PENA-RUIZ : Grandes légendes de la pensée (2015)

La vie parfois vacille et doute d’elle-même. Commencer, recommencer, sans cesse. Le constat de l’éternel recommencement des choses, semblable au cycle des saisons, la vie succédant à la mort et la mort à la vie, la croissance au déclin et le déclin à la croissance, produit une sorte d’angoisse. Le quotidien qui se livre sous le signe du recommencement mérite-t-il d’être vécu ? Peut-on croire au sens de ce que l’on fait, lorsqu’il faut toujours reprendre, toujours recommencer ?

Le rocher que Sisyphe était condamné à porter dévalait la pente que Sisyphe avait gravie, chaque fois qu’il atteignait le haut de la colline. Ce rocher de Sisyphe est devenu le symbole d’une tâche absurde à accomplir, puisque sitôt accomplie, elle doit être recommencée. À certains égards, n’est-ce pas tout le déroulement de la vie quotidienne qui peut être placé sous le signe du rocher de Sisyphe ? On se lève le matin, on se prépare, on va travailler, on revient, on recommence le lendemain. Ainsi disait-on naguère des ouvriers qui allaient à l’usine : « Métro, boulot, dodo », « Métro, boulot, dodo », et ce recommencement semblait dessaisir la vie de toute signification.

Mais la conscience humaine interroge : pourquoi ? Camus raconte qu’à un moment ou à un autre de cet enchaînement machinal quotidien, la question du pourquoi s’élève. Il faut poser la question du pourquoi, il faut réfléchir sur cette apparence d’éternel recommencement, sur cette apparence d’absurdité qui pourrait bien, si l’on n’y prend pas garde, dessaisir la vie elle-même de toute signification…