amitié

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Jacques DUFRESNE écrit : Le mot grec philia, que nous traduisons par amitié, avait deux sens: l’affection qui unit deux personnes qui se sont choisies l’une l’autre et l’attachement qui unit entre eux les habitants d’une cité. Le premier sentiment est l’amitié privée, le second l’amitié civique.

[…] Abel Bonnard, soutient dans L’amitié1qu’il faut distinguer l’ami de l’allié et du compagnon. «Les compagnons que le hasard a rapprochés sont unis par les molles chaînes de l’habitude, les alliés par les liens étroits de l’intérêt. Seules les vraies amitiés restent aussi libres que nécessaires.» Qu’est-ce à dire? «L’amitié, en effet, consiste dans le choix absolu d’un être que nous avons distingué pour sa nature et préféré une fois pour toutes.»

«L’habitude, dit-il plus loin, fait les faux amis, comme l’occasion fait les faux amants.» À l’instar des anciens grecs, qui distinguaient la philia de l’eros, Abel Bonnard distingue l’amour de l’amitié : «On rêve d’amour et non d’amitié, parce c’est le corps qui rêve.» Et ailleurs : «un amour peut mourir d’une vérité, comme une amitié d’un mensonge.» ou encore : «Il y a entre l’amour et l’amitié la même différence qu’entre l’opéra et la musique de chambre»; et «en amour, on a besoin d’être cru; en amitié d’être deviné.»

[…] C’est une libre et heureuse promesse à soi, qui change une sympathie naturelle en un accord inaltérable, d’avance au-dessus de l’âge, des passions, des intérêts et des hasards.

Alain

Ce que nous appelons ordinairement amis et amitiés, ce ne sont qu’accointances et familiarités nouées par quelque occasion ou commodité, par le moyen de laquelle nos âmes s’entretiennent. En l’amitié de quoi je parle, elles se mêlent et confondent l’une en l’autre, d’un mélange si universel qu’elles effacent et ne retrouvent plus la couture qui les a jointes. Si on me presse de dire pourquoi je l’aimais, je sens que cela ne se peut exprimer qu’en répondant : “Parce que c’était lui, parce que c’était moi.
Il y a au delà de tout mon discours, et de ce que j’en puis dire particulièrement, je ne sais quelle force inexplicable et fatale, médiatrice de cette union. Nous nous cherchions avant que de nous être vus, et par des rapports que nous oyions l’un de l’autre, qui faisaient en notre affection plus d’effort que ne porte la raison des rapports ; je crois, par quelque ordonnance du ciel […] L’ancien Ménandre disait celui-là heureux, qui avait pu rencontrer seulement l’ombre d’un ami. Il avait certes raison de le dire, même s’il en avait tâté. Car, à la vérité, si je compare tout le reste de ma vie, quoi qu’avec la grâce de Dieu je l’ai passée douce, aisée et, sauf la perte d’un tel ami, exempte d’affliction pesante, pleine de tranquillité d’esprit, ayant pris en paiement mes commodités naturelles et originelles sans en rechercher d’autres ; si je la compare, dis-je, toute, aux quatre années qu’il m’ a été donné de jouir de la douce compagnie et société de ce personnage, ce n’est que fumée, ce n’est qu’une nuit obscure et ennuyeuse. Depuis le jour que je le perdis, […] je ne fais que traîner languissant ; et les plaisirs mêmes qui s’ offrent à moi, au lieu de me consoler, me redoublent le regret de sa perte. Nous étions à moitié de tout ; il me semble que je lui dérobe sa part […] J’étais déjà si fait et accoutumé à être deuxième partout qu’il me semble n’ être plus qu’à demi…

Montaigne, Essais I, 27, De l’amitié

Extrait de l’article [amitié] dans AGORA.QC.CA…

Plus d’amour encore…