BLAVIER, André (1922-2001)

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[OBJECTIFPLUMES.BE] Né dans un milieu ouvrier, il accomplit des humanités modernes avant de se spécialiser dans la gestion des bibliothèques. Avec la guerre, il est déporté comme ouvrier en Allemagne et, à son retour (1942), il occupe une fonction de bibliothécaire à Verviers. Il s’éprend rapidement et accidentellement de l’oeuvre de Raymond Queneau (Chiendent et Les Enfants du Limon), avec lequel il entre en contact. André Blavier décide d’en faire la biographie… et écrit à Queneau. Les deux hommes se lient d’amitié. Entre eux, une véritable osmose s’installe. Après la mort de Queneau (1976), Blavier crée un Centre de documentation Raymond Queneau, à Verviers, et organise tous les deux ans un colloque international en son honneur. Écrivain, poète, co-fondateur, avec Jane Graverol, du groupe Temps-Mêlés (1952), il organise des conférences (Andrée Sodenkamp, les exposés de Blavier sur les fous littéraires), des expositions (Magritte en 1953, Maurice Pirenne…), du théâtre, du cinéma, de la musique (Froidebise). En décembre 1952, sort le premier numéro de la revue Temps Mêlés. Pataphysicien, André Blavier adhère au Collège de Pataphysique (1950) et crée la Fondation de l’Institut luxembourgeois des Hautes Etudes pataphysiques (1965). Il décède en 2001.


Bibliographie [MAISONDELAPOESIE.BE]

      • Les Fous littéraires, H. Veyrier, Paris, 1982 ;
      • Cinémas de quartier, suivi de La Cantilène de la Mal-baisée avec les remembrances du vieux barde idiot, et d’une Conclusion provisoire, Plein chant, Bassac, 1985 ;
      • Le mal du pays ou Les travaux for(ce)nés, Ed. Yellow Now, Liège, 1986 ;
      • Lettres croisées, 1949-1976 André Blavier, Raymond Queneau, correspondance présentée et annotée par Jean-Marie Klinkenberg, Labor, Bruxelles, 1988 ;
      • Occupe-toi d’homelies : fiction policière et éducative, préface de Jacques Bens, lecture de Claude Debon, Labor, Bruxelles 1991 ;
      • Un bibliographe au pays des fous, Choix de textes, entretien et postface de Rony Demaeseneer, Espace Nord, 2023.

Un Blavier, sinon rien !

[LE-CARNET-ET-LES-INSTANTS.NET] Le terme de “bibliographie” entre dans le Dictionnaire de l’Académie française aux environs de 1760, mais on considère généralement le savant Gabriel Naudé (1600-1653) comme le premier bibliographe français en tant que tel. Et comment définissait-on Naudé en son temps ? Par sa fonction de bibliothécaire (notamment pour Mazarin), sa haute érudition, ses qualités de lettré, et son inscription personnelle dans le mouvement des penseurs libertins. Lui-même rédigea une Bibliographia politica, réunissant un vaste corpus de références et de textes consacrés à la chose politique.

André Blavier (1922-2001) aimait à citer, au gré d’une conversation, cette “révérence” à Naudé, en qui il voyait un aïeul pas si lointain. Et, poursuivant dans la singulière logique académicienne du Collège de Pataphysique (celle de “la totale sérénité”), il pouvait exceptionnellement ne pas jeter au bac cette remarque d’un autre académicien, Jean d’Ormesson, à l’opposé pourtant de ses convictions : “Je suis de ceux qui pensent qu’un romancier, un écrivain, n’a pas de biographie, il a une bibliographie“. C’est entre ces deux bornes apparemment antithétiques, Naudé et d’Ormesson, que l’on peut situer l’œuvre encyclopédique d’André Blavier.

Lui qui ne se désignait pas comme écrivain (“à peine écrivaillon, écriveron”), qui ne s’abandonna au roman qu’une seule fois (Occupe-toi d’homélies, 1976, hommage à Queneau, réédité en Espace Nord en 1991), qui composa nombre de poèmes dont l’un, Le mal du pays (La Pierre d’Alun, 1983) rivalisait en longueur avec La chanson de Roland, n’a connu les trompettes de la renommée (modeste) qu’avec trois opus majeurs de l’édition : sa gigantesque encyclopédie Les fous littéraires (Veyrier, 1982, rééditée aux Éditions des Cendres en 2000), son ouvrage de recension des Écrits complets de René Magritte (indispensable référence, Flammarion, 1979, rééditions 2001 et 2016), et la revue internationale quoique verviétoise, temps mêlés (par son titre, et ses contenus, nouvel hommage à Queneau), branche de la Belgique sauvage, dont il fut en 1952 le fondateur avec la peintre surréaliste Jane Graverol.

Derrière ces massifs de sable titillant la voûte céleste quand on la regarde depuis Ostende, Blavier “bibliothécaire-bibliographe (et “-mane” et “-phage” et “-phile”)“, ainsi salué par son ami Pierre Ziegelmeyer (Éd. Plein Chant, 1985) a usé une bonne partie de son existence à triturer la langue, à décomposer, inventer, et recomposer lexiques divers et syntaxes, au fil d’une quantité d’articles, pré- et postfaces, contributions à des revues, notes et errata, qui en définitive ont constitué une galaxie littéraire difficilement réductible à des tiroirs (académiques) strictement clos. Aussi ne peut-on que se réjouir de voir paraître, sous la houlette d’un autre bibliothécaire de formation, Rony Demaeseneer, extrêmement au fait des règles bibliographiques, cette anthologie qui paraît chez Espace Nord, sous le titre avisé de Un bibliographe au pays des fous.

EAN 9782875685858

Les textes que l’on y lira s’échelonnent entre 1938 (un premier texte scolaire, bof, mais où s’énoncent déjà des tournures syntaxiques particulières), et 2001, une préface pour l’Ubu Dieu de Robert Florkin (son complice liégeois en Pataphysique), extrêmement allusive et dans le goût des hétéroclites qu’il portait à un degré extrême. Les écrits blaviériens, d’envergure, de taille et de thématique fort diversifiés, sont néanmoins répartis par Demaeseneer en plusieurs sections : les fous littéraires et apparentés ; l’aventure de la revue temps mêlés, ni surréaliste, ni dadaïste, ni lettriste, mais ouverte aux un.e.s et aux autres, et qui après 150 numéros et la mort de l’auteur du Chiendent se transforme en 1978 en temps mêlés-Documents Queneau ; Alfred Jarry et la ‘Pataphysique, incluant ses dimensions régionalistes avec la création de l’Institut Limbourgeois des Hautes Études Pataphysiques (1965) ; le surréalisme, Magritte, la peinture et quelques-unes de ses figures appréciées, comme le Verviétois Maurice Pirenne (frère de l’autre, historien belgicain vite bouté dehors) ; et un ensemble de textes divers, qui sont autant de coups de chapeau que, parfois, de coups de griffes.

Blavier réagit aux circonstances et créations littéraires qui pouvaient susciter de sa part une introduction, un commentaire, et surtout – caractéristique majeure de l’auteur comme de l’homme – des précisions et errata, rectifications, retours en arrière et nouveaux ajouts, qui se traduisaient systématiquement par la pratique absolument essentielle de la note de bas de page, elle-même parfois réajustée par une autre notule quelques pages plus loin. Il faut aborder cette anthologie – où n’apparaissent que peu l’Oulipo, ou la descente en flammes de Michel Foucault qui n’avait rien saisi au Ceci n’est pas une pipe de Magritte –, comme si l’on abordait par une autre face l’un de ces massifs déjà relevés. On y découvrira des textes qui, sur le 2e demi-siècle du 20e, balisent de manière inventive et subtilement subversive l’histoire culturelle de ces temps mêlés, par la plume d’un esprit encyclopédique comme il y en eut peu.

Alain Delaunois


[INFOS QUALITE] statut : validé | mode d’édition : partage, correction, édition et iconographie | source : objectifplumes.be ; maisondelapoesie.be ;  le-carnet-et-les-instants.net| contributeur : Patrick Thonart | crédits illustrations : © D.R. ; © Espace Nord.


Plus de littérature en Wallonie-Bruxelles…

STAS : Kermesse flamande I (2012, Artothèque, Lg)

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STAS André, Kermesse flamande I
(impression d’après collage, n.c., 2012)

Et pourquoi pas emprunter cette oeuvre gratuitement
à l’Artothèque Chiroux de la Province de Liège ?

André Stas © rtbf.be

André STAS (1949-2023)  est un représentant majeur du surréalisme wallon.  Maître de l’absurdisme, grand “jardinier du paradoxe”, pataphysicien notoire, il est un collagiste (autodidacte) internationalement reconnu doublé d’un redoutable humoriste. […] Il fait partie pendant plus de vingt ans de l’équipe du mythique Cirque Divers. André Stas a également animé le Musée d’Art Différencié (MAD), où il s’attache à mettre en valeur l’expression plastique de personnes souffrant de handicap mental. Stas est aussi écrivain (d’après Michel Delville, CULTURE.ULIEGE.BE).

“Tout commence par l’abracadabrantesque longue absence de gouvernement (Youpie !) et les agitations flamingantes. La première Kermesse m’ayant amusé, ainsi que tous ceux à qui je la montrai, j’en pondis deux autres dans la foulée. Mais ça fait longtemps que certains de mes collages sont des brûlots politiques ou antireligieux. A défaut de pouvoir les entarter […], il est salutaire de régler leur compte à certains grands de ce monde, une petite image tapant parfois plus juste qu’un long discours […].” (tiré de André Stas. Collages, Crisnée/Bruxelles, 2013)

[INFOS QUALITE] statut : actualisé | mode d’édition : compilation (droits cédés) et mise à jour par wallonica.org  | source : Artothèque Chiroux | commanditaire : Province de Liège – Culture | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : © André Stas ; rtbf.be | remerciements à Bénédicte Dochain et Frédéric Paques

BELANGER, Genesis (née en 1978)

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Dans ses installations, l’artiste américaine Genesis BELANGER convoque des objets étranges, choisis avec soin pour leur pouvoir symbolique se prêtant à une multiplicité d’interprétations. Des œuvres pop teintées de surréalisme.

Née en 1978 aux États-Unis, Genesis Belanger travaille désormais à Brooklyn (à Williamsburg exactement), dans son atelier – situé à cinq minutes de chez elle – du lundi au vendredi, de 10 à 19 heures, avec une régularité d’horloge. Tout juste quadragénaire, Genesis Belanger offrit un curieux spectacle, cette année [2019], à New York, au 231 Bowery, dans une vitrine jouxtant l’entrée du célèbre New Museum : entre janvier et avril, elle y présentait Holding Pattern, une installation visible depuis la rue. Derrière la vitre, les passants pouvaient contempler un bureau dont le tiroir ouvert livrait sans pudeur son contenu aux regards. Une tablette de chocolat entamée, une petite flasque (d’alcool ?), des bonbons, une brosse à dents et un tube de dentifrice… le tiroir révèle comme les premiers éléments d’un portrait – mais de qui ? Sur le bureau lui-même trônent un hamburger et un pot à crayons : les crayons semblent fondre, comme les doigts de la très grande main posée à côté, caressant une cigarette molle. Dans l’autre moitié de la vitrine, deux lampes sont posées sur une étrange table, à côté d’un sac à main d’où s’échappe, par une bien trop grosse fermeture Éclair, un gant – à moins qu’il ne s’agisse d’une main un peu molle…

Fixée au mur, une horloge nous conforte dans l’idée qu’il s’agit ici d’une insolite salle d’attente. Et c’est bien de cela que s’est inspirée l’artiste : de salles d’attente d’hôpital et d’aéroport des années 60, dans des tonalités nude. Les objets polysémiques de Genesis Belanger sont réalisés en porcelaine, en grès, en béton coulé, jamais vernis. Leur surface, mate, paraît poreuse et leurs couleurs, toujours atténuées, semblent être leur matière même. J’essaie toujours de créer des objets qui existent dans le présent, mais qui transportent un peu de leur passé avec eux, expliquait Genesis Belanger à Katy Donoghue du magazine Whitewall. Lorsque je les choisis, je songe à l’histoire dont ils sont imprégnés, et je sélectionne ceux dans lesquels se superposent plusieurs couches de symboles successives, comme la cigarette, par exemple. La cigarette est cette chose qui nous tue et qui simultanément nous fait nous sentir vivants. Historiquement, les femmes ne fumaient pas. Et puis les publicitaires – des hommes pour la plupart – établirent un lien entre le fait de fumer et l’émancipation des femmes, en imposant l’expression ‘flambeaux de la liberté’ pour désigner les cigarettes, avant d’en encaisser les bénéfices. Cela est révélateur du fonctionnement général du système. Nous pensons fonder nos actions sur nos propres décisions, mais en réalité, nous sommes manipulés.”

C’est une des singularités des sculptures de Genesis Belanger : elles sont difficiles à inscrire dans une époque précise, elles semblent contemporaines, mais portent en elles les strates sédimentées de passés successifs. Leur présence est spectaculaire, mais elles-mêmes ne le sont pas nécessairement. Est-ce parce qu’elles naissent après de longues recherches iconographiques ? Le travail de Mme Belanger repose en partie sur la manière dont il évoque l’histoire de l’art : le téléphone-homard de Salvador Dalí ; la tasse à thé recouverte de fourrure de Meret Oppenheim ; les sculptures molles de Claes Oldenburg ; les objets enveloppés dans du feutre de Man Ray, les œuvres d’Evelyne Axell, de Marisol, de Niki de Saint Phalle, de Tom Wesselmann, de Brian Calvin, d’Al Hansen et de nombreuses autres personnes utilisant le langage pop”, écrit Roberta Smith dans le New York Times.

Genesis Belanger © Steve Benisty

Au célèbre domaine viticole de la Romanée-Conti, en Bourgogne, où Genesis Belanger exposera l’été prochain [2020] et où je m’entretiens avec elle, l’artiste confie se sentir finalement plus concernée par le Bauhaus que par le surréalisme, expliquant que les objets surréalistes sont beaux parce qu’ils sont extraordinaires, tandis que les objets du Bauhaus sont beaux tout en étant ordinaires. De fait, ces oscillations subtiles reflètent les sinuosités du parcours de Genesis Belanger. Elle étudia à la Rhode Island School of Design et à la Cooper Union avant de passer un diplôme de fashion design à la School of the Art Institute de Chicago. Elle déménagea ensuite à New York et travailla cinq ans comme conceptrice  d’accessoires pour la publicité (pour Chanel, Tiffany & Co., Victoria’s Secret…), avant de reprendre des études au Hunter College de New York, où elle obtint son diplôme en 2009. La publicité, ce sont des gens brillants qui utilisent des langages visuels pour manipuler notre désir au service du capitalisme. Les jugements moraux mis à part, cela me fascine. La beauté n’est pas vide. Ça peut être un outil puissant”, confie-t-elle, et l’on comprend à demi-mots que ses œuvres et installations sont des pièges très sophistiqués qui se jouent de nos désirs, de nos goûts, et nous manipulent allègrement à leur tour.

Elle exposa en compagnie d’Emily Mae Smith (A Strange Relative, novembre-décembre 2018) dans la galerie new-yorkaise d’Emmanuel Perrotin, qui lui a aussi consacré cette année un mini stand à la FIAC. Si leurs ateliers sont installés sur le même palier du même building de Brooklyn, elles semblent surtout partager une approche décomplexée de l’art qui n’entend pas s’affranchir de l’histoire des arts ni la considérer comme un simple mood board. Belanger inflige à ses sculptures la même précision maniaque et la même ambition généalogique que celle que Smith impose à ses impeccables peintures. À cette réserve près : les terres cuites de Belanger, une fois livrées à la cuisson, échappent provisoirement à son contrôle, et le résultat la satisfait rarement – peu importe, elle recommence, ne se souciant pas des pièces qui cassent. Elle dispose en effet, dans son atelier, d’un petit cimetière pour œuvres brisées ou ratées, et parvient parfois à empêcher sa mère de les emporter chez elle. Elle dit garder de son enfance itinérante la force de ne s’attacher à rien, et de son parcours en zigzag entre les beaux-arts, la publicité et la mode, une certaine capacité à voir, au-delà de la matière, ce que les objets signifient secrètement. “Les objets peuvent être des substituts de nous-mêmes. À New York, on est jugé sur ses chaussures. Les hommes se jugent en fonction de leur montre ou de leurs boutons de costume. Des petits marqueurs statutaires qui font office de passeports au sein des classes sociales.”

d’après NUMERO.COM


[INFOS QUALITÉ] statut : actualisé | mode d’édition : partage, décommercialisation et correction par wallonica | commanditaire : wallonica.org | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : image en tête de l’article : Genesis Belanger, All Your Future Endeavors (2022) © Pauline Shapiro ;   © Steve Benisty.


Plus de sculpture en Wallonie-Bruxelles ?

BA, Omar (né en 1977)

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L’œuvre d’Omar Ba (1977, Sénégal) est caractérisée par sa nature énigmatique et sa grande intensité poétique. A rebours d’une narration didactique, il cherche à l’inverse à exprimer son subconscient et son interprétation symbolique du réel. L’artiste traite de thèmes comme le chaos, la destruction et la dictature, drapant son discours politique d’un voile de poésie grâce à un langage pictural qui lui est entièrement propre, à la fois féroce et délicat.

Omar Ba vit et travaille entre Dakar, Genève, Bruxelles, Paris et New-York. Partagé entre plusieurs continents, il développe une réflexion issue d’une hybridation permanente, loin des stéréotypes liés à ses racines africaines. Cette hybridation se retrouve également dans ses toiles où se côtoient touches organiques et couleurs flamboyantes, mixant les formes, les techniques et les textures (acrylique, gouache, crayon et même typex). Ba peint sur fond noir (sur carton ondulé ou sur toile), demandant ainsi au spectateur de s’adapter littéralement et métaphoriquement à l’obscurité.

(…) Son iconographie, à la fois engagée politiquement et socialement, mais aussi empreinte de mythologie personnelle, soulève des questions historiques et intemporelles, tout en rayonnant un message artistique résolument contemporain, que l’on peut retrouver tant chez des artistes proches du surréalisme que du symbolisme. Omar Ba dénonce de son pinceau le chaos du monde.

d’après FINE-ARTS-MUSEUM.BE


Omar Ba © contemporary-art.mirabaud.com

Quand on regarde les peintures d’Omar Ba, on peut se demander d’où il vient. Bien sûr, il y a des éléments qui rappellent l’Afrique, mais pas l’Afrique que l’on s’attend à voir. Et il y a tellement d’autres choses dans ces luxuriantes toiles grand format. On y voit des personnages, des animaux qui se confondent avec les décors floraux ou abstraits dont ils semblent l’émanation. Il y a du symbolisme, une dose de surréalisme, une forme de maniérisme dans l’approche picturale de l’artiste sénégalais, mais surtout un plaisir et un appétit de peindre.

Dans ces peintures qui adoptent le format vertical, on a toujours une figure centrale, humaine ou animale qui négocie sa présence avec l’univers qui l’entoure. Parfois, c’est le visage qui, gagné par la végétation, n’est plus qu’une forme laissée en jachère. Ailleurs, une étrange créature en écaille et fourrure se confond avec le tapis de fleurs constellé de micro-drapeaux.

Omar Ba est un artiste nomade (…). Un nomadisme qui n’affecte pas sa création, mais lui apporte une fluidité et une ubiquité dans le temps et dans l’espace.

Chaque parcelle de toile est cultivée avec amour. Il entretient son geste comme on entretient son jardin. Il laisse grandir ses couleurs et observe les accidents de pinceau lorsqu’ils créent une matière ou une texture inattendue. “Je ne détruis jamais rien. Si ça ne me plaît pas, je le laisse de côté et je reviendrai dessus dans une autre toile. J’ai toujours plusieurs peintures en chantier.”

Mythologie plus personnelle

Autant il aime mélanger les figures et les motifs, le fond et la forme, autant il aime laisser les outils, acrylique, crayon, huile, encre de Chine ou le stylo à bille se superposer sur la toile. Les couleurs lumineuses, des roses, des ocre et des verts se jouent de contrastes avec les couleurs plus sombres ou plus éteintes. L’amour du motif et sa répétition sont peut-être de lointains échos de ses débuts dans la peinture, où il privilégiait les représentations abstraites.

Si, dans ses précédentes séries, pouvait apparaître un commentaire politique ou social dans l’évocation d’un monde de violence et de conflit, hanté par la menace du chaos ou la figure du dictateur, cette série se concentre sur une mythologie plus personnelle habitée de personnages nés de la peinture.

L’univers d’Omar Ba est un multivers pictural où les êtres se transforment, changent de taille, interagissent avec leur environnement, les hommes, les fleurs et les animaux comme si l’artiste représentait en même temps tout ce qui se passe dans son esprit.

L’illusion qui donne son nom à l’exposition n’est pas celle que l’on croit, l’artiste fait référence implicitement aux mirages technologiques, politiques ou sociaux et par extension à tout ce qui vient de l’extérieur pour se tourner vers la richesse inépuisable de l’univers intérieur. Une personne riche d’elle-même est mieux à même d’affronter le monde extérieur. Plutôt créer son propre multivers que s’enfermer dans celui d’un autre. Et c’est ce qu’il pratique dans cette série de peintures qu’il voit comme un encouragement à la jeunesse de son pays, et d’ailleurs, à faire face à la complexité du monde en se méfiant des illusions d’où qu’elles viennent.

d’après MU-INTHECITY.COM


[INFOS QUALITÉ] statut : validé | mode d’édition : partage, décommercalisation et correction par wallonica | commanditaire : wallonica.org | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : © mu-inthecity.com ; © contemporary-art.mirabaud.com.


Plus d’arts visuels en Wallonie et à Bruxelles…

DJURIC, Miodrag dit DADO (1933-2010)

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Miodrag Djuric, connu sous le pseudonyme Dado, est né en 1933 au Monténégro, en Yougoslavie. Très jeune, il assiste aux violences et à la famine liées à la Seconde Guerre mondiale. En 1947, il intègre l’Ecole des Beaux-Arts de Herceg Novi. Ensuite, il étudie à celle de Belgrade. En 1956, ayant terminé ses études, il déménage à Paris. D’abord, il travaille en tant que peintre de bâtiments de chantiers. Toutefois, il continue à peindre et dessiner dans son temps libre. Il peint par exemple en 1957 l’huile sur toile Tête. Ensuite, il trouve son premier emploi artistique en tant qu’assistant dans l’atelier de lithographie de Gérard Patris. Ce travail lui permet d’acquérir des compétences en estampes, mais aussi de faire la connaissance de Jean Dubuffet, le premier théoricien de l’art brut.  Ce dernier le présente au marchand et galeriste Daniel Cordier, qui aide au développement de son art. En 1958, Cordier organise la première exposition personnelle de Dado, regroupant peintures et dessins.

Ses œuvres sont de style surréaliste, fantastique, ou encore peuvent appartenir à l’art brut. Ses peintures, souvent des huiles sur toile de très grandes tailles, sont très marquées par les horreurs du second conflit mondial. Il abandonne rapidement la recherche du détail pour laisser place à la démonstration de ces calamités. Ainsi, il conçoit des figures monstrueuses, macabres, et angoissées. Leurs âmes torturées dépeignent une forte violence, comme il est visible dans l’huile sur toile La Rebellion de Pancraisse de 1968. De plus, dans le but d’accentuer ce mal, il laisse entrevoir l’anatomie de certains personnages et les peint avec des couleurs vives. C’est le cas de l’huile sur toile Guerre civile au Monténégro de 1968. Le fond, aux tons neutres et aux couleurs paisibles, leur fait contraste. De fait, ceci donne lieu à des compositions dynamiques, puissantes, et aux nombreuses explosions de couleurs. Ses dessins, quant à eux, sont très détaillés. Il privilégie en premier lieu l’usage d’une technique unique, généralement en mine de plomb ou encre de Chine. Le Champ de Bataille dessiné en 1956 en est un exemple. En second lieu, il privilégie la conception de techniques mixtes regroupant la peinture, le dessin, et le collage. En effet, Dado aime découper ses dessins pour les coller sur ses peintures dans le but de leur donner plus de sens et de force. Tel est le cas de Boukoko, une encre de chine et un collage sur toile réalisé en 1975.

Détestant vivre en ville, Dado déménage près d’un vieux moulin à Hérouval au début des années 1960. En 1962, il commence à sculpter. Le style de ses sculptures est inédit : restant dans le registre des horreurs de la guerre, il réalise souvent des montages à l’aide d’ossements d’animaux. Toutefois, il continue de peindre. En 1964, il expose pour la dernière fois chez Cordier. Néanmoins, il n’arrête pas d’exposer ses œuvres. Au contraire, il fait la rencontre de nombreux artistes et galeristes lui permettant de présenter ses œuvres à l’international. Ensuite, à la recherche de nouvelles expressions artistiques, il explore les différentes techniques de l’estampe. En 1966, il conçoit sa première gravure. L’année suivante, il réalise de nombreuses lithographies, taille-douce, et eau-forte. Il travaille même dans plusieurs ateliers de gravures.

Durant les années 1970 et 1980, les œuvres de Dado continuent à être exposées dans le monde entier. Toujours à la recherche de nouvelles formes d’art, il se lance dans l’illustration de livres à partir du début des années 1980. Il illustre par exemple en 1985 Le Terrier de Franz Kafka.

Dans les années 1990, Dado découvre les peintures murales. Les plus célèbres sont celles peintes dans l’ambassade de la IVe Internationale à Montjavoult. De plus, il explore la céramique. Pour cet art, il s’inspire principalement d’études d’oiseaux. En outre, il réalise le décor de deux spectacles, en 1993 et en 1996. A partir de cette dernière année, il se plonge également dans les collages numériques. Toutes ces formes d’art sont aussi marquées par les horreurs de la Seconde Guerre.

Lors de la décennie suivante, il se concentre principalement sur la sculpture. Ainsi, il conçoit la plupart de ses volumes durant cette période. Ils connaissent un grand succès, comme en témoigne sa participation à la Biennale de Venise en 2009. Sa sculpture la plus connue reste Souliko, réalisée en 2008. Par ailleurs, il continue modestement l’illustration d’ouvrages tels que les Viscères polychromes de la peste brune de Jean-Marc Rouillan. De plus, il continue les collages numériques. En 2007, il fonde même un site internet, un “anti-musée virtuel”, dans lequel ils figurent. En 2010, il participe à l’Exposition universelle de Shanghai. La même année, Dado s’éteint à l’âge de 77 ans.

Aujourd’hui ses œuvres sont conservées dans de grands musées du monde entier, tels que le Centre Pompidou à Paris, le Stedelijk Museum à Amsterdam, ou encore le Musée Guggenheim à New York.

d’après EXPERTISEZ.COM


Dado © expertisez.com

Le peintre et sculpteur Dado est mort, le 27 novembre [2010], à l’âge de 77 ans, à Montjavoult (Oise), dans son moulin sis dans le hameau d’Hérouval. Dado était l’un des derniers artistes vivants dont l’oeuvre est marquée par le surréalisme.

Né le 4 octobre 1933 à Cetinje (Monténégro) dans ce qui est alors la Yougoslavie, Miodrag Djuric, dit Dado, est recueilli en 1944, après la mort de sa mère, par un oncle peintre qui habite Ljubljana (Slovénie). Après des études à l’Ecole des beaux-arts de Herceg Novi (Monténégro), puis à l’Académie des beaux-arts de Belgrade, le jeune artiste cède en 1956 à l’appel de Paris. Il y rencontre Jean Dubuffet et Roberto Matta. Sa peinture attire vite l’attention de tous ceux qui, dans la mouvance du surréalisme, espèrent de l’art visions et sensations troublantes. Elle joue alors de l’ambiguïté entre l’organique et le minéral, la chair et la terre, le corps et le paysage. Des êtres hybrides paraissent surgir de l’écorce des pierres. En 1958, une première exposition la fait connaître dans la galerie de Daniel Cordier, qui accueille l’année suivante l’ultime Exposition internationale du surréalisme à Paris. Grâce à elle, Dado achète le moulin d’Hérouval.

Son plus proche ami est alors Bernard Réquichot, autre artiste des métamorphoses corporelles. Un peu plus tard, il se lie avec Hans Bellmer et sa compagne Unica Zürn, figures majeures du surréalisme. Et c’est un autre proche du mouvement, le poète Georges Limbour, qui définit sa peinture en 1960 :

Tout ce qui compose le monde de Dado, les bébés précoces, les vieillards prématurés et les pierres, tout se fendille. S’il y a des murs ou des monuments, ils s’effritent, tombent en ruines. D’ailleurs, maintes créatures roses ou rougeâtres, parfois blanchâtres, paraissent faites de terre cuite ou d’argile sèche, donc susceptibles de se fendiller ou d’éclater. Elles souffrent d’une soif mortelle dans un pays déserté par l’eau, ravagé par la dessiccation.

d’après LEMONDE.FR


THIRY, Georges (1903-1994)

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René Magritte par Georges Thiry en 1958 © Tous droits réservés

Georges THIRY (1903 à Welkenraedt – 1994 à Ethe-Virton) est un photographe liégeois autodidacte, grand ami des surréalistes et ayant fait l’objet en 2001 d’une rétrospective au Musée de la Photographie à Charleroi. Georges Thiry a réalisé entre autres des photos de ses confidentes et amies prostituées. Ces magnifiques images en noir et blanc, où l’humour et la tendresse sont constamment présents, confèrent aux portraits une exceptionnelle dimension d’humanité…


Le Musée de la Photographie, Centre d’art contemporain de la Fédération Wallonie-Bruxelles à Charleroi, a été inauguré en 1987 dans l’ancien carmel de Mont-sur-Marchienne. Il est le plus vaste et un des plus importants musées de la photographie en Europe (6.000 m²), avec une collection de 80.000 photographies dont plus de 800 en exposition permanente et la conservation de 3 millions de négatifs.


Bruxelles vers 1950 © Fonds Georges Thiry

“Ami des Surréalistes belges, il aimait les artistes en général et les prostituées en particulier. Les portraits qu’il a fait des premiers, les notoriétés comme René Magritte, Paul Nougé, Christian Dotremont ou Louis Scutenaire, ont certainement contribué à sa reconnaissance. Quant aux secondes, les belles inconnues, les filles de joie, elles sont restées dans l’ombre discrète des savants contre-jour qu’il affectionnait.

Illustres ou non, tous ses modèles bénéficiaient du même traitement : il les photographiait de préférence chez eux, à leur aise dans leur décor familier. Pour les prostituées, ce dernier se confond souvent avec le lieu de travail, généralement une chambre où elles posent sans artifice, fumant une cigarette, réajustant un bas… Parfois, elles se prêtent au jeu d’une petite saynète improvisée dans l’arrière-cour : Finette en peignoir, Finette lisant un livre, Finette montrant ses fesses

Dans l’histoire de la photographie, ils ne sont pas si nombreux à avoir franchi le seuil des maisons closes avec un appareil photo. On connaît, au XIXe siècle, quelques images d’Eugène Atget, un reportage sur les maisons closes d’Albert Brichaut, les séries photographiques de Bellocq à Storyville, puis quelques années plus tard, les facéties érotiques de Monsieur X, les filles de la nuit de Brassaï, enfin les travaux de Jane Evelyn Atwood ou de Christer Stromholm. Une poignée de photographes pour une poignée d’images… sans compter toutes ces photographies anonymes prises dans le secret des alcôves que nous ne connaîtrons jamais.

Georges Thiry fait donc partie de ces rares initiés qui ont su gagner la confiance des prostituées. Il était le client photographe, suffisamment ami de ces dames pour qu’elles s’offrent à l’objectif sans minauder, ni jouer les prostituées. D’ailleurs, il ne les photographiait pas pour ce qu’elles avaient à vendre, le sexe, mais pour ce qu’elles étaient réellement, au-delà des étiquettes, saisissant des moments rares d’abandon comme cette femme en contre-jour, fumant une cigarette devant la fenêtre, le regard perdu… C’est cette confiance établie entre le photographe et ses modèles, cette sincérité de part et d’autre, cette impression, souvent, de bonne humeur partagée qui font le prix de ces images dénuées de voyeurisme.

© Yellow Now

A ce titre, le fonds Georges Thiry (ces quelques centaines de négatifs retrouvés par la galerie Lumière des roses et cet autre millier de négatifs déposé au Musée de la Photographie de Charleroi) est un ensemble exceptionnel.

De la photographie, Georges Thiry disait simplement : « Voilà ma petite passion ». Des filles qu’il fréquentait, des portraits tendres et superbes qu’il faisait d’elles, il aurait pu dire de même.”

d’après ARTLIMITED.NET


ISBN 9782873401542

Emmanuel d’Autreppe, André Stas et Marc Vausort, Georges Thiry (1904-1994). La photographie et autres petites passions (Yellow Now  / Musée de la Photographie de Charleroi, 2001) : “Georges Thiry apparaît comme un phénomène dans le monde de la photographie en Belgique; un cas à part, hors norme. Première rétrospective de son oeuvre, l’exposition présentée [en 2001] au Musée propose un choix de près de 400 photographies. Une véritable redécouverte, car pour la première fois tous les aspects de son travail photographique seront exposés. Il y a des portraits d’artistes ou écrivains: Broodthaers, Magritte, Dotremont, Mariën, Bellmer, Tzara ou Ponge et de prostituées ou de gens de la rue…”


[INFOS QUALITE] statut : validé | mode d’édition : compilation, correction et iconographie | sources : artnet.net | commanditaire : wallonica.org | contributeur : Patrick Thonart  | crédits illustrations : © Fonds Georges Thiry | Remerciements à Eric Dederen.


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UBAC : La Nébuleuse (1939)

Temps de lecture : 2 minutes >

(c) Adam Rzepka – Centre Pompidou

UBAC Raoul (1910-1985), La Nébuleuse (1939)

  • épreuve gélatino-argentique (40 x 28,3 cm) conservée au Centre Pompidou de Paris (FR) ;
  • inscriptions : Titre et date au revers : “La nébuleuse – brûlage 1939”
  • don de l’artiste, 1976
  • numéro d’inventaire : AM 1976-322

Lire la fiche de l’oeuvre sur  CENTREPOMPIDOU.FR

LESMUSEESDELIEGE.BE ont édité un dossier pédagogique pour découvrir l’oeuvre de Raoul UBAC, à télécharger ici :

“Raoul UBAC, de son vrai nom Rudolf Gustav Maria Ernst Ubac, est né en 1910 à Cologne (DE) où il vit durant sa prime enfance. En 1914, sa famille s’installe à Malmedy (Hautes-Fagnes, BE) où son père vient d’être nommé juge de paix. Durant sa scolarité à l’Athénée de Malmedy, Raoul Ubac envisage son avenir en tant qu’agent des eaux et forêts (garde forestier). Raoul Ubac se sent proche de la nature. Entre 1927 et 1930, il entreprend de nombreux voyages pédestres en Europe. Mais lorsqu’il découvre, grâce à un professeur, le Manifeste du Surréalisme d’André Breton, il change ses ambitions et s’inscrit dès 1930 en faculté de lettres à la Sorbonne (Paris, FR). Il rencontre dans la capitale française le groupe des artistes surréalistes et fréquente le quartier de Montparnasse. Lors d’un de ses voyages en Dalmatie (région de Croatie), Ubac assemble des pierres trouvées et les photographie. Ce premier acte artistique marque le début de sa carrière. A son retour, il s’inscrit à l’École d’Arts Appliqués de Cologne pour y apprendre le dessin et la photographie. Il expérimente de nouvelles techniques photographiques et expose pour la première fois le résultat de ses recherches à Paris, en 1933. Jusqu’à la fin de cette décennie, Ubac va s’impliquer dans le groupe surréaliste ; ses photographies sont publiées dans la revue surréaliste « Minotaure » et il participe à l’exposition internationale du surréalisme en 1938. Durant le second conflit mondial, Ubac se réfugie à Carcassonne située en « zone libre » française. Il s’éloigne peu à peu du mouvement surréaliste et réalise de nombreux dessins dits Les objets les plus simples. Ces travaux montrent des natures mortes de pain, couteaux, fruits. Mais l’événement qui marquera un tournant décisif dans l’œuvre de Raoul Ubac, c’est son voyage en Haute-Savoie en 1946. Il y ramasse une ardoise et entreprend de la graver avec un clou. Cet événement qui pourrait être anecdotique, va pourtant déterminer le reste de sa carrière puisque c’est suite à cette nouvelle rencontre avec la nature qu’Ubac se lance dans le travail de taille d’ardoise qu’il poursuivra jusqu’à la fin de sa vie. Durant la même période d’après-guerre, l’artiste se lance aussi dans des recherches sur la forme et la couleur. Peu à peu son travail tend vers le non-figuratif, vers l’art informel. Fin des années 1950, il quitte Paris et s’installe à Dieudonné (dans l’Oise, France) où il travaillera jusqu’à la fin de ses jours en 1985. Engagé à 100% dans son travail, sa manière se simplifie de plus en plus. Parfois proche des Arts primitifs, cet artiste méditatif a parfois été rapproché du mouvement CoBrA (il participe en 1951 à l’exposition CoBrA de Liège) […]”

Le musée de La Boverie de Liège (LABOVERIE.COM) a organisé une rétrospective Raoul UBAC en 2017 ; wallonica.org y était…


Contempler encore…

PEALE : Venus Rising from the Sea – After the Bath (a Deception) (1822)

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PEALE : Vénus naissant de la mer – Après le bain (tromperie) (1822)

PEALE Raphaelle (1774-1825, US) : Venus Rising from the Sea – After the Bath (A Deception) (1822) | The Nelson-Atkins Museum of Art (Kansas City, US)

“L’obscurité du titre comme voile : la Vénus de R. Peale

Le titre du tableau de Raphaelle Peale de 1822, Venus Rising from the Sea – After the Bath (A Deception), pose l’obscur de l’illusion, au sens de ce qui ne se voit pas bien mais est quand même deviné, de ce qui se laisse voir à demi, est donc dans un entre-deux du visible, un entre-deux du sens aussi. Le sujet est rejeté dans l’obscurité. Ce qui est porté en avant, dans la lumière, est un voile vierge de toute trace qui connote l’énigme, le sens obscur. Ce tableau est d’abord le repeint d’une oeuvre de James Barry de 1772, intitulée Venus Rising from the Sea. Raphaelle Peale, peintre américain, prénommé d’après son célèbre prédécesseur, par son peintre de père Charles Wilson Peale, est donc l’auteur d’une Vénus anadyomène. Venus Rising from the Sea – After the Bath (A Deception) resitue le tableau dans l’histoire de la peinture occidentale, en particulier celle de la Renaissance italienne, dont le paradigme est la Naissance de Vénus de Botticelli, après “la mythique [et] l’inexistante Aphrodite anadyomène du peintre grec Apelle”.

Ici, l’on voit : un linge épinglé en deux endroits sur un ruban brillant qui pend en son milieu laissant apparaître un bras nu saisissant une chevelure retombant en cascade qui prend la forme d’une main semblant rejoindre la première au-dessus de la tête, formant ce que Barthes appelle l’idéogramme des “bras levés du Désir”. En bas, un pied écrase des fleurs en couronne. Un fond obscur laisse deviner la nature derrière le sujet féminin et sert d’arrière-plan. Les plis du linge sont fortement sculptés par la lumière, en trompe-l’œil. Question de proportions, de dimensions, oscillation entre deux moments du voir : si l’on considère que le linge, comme la musca depicta, “témoin” de trompe-l’œil, est posé sur l’espace du tableau il est alors grand comme un mouchoir. Inscrit dans l’espace représenté, il serait de la taille d’un drap. Problème d’échelle, ce que Louis Marin à propos du vase de Filippo Lippi appelle le lieu de “l’échange invisible entre le regard du spectateur et le tableau” et qui, justement ici, scelle l’entrée “de ce regard dans le tableau”.

L’oeuvre de Peale laisse dans l’ombre le tableau éponyme de James Barry, dans lequel Vénus coiffe ses cheveux, le corps entouré de volutes de nuées. De Vénus sortant de la mer, ne reste qu’un substitut domestique : la serviette de bain qui a servi à essuyer le corps ? Ce linge qui sert à dissimuler Vénus-en-tableau joue le rôle de rideau blanc. Or, les tableaux, autrefois, étaient souvent protégés d’une étoffe, coutume dont Lacan lui-même usera pour L’origine du monde.

La femme de Peale, jalouse, aurait voulu, comme Zeuxis devant le tableau de son rival Parrhasios, soulever le voile pour voir se qui se cachait derrière. D’où l’un des sens de “A Deception”, une duperie, un tour joué à une épouse. La nudité doit être voilée, on l’aura compris, même s’il s’agit d’un tableau, surtout s’il s’agit d’un tableau ? lorsqu’il montre qu’il en cache un autre sous une toile, qu’il s’agit d’une re-peinture de sujets en palimpseste, de couche de tableaux. Bien sûr, ce n’est pas l’oeuvre de Barry que le voile recouvre mais de la toile vierge. L’original est en sûreté dans un musée. Mais le tableau de Barry réapparaît obscurément sous le voile peint en trompe-l’œil, oubliant que “ceci n’est pas une toile” justement.

Après le tiret qui suit la référence mythologique, “A Deception”, annonce donc un leurre. Entre “refuser à voir” et “donner à voir”, on n’y voit rien, pour parler comme D. Arasse. Et l’on se souvient de la phrase de St Augustin : “Et voici la grande énigme : que nous ne voyons pas ce que nous ne pouvons pas ne pas voir”. Ensuite, (After the Bath), cadré entre-parenthèses, semble poser un joker, dans l’énonciation du prosaïque. Troisième titre, mais titre premier si l’on considère qu’il est le juste titre, celui qui fut donné par Peale pour seconder celui de l’oeuvre de Barry, lui-même citation ad infinitum, (After the Bath) est aussitôt recouvert du voile de la duperie, et de la déflation énigmatique du bathos du bain/bath.

C’est qu’il s’agit ici de “détruire (et célébrer) la peinture” en la dérobant au regard sous le linge fraîchement déplié, avec rayures rouges à l’ourlet comme il se doit et dans le coin inférieur droit le nom du peintre, un nom en forme d’écho, comme dans une broderie, noire sur blanc qui rajoute au nom la date 1822-1823 et pinxit, affirmation de la paternité de l’oeuvre, déclaration orgueilleuse et obscure du peintre… sur un coin de torchon.

Mais encore, si l’on poursuit, la “femme au bain” est un genre de peinture. Titillé par le montrer-cacher, le spectateur, ici, voudrait voir ce que les plis du linge maintiennent dans l’obscurité. Le titre nous prévient “After the Bath“, la femme n’est plus au bain mais elle se rhabille, Venus pudica, elle est dissimulée aux yeux des autres. Jeu avec le genre pictural, citation et refus devant l’obstacle, on est dans l’après/l’apprêt du linge, celui du bain, celui du tableau de Barry. Le corps de la femme reste à “inventer” sous l’opacité. Il y a de la monstration dans ce tableau et de la monstruosité, celle qui dans le même mouvement consiste à montrer tout en cachant, contrairement au voile de Phryné qui sert à dévoiler la vérité lorsqu’elle est au-delà du langage, lorsque l’éloquence est en panne. Histoire aussi de dénoncer le puritanisme des contemporains.

La Naissance de Vénus c’est l’histoire d’une double incarnation, incarnation de celle qui ne naît pas du corps d’une mortelle mais de l’aphros, incarnation de la peinture, par la peinture, du désir comme jaillissement. Mais cette double incarnation est finalement suggérée et refusée par le déni du voile et du titre.”

Ce commentaire est extrait de LOUVEL Liliane, Le tiers pictural (Rennes, Presses universitaires, 2016) : “Cet ouvrage part d’un constat : celui de la longue inféodation de l’image au texte, au langage, dont on a évoqué l’impérialisme, la tentation dominatrice en termes de genres. Il s’agira dans un premier temps de voir en quels termes la poésie a pris langue avec la peinture et, plus largement, avec l’image, de faire le point sur ce rapport bien particulier entre langage et image et d’observer les modalités de ce que l’on nommera « la transposition intermédiale ». La question de leur commune mesure, en termes de commensuratio, devrait permettre de peser les choses, de poser les termes d’une transaction à l’œuvre dans l’économie du visible en texte. Il s’agira ensuite de revenir à l’ut pictura poesis puisque la formule a souvent été renversée et comprise comme « la peinture comme la poésie », autorisant toutes les « lecture de l’image ». En suivant une méthode critique reposant sur des analyses de textes, on verra en quoi l’outil pictural permet de rendre compte du texte littéraire. Ce qui peut-être est nouveau ici, dans cette « idée de recherche » ainsi que Barthes la formule, c’est d’essayer de rassembler en un faisceau critique ces pratiques, en une « Poétique du pictural », en une « Poétique du texte/image ». Les notions techniques propres au medium et à son histoire : perspective, cadres, cadrages, couleur, effets d’anamorphose, Véronique, nature morte, portrait, figure, illusion, dispositifs, genres et styles…, peuvent faire système et constituer un outil opératoire pour ouvrir « l’œil du texte ». La lecture picturale comporte une part de synesthésie et l’aboutissement de ces études devrait être de redonner au corps son rôle dans ce que l’on peut appeler à la suite de Louis Marin, un « événement de lecture ». L’approche sensible a ses résonances propres et l’œil, parfois, voit double. On nommera alors « tiers pictural » ce phénomène que l’on peut appréhender en termes d’événement et d’affect, pas seulement de concept. Que fait l’image en texte, l’image au texte, au lecteur ? En posant une pragmatique de l’image en texte, du visuel en texte, du texte/image donc, on verra comment se manifeste l’image suggérée par un texte dans le corps du lecteur « on his mind’s eye », sur son écran interne. Peut-on parler de « double exposure », de double vision/double regard, ou plus justement d’oscillation et de « tiers pictural » ? Toutes questions qui devraient permettre de faire avancer cette nouvelle branche de la critique dite intermédiale.

Savoir en contempler d’autres encore…