La jeune poétesse Amanda Gorman vole la vedette à Joe Biden

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“[Au cours de la cérémonie d’investiture du nouveau président des Etats-Unis, Joe BIDEN,] la poétesse noire-américaine Amanda GORMAN a captivé le public avec ses vers appelant à l’unité des Etats-Unis. Agée de 22 ans, la jeune femme originaire de Los Angeles a récité un poème de sa composition, “The Hill We Climb” (“La colline que nous gravissons“).

“The Hill We Climb”… Une colline gravie faisant référence à la colline du Capitole, où des partisans de Donald Trump ont envahi le siège du Congrès le 6 janvier 2021.

Ce texte, Amanda Gorman l’avait commencé avant cet événement et l’a fini d’une traite après l’assaut meurtrier. Il évoque “une forêt qui briserait notre Nation, plutôt que la partager“. “Cet effort a presque réussi / mais si la démocratie peut-être par instants retardée, elle ne peut pas être définitivement supprimée“.

D’une voix calme, elle a scandé ses rimes, en les accompagnant de mouvements graciles, ne laissant pas percer le problème de langage qui l’affectait dans son enfance. Un problème de prononciation, la parole empêchée, comme pour Joe Biden qui, enfant, souffrait d’un bégaiement. Cette différence a poussé la jeune Californienne à écrire, pour compenser.

A 22 ans, Amanda Gorman est la plus jeune poétesse dans l’Histoire des États-Unis à avoir été choisie pour marquer l’investiture d’un président ; c’est John Fitzgerald Kennedy qui a initié cette pratique en 1961. A travers une performance époustouflante, elle a offert une vision pleine d’espoir à un pays profondément divisé, s’exprimant deux semaines à peine après que des drapeaux confédérés, des bombes artisanales et un nœud coulant ont surgi sur la colline du Capitole. La poétesse a proclamé que les Américains pouvaient s’élever au-dessus de la haine.

Hillary Clinton s’est fendue d’un tweet pour dire son admiration : “Le poème d’Amanda Gorman n’était-il pas éblouissant? Elle a promis de se présenter pour la présidentielle de 2036 et, pour ma part, je ne peux attendre“, a-t-elle écrit.

Quant à Barack Obama, citant la conclusion-même du texte d’Amanda Gorman, il a souligné que “des jeunes gens comme elle sont une preuve ‘qu’il y a toujours de la lumière, si seulement nous sommes suffisamment brave pour la voir ; si seulement nous sommes suffisamment brave pour l’être’.”

Une œuvre engagée

Son œuvre traite de thèmes tels que la justice sociale, l’oppression, le féminisme, l’ethnie, la marginalisation et la diaspora africaine. A l’âge de 17 ans, Amanda Gorman publie un recueil de poèmes titré “The One for Whom Food Is Not Enough” (“La personne pour laquelle la nourriture ne suffit pas“).

En 2017, elle est la première personne à remporter le Prix national de Poésie de la Jeunesse, the National Youth Poet Laureate. Elle a obtenu un diplôme en sociologie cum laude à l’Université d’Harvard.

Mercredi, Amanda Gorman a rejoint les rangs des autres hommes et femmes de poésie qui l’ont précédée, comme Robert Frost, à l’investiture de John F. Kennedy en 1961, Maya Angelou, à celle de Bill Clinton en 1993, et Elizabeth Alexander, pour Barack Obama en 2009.

Après la cérémonie, la jeune femme a rendu hommage sur Twitter à ses prédécesseuses: “Je ne serais nulle part sans les empreintes de pas des femmes dans lesquels je danse. Aux femmes qui ont déjà escaladé mes collines“. Elle a expliqué porter une bague, offerte par Oprah Winfrey, symbolisant Maya Angelou. Un bijou à la forme d’un oiseau dans une cage.

Des mots d’espoir salués

Une maigre jeune fille noire, descendante d’esclaves et élevée par une mère célibataire, peut rêver de devenir présidente, et se retrouver à réciter un poème à un président. Et oui, nous sommes loin d’être lisses, loin d’être immaculés, mais cela ne veut pas dire que nous nous efforçons de former une union parfaite. Nous nous efforçons de forger notre union avec détermination, de composer un pays qui s’engage à respecter toutes les cultures, les couleurs, les caractères et les conditions de l’être humain“. Des mots d’espoir qui résonneront longtemps sur les marches du Capitole.

Des mots forts salués par des critiques enthousiastes affluant de tout le pays, en provenance de tout le spectre politique. Joe Biden désire rassembler le peuple américain; en invitant Amanda Gorman, il a déjà réussi à l’unir autour de la poétesse.”

La colline que nous gravissons” (traduction)

Le jour vient où nous nous demandons où pouvons-nous trouver la lumière dans cette ombre sans fin? La défaite que nous portons, une mer dans laquelle nous devons patauger. Nous avons bravé le ventre de la bête. Nous avons appris que le calme n’est pas toujours la paix. Dans les normes et les notions de ce qui est juste n’est pas toujours la justice.

Et pourtant, l’aube est à nous avant que nous le sachions. D’une manière ou d’une autre, nous continuons. D’une manière ou d’une autre, nous avons surmonté et été les témoins d’une nation qui n’est pas brisée, mais simplement inachevée. Nous, les successeurs d’un pays et d’une époque où une maigre jeune fille noire, descendante d’esclaves et élevée par une mère célibataire, peut rêver de devenir présidente, et se retrouver à réciter un poème à un président.

Et oui, nous sommes loin d’être lisses, loin d’être immaculés, mais cela ne veut pas dire que nous nous efforçons de former une union parfaite. Nous nous efforçons de forger notre union avec détermination, de composer un pays qui s’engage à respecter toutes les cultures, les couleurs, les caractères et les conditions de l’être humain.

Ainsi, nous ne regardons pas ce qui se trouve entre nous, mais ce qui se trouve devant nous. Nous comblons le fossé parce que nous savons que, pour faire passer notre avenir avant tout, nous devons d’abord mettre nos différences de côté. Nous déposons nos armes pour pouvoir tendre les bras les uns aux autres. Nous ne cherchons le mal pour personne mais l’harmonie pour tous. Que le monde entier, au moins, dise que c’est vrai. Que même si nous avons fait notre deuil, nous avons grandi. Que même si nous avons souffert, nous avons espéré; que même si nous nous sommes fatigués, nous avons essayé; que nous serons liés à tout jamais, victorieux. Non pas parce que nous ne connaîtrons plus jamais la défaite, mais parce que nous ne sèmerons plus jamais la division.

L’Écriture nous dit d’imaginer que chacun s’assoira sous sa propre vigne et son propre figuier, et que personne ne l’effraiera. Si nous voulons être à la hauteur de notre époque, la victoire ne passera pas par la lame, mais par tous les ponts que nous avons construits. C’est la promesse de la clairière, la colline que nous gravissons si seulement nous l’osons. Car être Américain est plus qu’une fierté dont nous héritons; c’est le passé dans lequel nous mettons les pieds et la façon dont nous le réparons. Nous avons vu une forêt qui briserait notre nation au lieu de la partager, qui détruirait notre pays si cela pouvait retarder la démocratie. Et cet effort a presque failli réussir.

Mais si la démocratie peut être périodiquement retardée, elle ne peut jamais être définitivement supprimée. Dans cette vérité, dans cette foi, nous avons confiance, car si nous avons les yeux tournés vers l’avenir, l’histoire a ses yeux sur nous. C’est l’ère de la juste rédemption. Nous la craignions à ses débuts. Nous ne nous sentions pas prêts à être les héritiers d’une heure aussi terrifiante, mais en elle, nous avons trouvé le pouvoir d’écrire un nouveau chapitre, de nous offrir l’espoir et le rire.

Ainsi, alors qu’une fois nous avons demandé: “Comment pouvons-nous vaincre la catastrophe?” Maintenant, nous affirmons: “Comment la catastrophe pourrait-elle prévaloir sur nous?”

Nous ne reviendrons pas à ce qui était, mais nous irons vers ce qui sera: un pays meurtri, mais entier; bienveillant, mais audacieux; féroce et libre. Nous ne serons pas détournés, ni ne serons interrompus par des intimidations, car nous savons que notre inaction et notre inertie seront l’héritage de la prochaine génération. Nos bévues deviennent leur fardeau. Mais une chose est sûre, si nous fusionnons la miséricorde avec la force, et la force avec le droit, alors l’amour devient notre héritage, et change le droit de naissance de nos enfants.

Alors, laissons derrière nous un pays meilleur que celui qui nous a été laissé. À chaque souffle de ma poitrine de bronze, nous ferons de ce monde blessé un monde merveilleux. Nous nous élèverons des collines de l’Ouest aux contours dorés. Nous nous élèverons du Nord-Est balayé par les vents où nos ancêtres ont réalisé leur première révolution. Nous nous élèverons des villes bordées de lacs des États du Midwest. Nous nous élèverons du Sud, baigné par le soleil. Nous reconstruirons, réconcilierons et récupérerons dans chaque recoin connu de notre nation, dans chaque coin appelé notre pays; notre peuple diversifié et beau en sortira meurtri et beau.

Quand le jour viendra, nous sortirons de l’ombre, enflammés et sans peur. L’aube nouvelle s’épanouit alors que nous la libérons. Car il y a toujours de la lumière. Si seulement nous sommes assez braves pour la voir. Si seulement nous sommes assez braves pour l’être.

Amanda Gorman (trad. RTS.CH)


“The Hill we Climb” (texte original)

When day comes, we ask ourselves, where can we find light in this never-ending shade?
The loss we carry. A sea we must wade.
We braved the belly of the beast.
We’ve learned that quiet isn’t always peace, and the norms and notions of what “just” is isn’t always justice.
And yet the dawn is ours before we knew it.
Somehow we do it.
Somehow we weathered and witnessed a nation that isn’t broken, but simply unfinished.
We, the successors of a country and a time where a skinny Black girl descended from slaves and raised by a single mother can dream of becoming president, only to find herself reciting for one.
And, yes, we are far from polished, far from pristine, but that doesn’t mean we are striving to form a union that is perfect.
We are striving to forge our union with purpose.
To compose a country committed to all cultures, colors, characters and conditions of man.
And so we lift our gaze, not to what stands between us, but what stands before us.
We close the divide because we know to put our future first, we must first put our differences aside.
We lay down our arms so we can reach out our arms to one another.
We seek harm to none and harmony for all.
Let the globe, if nothing else, say this is true.
That even as we grieved, we grew.
That even as we hurt, we hoped.
That even as we tired, we tried.
That we’ll forever be tied together, victorious.
Not because we will never again know defeat, but because we will never again sow division.
Scripture tells us to envision that everyone shall sit under their own vine and fig tree, and no one shall make them afraid.
If we’re to live up to our own time, then victory won’t lie in the blade, but in all the bridges we’ve made.
That is the promise to glade, the hill we climb, if only we dare.
It’s because being American is more than a pride we inherit.
It’s the past we step into and how we repair it.
We’ve seen a force that would shatter our nation, rather than share it.
Would destroy our country if it meant delaying democracy.
And this effort very nearly succeeded.
But while democracy can be periodically delayed, it can never be permanently defeated.
In this truth, in this faith we trust, for while we have our eyes on the future, history has its eyes on us.
This is the era of just redemption.
We feared at its inception.
We did not feel prepared to be the heirs of such a terrifying hour.
But within it we found the power to author a new chapter, to offer hope and laughter to ourselves.
So, while once we asked, how could we possibly prevail over catastrophe, now we assert, how could catastrophe possibly prevail over us?
We will not march back to what was, but move to what shall be: a country that is bruised but whole, benevolent but bold, fierce and free.
We will not be turned around or interrupted by intimidation because we know our inaction and inertia will be the inheritance of the next generation, become the future.
Our blunders become their burdens.
But one thing is certain.
If we merge mercy with might, and might with right, then love becomes our legacy and change our children’s birthright.
So let us leave behind a country better than the one we were left.
Every breath from my bronze-pounded chest, we will raise this wounded world into a wondrous one.
We will rise from the golden hills of the West.
We will rise from the windswept Northeast where our forefathers first realized revolution.
We will rise from the lake-rimmed cities of the Midwestern states.
We will rise from the sun-baked South.
We will rebuild, reconcile, and recover.
And every known nook of our nation and every corner called our country, our people diverse and beautiful, will emerge battered and beautiful.
When day comes, we step out of the shade of flame and unafraid.
The new dawn balloons as we free it.
For there is always light, if only we’re brave enough to see it.
If only we’re brave enough to be it.

Amanda Gorman


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Donald Trump et le scénario du coup d’État

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“Analystes et commentateurs se sont récemment émus des limogeages, des nominations contestables mais aussi des démissions forcées intervenues au sein du ministère de la Défense et du secrétariat de l’Intérieur qui ont suivi le 3 novembre.

Les explications proposées par les médias pour justifier cette série de remaniements de dernière minute – hormis le remerciement de Christopher Krebs pour avoir, depuis son poste, considéré les élections comme « les plus sûres » de l’histoire des États-Unis –, tiendraient à la volonté de Donald Trump de mettre fin à la présence militaire américaine en Afghanistan, en Irak et en Somalie, malgré l’avis contraire et répété de l’état-major, et d’exercer une pression maximale sur l’Iran.

Les conditions potentielles d’un pronunciamiento

La Constitution des États-Unis fournit les conditions idéales d’un coup d’État militaire. Tous les pays qui ont répliqué son texte fondamental sont passés par la dictature : les « républiques-sœurs » d’Amérique latine, les Philippines, mais aussi la France de la IIᵉ République (1848-1852), dont la loi fondamentale reproduisait l’organisation de sa cousine d’outre-Atlantique. On sait comment le prince-président Louis-Napoléon Bonaparte obtint par référendum la présidence à vie, séduisit l’armée, emprisonna la majorité parlementaire royaliste et réprima dans le sang le soulèvement ouvrier et républicain (400 morts et 27 000 interpellations). Il transforma la Constitution républicaine en Empire par un simple senatus-consulte.

Outre la légitimité présidentielle tirée du suffrage universel, une particularité du système présidentiel américain procède de l’alliage, datant de 1787, entre des principes démocratiques et les ressorts profonds de la monarchie britannique, pourtant honnie : le discours sur l’État de l’Union reproduit le discours du trône et, surtout, la Constitution reprend la fonction royale de Commander in Chief – équivalent du Princeps imperator romain – qui fait du président des États-Unis, même le plus inculte dans l’art militaire, un vrai généralissime sans étoiles qui, comme le roi d’Angleterre, peut diriger directement les troupes.

George Washington passe les troupes en revue pendant la « Rébellion du Whisky » (attribué à Frederick Kemmelmeyer, 1795) © Metropolitan Museum of Art

Washington commande à cheval sa cavalerie contre les insurgés de la Whiskey Rebellion (1791-1794). Madison ordonne lui-même de tirer au canon contre la flotte britannique, lors de la seconde guerre d’indépendance (1814). De nos jours, le Chief Executive ordonne régulièrement frappes aériennes et exécutions extra-judiciaires. Rappelons les très nombreuses attaques par drones approuvées par Barack Obama.

Après la proclamation des États-Unis, les pouvoirs de guerre du président ont été décuplés. En 1798, lors de la « quasi-guerre » franco-américaine, le président John Adams fait passer la loi contre la « sédition » et les « étrangers » (Alien and Sedition Act). Il y gagne le droit d’expulser toute personne « dangereuse pour la paix et la sécurité des États-Unis ». Lors de la guerre civile, Lincoln permet par un simple executive order au général Scott de suspendre l’habeas corpus entre Philadelphie et Washington. Certains civils passent devant des juridictions militaires, sans droit de recours. Lincoln fait ensuite voter une loi générale qui lui donne le droit de suspendre l’habeas corpus, n’importe où pendant toute la rébellion.

Plus tard, sur la base de l’Espionage Act de 1917 – toujours en vigueur et en vertu duquel Edward Snowden a été inculpé –, Roosevelt signera seul l’executive order n° 9066 (février 1942), qui a permis l’internement sans recours de quelques 120 000 citoyens d’origine japonaise et 11 000 citoyens d’origine allemande, fraîchement naturalisés.

Par ailleurs, l’Insurrection Act voté en 1807 donne au président le droit de déployer l’armée sur tout le territoire des États-Unis pour mettre un terme aux incursions (indiennes à l’époque), aux troubles civils, à l’insurrection et à la rébellion.

Il a été invoqué une vingtaine de fois depuis lors, soit à la demande d’un gouverneur quand sa garde nationale ne suffisait pas à ramener l’ordre, soit à l’initiative directe du gouvernement fédéral. Au XXe siècle L’Insurrection Act a servi à réduire les émeutes racistes au Mississippi et dans l’Alabama en 1962-1963 et à contenir les émeutes raciales de Detroit en 1967, de Washington, Baltimore et Chicago en 1968 après la mort de Martin Luther King, et enfin de Los Angeles en 1992. Donald Trump a menacé de déployer l’armée, en juin 2020, face aux débordements qui ont suivi la mort de George Floyd.
Cedant Arma Togae

Pour l’instant, et jusqu’à preuve du contraire, aucune des lois d’exception américaines, si elles ont pu restreindre considérablement les libertés individuelles, n’a servi à un coup d’État d’origine présidentielle.

Tout d’abord, l’état-major a intériorisé, depuis le temps exemplaire de George Washington, l’antimilitarisme à la romaine des Pères fondateurs (Cedant Arma Togae, c’est-à-dire “les armes cèdent à la toge“), comme le montre une résolution du Congrès adoptée le 2 juin 1784 :

Les armées constituées en temps de paix sont incompatibles avec les principes de gouvernement républicain. Elles sont dangereuses pour les libertés d’un peuple libre. Elles sont généralement utilisées comme un appareil de destruction pour installer la dictature.

Ainsi, autant l’opinion et la classe politique américaines considèrent l’armée comme un acteur à part entière de la politique publique, autant elles ne lui octroient aucune primauté institutionnelle. Ce n’est pas une armée de métier qui a fondé la Nation américaine, mais bien celle des volontaires patriotes. Le refus, jusqu’en 1947, d’une vraie armée de terre permanente en temps de paix, et la phobie d’un « Grand état-major général » à la prussienne, totalement indépendant, tout-puissant et capable de décider d’une entrée en guerre, illustrent ce rejet d’un établissement militaire complètement institutionnalisé.

Comme la Constitution américaine a été pensée contre l’absolutisme royal et l’existence d’une armée à son seul service, l’activité militaire est soumise au double contrôle du Congrès et du président. Ainsi, en 1917-1918, Wilson imposera à Pershing la nécessité de conclure l’armistice de novembre. Fin 1950, Truman interdira à MacArthur de porter la guerre contre la Chine pendant le conflit coréen et le relèvera de ses fonctions en avril 1951. Le général devenu président Dwight Eisenhower a écarté le modèle du garrison state (l’État spartiate), qui aurait pu conduire à une économie de guerre permanente, dictée par le conflit est-ouest.

Outre le président, le Congrès américain surveille à la loupe les moindres modifications internes du Pentagone. L’état-major interarmées se voit très limité par le nombre total de ses officiers – quelques dizaines selon la loi de sécurité nationale de 1947 – tandis que la loi Goldwater-Nichols de 1986 lui enlève tout commandement opérationnel à l’exception du feu nucléaire, sous la responsabilité technique du général présidant l’état-major.

L’armée, rempart de la démocratie américaine

La dernière raison qui rend impossible l’utilisation de l’armée pour un éventuel coup d’État relève d’une loi universelle non écrite. Le sens profond et la destinée des régimes se jouent durant leur première décennie. La République américaine a pu naître grâce au sacrifice de ses patriotes, face à une armée coloniale implacable et dirigée par un souverain dominateur. Cette naissance garantit la passation de pouvoir au nom d’un peuple qui se gouverne librement. Dès le départ, ni Washington, ni Madison, ni même le bouillonnant général-président Andrew Jackson ne profitèrent de leurs extraordinaires ressources militaires pour imposer une lecture autoritaire de leur fonction. La loi martiale, édictée le cas échéant, s’évanouit une fois le danger passé. De facto et de jure, le caractère sacré de la volonté du peuple, volonté qui s’impose par le vote, l’a toujours emporté.

Un président souhaitant abuser de l’Insurrection Act pour établir un pouvoir arbitraire ou se maintenir à la Maison Blanche aurait même à faire face à l’Armée de cette Union qui n’est pas « son » armée. Lorsque Trump caressa l’idée d’utiliser les instruments de l’Insurrection Act pour mater les troubles de Portland, son secrétaire à la Défense, Mark Esper, et derrière lui tout le haut commandement, s’y opposa publiquement.

Donald Trump en novembre 2020 © Brendan Smialowski – AFP

En matière de prise de décision politico-militaire, il existe une liberté de parole considérable accordée aux généraux et aux subordonnés civils du secrétaire à la Défense. Ils doivent avoir leur propre opinion sur la politique de défense et ne pas hésiter à la donner. Cela s’explique par les principes de décentralisation et de subsidiarité qui régissent la gouvernance américaine. Enfin, le caractère comminatoire des convocations aux commissions du Congrès a habitué les officiers généraux à dévoiler le fond de leur pensée.

De façon générale, à travers l’histoire du pays, on ne peut que souligner le peu d’appétence des généraux américains, et pour la guerre, et pour le pouvoir autoritaire, encore plus lorsqu’ils deviennent présidents à la faveur des circonstances. C’est bien malgré lui qu’Ulysses S. Grant – qui avait obtenu le pouvoir d’intervention militaire en 1871, à travers le Third Enforcement Act, pour réduire les atrocités du Ku Klux Klan dans le Sud – se retrouva obligé de sécuriser les résultats de l’élection la plus controversée en 1876. Grant dut envoyer les forces armées en Louisiane, en Caroline et en Floride, où, pour le coup, des fraudes patentes et des obstructions électorales avaient faussé les résultats. La paix civile fut rétablie au prix d’une transaction funeste entre Républicains (finalement vainqueurs) et Démocrates : la Reconstruction (1865-1877) fut abandonnée dans le Sud.

Quand « Ike » Eisenhower employa à nouveau la force armée dans le Sud en 1956, ce fut pour forcer la déségrégation. Il ordonna à la Garde nationale partisane de l’Arkansas de regagner ses cantonnements et la remplaça par un régiment de la prestigieuse 101e Aéroportée, pour permettre à des élèves noirs d’accéder à une école de Little Rock. On est loin du jour où César imperator, consul et dictateur – fonctions temporaires – accepta du Sénat la dictature à vie, hors de toute règle républicaine.

Ainsi donc, la tentation dictatoriale d’un perdant mégalomane et mauvais joueur ne serait pas servie par les pouvoirs autorisés par les lois d’exception. Peut-être ce pays pourrait-il connaître un jour – comme d’autres – une dictature militaire, sous l’effet malheureux d’une implosion de son impérialisme informel et global. Mais ce temps paraît loin, très loin des hypothèses trumpiennes.”


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CLEESE : textes

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“Aux citoyens des États-Unis d’Amérique,

Etant donné votre incapacité à élire un président compétent et donc de vous gouverner, nous vous informons de la révocation de votre indépendance. Cette décision entre en vigueur aujourd’hui.
Sa Majesté la Reine Elisabeth II exerce son pouvoir monarchique sur tous les états, commonwealths et autres territoires, excepté l’Utah, qu’elle n’aime pas trop.
Votre nouveau Premier Ministre (Le Très Honorable Boris Johnson, Premier Ministre pour les 97,8% d’entre vous qui, jusqu’à présent, n’étaient pas au courant qu’il existait un monde au-delà de vos frontières) nommera un ministre de l’Amérique. Le Congrès et le Sénat seront dissous. Un questionnaire sera mis en circulation l’année prochaine pour déterminer si vous vous en serez rendus compte.
Afin de vous aider dans votre transition vers ce nouveau statut de colonie de la Monarchie Britannique, nous introduisons les règles suivantes, avec prise d’effet immédiat :
    1. Vérifiez le sens du mot “révocation” dans l’Oxford English Dictionary. Consultez le mot “aluminium” dans le guide de prononciation. Vous serez étonnés de découvrir à quel point vous le prononcez mal. La lettre “U” sera réinstaurée dans les mots tels que “favour” et “neighbour”. Vous apprendrez également à épeler le mot “doughnut” sans omettre la moitié de ses lettres. De manière générale, vous serez priés d’élever votre vocabulaire vers un niveau acceptable. Vérifiez le sens du mot “vocabulaire”. L’utilisation de vos sempiternels 27 mots de vocabulaire entrecoupés de bruits de remplissage tels que “like” et “you know” est inacceptable et constitue une forme de commmunication inefficace. Vérifiez le sens du mot “entrecoupés”. Il n’y aura plus de bips dans le Jerry Springer Show. Si vous n’êtes pas assez grands pour tolérer la vulgarité, vous n’avez qu’à ne pas avoir de talkshows.
    2. L'”anglais d’Amérique” n’existe pas. Nous le ferons savoir à Microsoft pour vous. Le correcteur d’orthographe de Microsoft sera ajusté de sorte à intégrer la lettre “U”.
    3. Vous êtes priés d’apprendre à distinguer les accents anglais et australien. Ce n’est vraiment pas compliqué. Les accents anglais ne se limitent pas au cockney, à l’upper-class péteux ou au mancunien (Daphne dans Frasier). Les séries écossaises telles que Taggart seront désormais diffusées sans sous-titres. Vous êtes priés d’apprendre qu’il n’y a en Angleterre aucun endroit qui s’appelle “Devonshire”. Le comté en question s’appelle “Devon”. Si vous persistez à l’appeler Devonshire, tous les Etats américains deviendront également des “shires”. Exemples : Texasshire, Floridashire, Louisianashire.
    4. Vous êtes priés de réapprendre votre hymne national originel, God Save The Queen, et ce seulement dès lors que vous aurez accompli les devoirs listés en 1.
    5. Vous êtes priés de cesser de jouer au “football” américain. Il n’existe qu’une seule sorte de football. Ce que vous appelez le “football” américain est un jeu pour le moins médiocre. Les 2,1% d’entre vous qui sont au courant qu’il existe un monde au-delà de vos frontières auront probablement remarqué que personne d’autre ne joue au football américain en dehors de vous. Vous serez priés de jouer au vrai football. Pour commencer, il serait préférable que vous jouiez avec les filles. Les plus courageux seront autorisés à jouer au rugby de temps à autres (un sport similaire au football américain, mais dans lequel on ne s’arrête pas toutes les deux secondes pour faire une pause, et où les joueurs ne portent pas une armure en kevlar comme des petites fiottes). Vous êtes priés de cesser de jouer au baseball. Il n’est pas raisonnable d’organiser des événements appelés “World Series” pour un jeu que personne ne joue en dehors des Etats-Unis. En lieu et place du baseball, vous serez autorisés à jouer à un jeu de filles qui s’appelle “rounders” et qui s’apparente au baseball, mais sans les maillots prout-prout, les gants démesurés, les cartes à collectionner et les hot dogs.
    6. Vous ne serez plus autorisés à posséder ou à transporter sur vous des armes, ni aucun objet plus dangereux qu’un épluche-légumes. Puisque vous n’êtes pas dotés d’une sensibilité suffisante pour manipuler des objets potentiellement dangereux, le port de l’épluche-légume nécessitera un permis.
    7. Le 4 juillet ne sera plus un jour férié. Le 2 novembre sera votre nouveau jour de fête nationale. On l’appellera “Le jour de l’indécision”.
    8. Toutes les voitures américaines seront bannies. Elles sont absolument merdiques, c’est pour votre bien. Quand on vous montrera les voitures allemandes, vous comprendrez ce qu’on veut dire. Toutes les intersections seront remplacées par des ronds-points et vous serez priés de rouler à gauche. Vous vous plierez également au système métrique. Les ronds-points et le système métrique vous aideront à comprendre l’humour anglais.
    9. Apprenez à faire de vraies frites. Ces choses que vous appelez “french fries” ne sont pas de vraies frites. Les frites ne sont pas françaises, elles sont belges, même si 97,8% d’entre vous (y compris le type qui a découvert les frites pendant un séjour en Europe) ne sont pas au courant de l’existence de la Belgique. Les chips de pommes de terre s’appellent “crisps”. Les vraies frites sont épaisses et frites dans de la graisse animale. L’accompagnement traditionnel des frites est la bière, qui se doit d’être servie tiède et sans bulles.
    10. Cette chose froide et insipide que vous appelez “bière” est de la blonde. Seule la véritable ambrée anglaise mérite le nom de “bière”. Les substances connues jusqu’ici sous le nom de “Bière Américaine” seront à présent qualfiées de “Pisse de Mouche Quasi-Congelée”, à l’exception des produits de la firme Budweiser qui porteront le nom de “Pisse Insipide de Mouche Quasi-Congelée”. Ceci permettra à la vraie Budweiser (fabriquée depuis au moins 1000 ans dans la ville de Pilsen, en République Tchèque) d’être commercialisée sans risque de confusion.
    11. Le prix de l’essence (ou “gasoline”, comme vous dites) des anciens Etats-Unis sera harmonisé avec celui du Royaume-Uni (plus ou moins 6$ le gallon, faites-vous une raison).
    12. Apprenez à résoudre vos problèmes personnels sans armes, avocats ou thérapeutes. Le fait que vous ayez besoin de tant d’avocats et de thérapeutes prouve bien que vous n’êtes pas encore assez adultes pour être indépendants. Si vous n’êtes pas assez adultes pour faire la part des choses sans poursuivre quelqu’un en justice ou sans parler à votre thérapeute, c’est que vous n’êtes pas assez adultes pour manipuler une arme à feu.
    13. S’il vous plait, dites-nous qui a tué JFK. Ça nous rend dingues.
    14. Les huissiers de la Reine seront très bientôt à vos côtés pour récolter les impôts que vous devez au Royaume (de manière rétroactive, jusqu’en l’an 1776).
Merci de votre coopération,”

Behind TIME’s Donald Trump ‘Welcome to America’ Cover

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Couverture du Time Magazine du 2 juillet 2018 (c) Time – John Moore – Getty Images

“John MOORE, a Pulitzer Prize-winning photographer for Getty Images, has been photographing immigrants crossing the U.S.-Mexico border for years. This week one of his pictures became the most visible symbol of the immigration debate in America.

This one was tough for me. As soon as it was over, they were put into a van. I had to stop and take deep breaths,” Moore told TIME Tuesday, describing his reaction to the scene of a two-year-old Honduran girl crying as her mother was being detained in McAllen, Texas. “All I wanted to do was pick her up. But I couldn’t.

(c) John Moore – Getty Images

Due to the power of the image, which appeared as critics from across the political spectrum attacked President Trump’s now-reversed policy of separating children from parents who are being detained for illegally entering the United States, TIME’s editors selected Moore’s photograph to create a photo illustration, including Trump, to make the July 2, 2018, cover of the magazine.”

Lire la suite de l’article de la rédaction de TIME.COM (article du 21 juin 2018)

John Moore

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Le Washington Post se dote d’un slogan fort : “La démocratie meurt dans l’obscurité”

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“Le quotidien de référence américain, qui n’avait pas de slogan jusqu’à présent, se pare d’une devise qui lui a sûrement été inspirée par les relations plus que conflictuelles entre la presse et ses contradicteurs.

Depuis quelques jours, le Washington Post a garni sa une et ses réseaux sociaux d’un slogan fort : “Democracy dies in darkness” [la démocratie meurt dans l’obscurité].

Le grand quotidien américain n’avait, jusqu’à présent, pas de devise accolée à son nom, qui, à lui seul, assurait la réputation du journal à l’origine des révélations du Watergate – pour ne citer qu’elles.

Selon Kris Coratti, sa porte-parole, cette expression n’est pas neuve au sein du journal : “C’est quelque chose que nous nous disons depuis longtemps en interne quand nous parlons de notre mission, explique-t-elle à CNN. Nous avons pensé que ce serait une déclaration efficace et concise pour dire qui nous sommes aux millions de lecteurs qui nous ont rejoint pour la première fois au cours de l’an passé.” En 2016, les abonnés ont effectivement augmenté de 75 %.

La devise tombe à point nommé puisque le jour de la révélation de ce slogan, Donald Trump a déclaré la presse comme “ennemie du peuple américain“. Une énième attaque dans un climat d’extrême tension entre le président et les médias de son pays.

Le Washington Post, créé en 1877, rejoint ainsi la longue liste des journaux qui mettent en avant une phrase censée représenter leurs valeurs. Comme le recense le site Open Writing, citons aussi le New York Times et son “All the News That’s Fit to Print” [Toutes les nouvelles qui méritent d’être imprimées], le modeste Chicago Tribune, “World’s Greatest Newspaper” [Le plus grand journal du monde], le Post de Zambie qui se définit comme “Le journal qui creuse plus profondément” ou le Sydney Daily Telegraph, qui clame être “Le journal que vous pouvez croire“. En France, Le Figaro a son “Sans la liberté de blâmer, il n’est point d’éloge flatteur“, Le Canard enchaîné rappelle que “La liberté de la presse ne s’use que quand on ne s’en sert pas“, le quotidien local Sud Ouest soutient que “Les faits sont sacrés, les commentaires sont libres“, ou, plus délirant, le site satirique Le Gorafi revendique “Toute l’information selon des sources contradictoires“… Une profession de foi presque plausible…”

Lire l’article original de Jérémie MAIRE sur TELERAMA.FR (article du 22 février 2017)


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