compromettre déjà ce début de vie de famille.

Entretemps, sa réputation s’est établie dans toute la Belgique et jusqu’en Allemagne – où il est classé numéro un dans différents référendums – et en France : dans le numéro huit de la revue française Jazz Hot (nouvelle série), Faisant est présenté comme “un extraordinaire virtuose du saxophone, s’exprimant aussi bien au soprano qu’au ténor et jouant remarquablement de la clarinette”. En 1947, Don Byas, classé deuxième saxophoniste après Coleman Hawkins au célèbre référendum américain “Esquire”, est à Bruxelles : lui et Faisant vont se livrer une nuit entière à un véritable “combat des chefs” dont Faisant sortira vainqueur. Il est, pense-t-on, à l’aube d’une toute grande carrière.

Pendant tout ce temps, Faisant n’a jamais perdu le contact avec Liège : il y est revenu à différentes reprises, notamment en avril 1946 pour une  monstre organisée par le Hot Club de Belgique au Mondial, jam au cours de laquelle Faisant avait partagé l’affiche avec ses anciens élèves réunis au sein des Bob Shots ! Il y était revenu également pour deux engagements importants, l’un aux Dominicains (avec d’autres élèves : Sadi, Jean Fanis, Maurice Simon), l’autre au Cotton. Il avait effectué une nouvelle tournée avec Gus Deloof. Mais, au moment de la rencontre avec Byas, les beaux jours sont presque finis pour lui et c’est définitivement, et plus en vedette, qu’il va bientôt revenir à Liège.

En effet, le jazz est à un tournant décisif de son histoire : déjà, la parole de Charlie Parker a frappé de plein fouet les jeunes Pelzer, Jaspar, Sadi, Thomas. Le grand public, qui n’avait accroché au jazz que comme à une mode passagère, sans le comprendre, s’émoustille désormais à l’écoute de rengaines pseudo-exotiques. Ceux qui veulent vivre du jazz se condamnent à la bohème ou à l’exil. Les autres arrêtent le métier ou se contraignent à jouer, de mode en mode, d’autres musiques. Faisant alternera entre ces deux dernières options, exerçant tantôt un autre métier (commerçant, cafetier), se produisant à d’autres moments dans les orchestres les plus ringards pour gagner sa vie. Mais, toujours, il parviendra à pimenter une soirée musicale fade de traits fulgurants et inattendus.

Le déclin

Pendant les années 50, il jouera dans les orchestres de Jean St-Paul, Jimmy Cordy, Maurice Bastin, Jean Sauer et bien d’autres. Malgré l’incompréhension croissante qui l’entoure (les amateurs de jazz ne jurent que par le moderne, les autres ne veulent que du cha-cha-cha puis plus tard du rock’n roll, du twist, etc.), il est toujours aussi perfectionniste. Exigeant pour lui-même, il ne l’est pas moins avec ses partenaires ou avec ses élèves. En 1957, la chance lui tend les bras une seconde fois : un organisateur de spectacles s’étant souvenu de lui ou l’ayant découvert lors d’un des rares concerts qu’il donnait encore pour des associations, lui fait signer un contrat de quatre mois pour la Finlande. Il se produira principalement à Helsinki, à la Cabane du Pêcheur, un cabaret chic pour diplomates et hommes d’affaires.

Soudain, c’est comme si tout était à nouveau possible : on lui propose un contrat pour Moscou, un autre pour Calcutta et Bombay. Mais Faisant décline, pour des raisons familiales. Dès lors, la vraie descente aux enfers va commencer. Ironie du sort, au Festival de Knokke en 1958, c’est Raoul Faisant, venu pour y gagner sa vie dans un orchestre commercial (pour la danse), qui sauvera au pied levé le concert de Coleman Hawkins, trop ivre pour pouvoir s’en sortir seul. Un moment de triomphe pour mieux replonger dans l’oubli au début de ces années 60 qui furent, pour le jazz, les plus tristes et les plus accablantes.

Pas une seule fois le nom de Faisant n’apparaîtra à l’affiche du Festival de Comblain, de 1959 à 1966. “On prenait Raoul Faisant pour un vieux con, je ne m’en mordrai jamais assez les doigts” avoue Milou Struvay, étoile montante de cette même époque. Et pendant que bons et mauvais jazzmen jouent dans le Grand Pré de Comblain, Faisant, bougon, travaille au Casino de Chaudfontaine, refusant bien souvent de se lever pour prendre un solo. Après avoir assisté, étrangement indifférent, à la révolution bop, il entend, sans les écouter vraiment, les premiers débordements free, lui qui avait sans doute été le premier musicien européen à maîtriser vraiment les harmoniques supérieurs.

En 1965, Faisant sera pour la dernière fois le héros de la fête dans cette ville de Liège qu’il n’a jamais quittée : le gala des “25 ans de jazz en Wallonie” organisé au Trocadéro, c’est un peu un hommage à celui que Nicolas Dor présente, quand il entre sur scène, comme le «père spirituel de tout le jazz wallon». Faisant prouvera ce soir-là qu’il est toujours un grand musicien : point d’orgue de cette soirée, un “Body and Soul” qui en étonna plus d’un dans la salle, où beaucoup de spectateurs entendaient le nom de Faisant pour la première fois !

Après ce dernier soir triomphal, il rentre dans l’ombre pour de bon. Et comme les juke-boxes ont remplacé un peu partout les orchestres, il connaît des jours de plus en plus difficiles. Une triste journée de 1969, il assiste aux obsèques de Maurice Simon, tué lui aussi par l’indifférence. Quelques semaines plus tard, alors qu’il joue à la frontière française – et le saxophoniste italien Gianni Basso se souvient que certains soirs, il pouvait encore jouer comme un dieu – Raoul Faisant meurt. Jusqu’à la fin, il aura combattu pour cette musique qui l’avait séduite 30 ans plus tôt. La presse locale évoquera discrètement la disparition d’un des plus grands jazzmen européens, qui ne laissa même pas derrière lui, en guise de consolation, quelques disques-témoins à la mesure de son génie.

 Jean-Pol Schroeder


[INFOS QUALITE] statut : actualisé | mode d’édition : transcription (droits cédés) | source : SCHROEDER Jean-Pol, Dictionnaire du jazz à Bruxelles et en Wallonie (Conseil de la musique de la Communauté française de Belgique, Pierre Mardaga, 1991) | commanditaire : Jean-Pol Schroeder | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : jazzinbelgium.com | remerciements à Jean-Pol Schroeder


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THYS, Toine (né en 1972)

Temps de lecture : 2 minutes >
Toine Thys © F. de Ribaucourt

Né à Bruxelles en 1972, le saxophoniste bruxellois Toine THYS est un musicien intense qui aime créer la surprise. Figure centrale du saxophone et de la clarinette basse en Belgique, on peut l’entendre régulièrement en France et aux Pays-Bas, en Europe, mais aussi en Afrique de l’Ouest, au Canada et en Asie.

Il dirige le Toine Thys Trio avec Arno Krijger à l’orgue Hammond et Karl Jannuska à la batterie. Il co-dirige également Orlando, mené avec le batteur Antoine Pierre et les musiciens français Florent Nisse (basse) et Maxime Sanchez (piano), et le groupe Overseas, qu’il mène avec le oudiste égyptien Ihab Radwan, Annemie Osborne (violoncelle) et Simon Leleux (percussions).

A côté de ses projets personnels, on retrouve Toine Thys aussi dans les formations Ed Verhoeff 4tet (Pays-Bas), Afrikan Protokol (Burkina), Bounce Trio (France), Bram Weijters Crazy Men (Belgique), Antoine Pierre Urbex (Belgique), etc.

Toine Thys est très présent en Afrique et fonde, en 2014, une école d’instruments à vents au Burkina Faso avec le trompettiste Laurent Blondiau, qui rassemble aujourd’hui plus de 50 élèves : Les Ventistes du Faso.  Ce concept doit être exporté prochainement en RDC (Lubumbashi et Kinshasa), comme au Bénin (Cotonou).  [d’après TOINETHYS.COM]

Toine Thys © L’Avenir

Toine Thys est en outre l’un des rares musiciens à se rendre compte qu’humour et jazz ne sont pas nécessairement à l’opposé l’un de l’autre. En plus, il est très conscient de la valeur ajoutée qu’apporte un contact direct avec le public et c’est donc volontiers qu’il participe régulièrement à des jam sessions au quatre coins de la ville “afin de rester au contact de la jeune génération“. À l’époque, il évoquait sa soif insatiable d’aventures lors d’une entrevue avec Agenda : “Ma devise est que la certitude est source de problèmes. Ainsi, je suis incapable de vous dire ce que j’apprécierai ou non d’ici deux ans. Mon but est, chaque jour, de découvrir la beauté qui se cache en toute chose. Pour ce faire, il faut en permanence garder les yeux et les oreilles ouverts et se laisser surprendre.”  (lire plus sur JAZZ.BRUSSELS)


[INFOS QUALITE] statut : actualisé | mode d’édition : compilation par wallonica.org  | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : F. de Ribaucourt ; L’Avenir |


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