BLAVIER, André (1922-2001)

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[OBJECTIFPLUMES.BE] Né dans un milieu ouvrier, il accomplit des humanités modernes avant de se spécialiser dans la gestion des bibliothèques. Avec la guerre, il est déporté comme ouvrier en Allemagne et, à son retour (1942), il occupe une fonction de bibliothécaire à Verviers. Il s’éprend rapidement et accidentellement de l’oeuvre de Raymond Queneau (Chiendent et Les Enfants du Limon), avec lequel il entre en contact. André Blavier décide d’en faire la biographie… et écrit à Queneau. Les deux hommes se lient d’amitié. Entre eux, une véritable osmose s’installe. Après la mort de Queneau (1976), Blavier crée un Centre de documentation Raymond Queneau, à Verviers, et organise tous les deux ans un colloque international en son honneur. Écrivain, poète, co-fondateur, avec Jane Graverol, du groupe Temps-Mêlés (1952), il organise des conférences (Andrée Sodenkamp, les exposés de Blavier sur les fous littéraires), des expositions (Magritte en 1953, Maurice Pirenne…), du théâtre, du cinéma, de la musique (Froidebise). En décembre 1952, sort le premier numéro de la revue Temps Mêlés. Pataphysicien, André Blavier adhère au Collège de Pataphysique (1950) et crée la Fondation de l’Institut luxembourgeois des Hautes Etudes pataphysiques (1965). Il décède en 2001.


Bibliographie [MAISONDELAPOESIE.BE]

      • Les Fous littéraires, H. Veyrier, Paris, 1982 ;
      • Cinémas de quartier, suivi de La Cantilène de la Mal-baisée avec les remembrances du vieux barde idiot, et d’une Conclusion provisoire, Plein chant, Bassac, 1985 ;
      • Le mal du pays ou Les travaux for(ce)nés, Ed. Yellow Now, Liège, 1986 ;
      • Lettres croisées, 1949-1976 André Blavier, Raymond Queneau, correspondance présentée et annotée par Jean-Marie Klinkenberg, Labor, Bruxelles, 1988 ;
      • Occupe-toi d’homelies : fiction policière et éducative, préface de Jacques Bens, lecture de Claude Debon, Labor, Bruxelles 1991 ;
      • Un bibliographe au pays des fous, Choix de textes, entretien et postface de Rony Demaeseneer, Espace Nord, 2023.

Un Blavier, sinon rien !

[LE-CARNET-ET-LES-INSTANTS.NET] Le terme de “bibliographie” entre dans le Dictionnaire de l’Académie française aux environs de 1760, mais on considère généralement le savant Gabriel Naudé (1600-1653) comme le premier bibliographe français en tant que tel. Et comment définissait-on Naudé en son temps ? Par sa fonction de bibliothécaire (notamment pour Mazarin), sa haute érudition, ses qualités de lettré, et son inscription personnelle dans le mouvement des penseurs libertins. Lui-même rédigea une Bibliographia politica, réunissant un vaste corpus de références et de textes consacrés à la chose politique.

André Blavier (1922-2001) aimait à citer, au gré d’une conversation, cette “révérence” à Naudé, en qui il voyait un aïeul pas si lointain. Et, poursuivant dans la singulière logique académicienne du Collège de Pataphysique (celle de “la totale sérénité”), il pouvait exceptionnellement ne pas jeter au bac cette remarque d’un autre académicien, Jean d’Ormesson, à l’opposé pourtant de ses convictions : “Je suis de ceux qui pensent qu’un romancier, un écrivain, n’a pas de biographie, il a une bibliographie“. C’est entre ces deux bornes apparemment antithétiques, Naudé et d’Ormesson, que l’on peut situer l’œuvre encyclopédique d’André Blavier.

Lui qui ne se désignait pas comme écrivain (“à peine écrivaillon, écriveron”), qui ne s’abandonna au roman qu’une seule fois (Occupe-toi d’homélies, 1976, hommage à Queneau, réédité en Espace Nord en 1991), qui composa nombre de poèmes dont l’un, Le mal du pays (La Pierre d’Alun, 1983) rivalisait en longueur avec La chanson de Roland, n’a connu les trompettes de la renommée (modeste) qu’avec trois opus majeurs de l’édition : sa gigantesque encyclopédie Les fous littéraires (Veyrier, 1982, rééditée aux Éditions des Cendres en 2000), son ouvrage de recension des Écrits complets de René Magritte (indispensable référence, Flammarion, 1979, rééditions 2001 et 2016), et la revue internationale quoique verviétoise, temps mêlés (par son titre, et ses contenus, nouvel hommage à Queneau), branche de la Belgique sauvage, dont il fut en 1952 le fondateur avec la peintre surréaliste Jane Graverol.

Derrière ces massifs de sable titillant la voûte céleste quand on la regarde depuis Ostende, Blavier “bibliothécaire-bibliographe (et “-mane” et “-phage” et “-phile”)“, ainsi salué par son ami Pierre Ziegelmeyer (Éd. Plein Chant, 1985) a usé une bonne partie de son existence à triturer la langue, à décomposer, inventer, et recomposer lexiques divers et syntaxes, au fil d’une quantité d’articles, pré- et postfaces, contributions à des revues, notes et errata, qui en définitive ont constitué une galaxie littéraire difficilement réductible à des tiroirs (académiques) strictement clos. Aussi ne peut-on que se réjouir de voir paraître, sous la houlette d’un autre bibliothécaire de formation, Rony Demaeseneer, extrêmement au fait des règles bibliographiques, cette anthologie qui paraît chez Espace Nord, sous le titre avisé de Un bibliographe au pays des fous.

EAN 9782875685858

Les textes que l’on y lira s’échelonnent entre 1938 (un premier texte scolaire, bof, mais où s’énoncent déjà des tournures syntaxiques particulières), et 2001, une préface pour l’Ubu Dieu de Robert Florkin (son complice liégeois en Pataphysique), extrêmement allusive et dans le goût des hétéroclites qu’il portait à un degré extrême. Les écrits blaviériens, d’envergure, de taille et de thématique fort diversifiés, sont néanmoins répartis par Demaeseneer en plusieurs sections : les fous littéraires et apparentés ; l’aventure de la revue temps mêlés, ni surréaliste, ni dadaïste, ni lettriste, mais ouverte aux un.e.s et aux autres, et qui après 150 numéros et la mort de l’auteur du Chiendent se transforme en 1978 en temps mêlés-Documents Queneau ; Alfred Jarry et la ‘Pataphysique, incluant ses dimensions régionalistes avec la création de l’Institut Limbourgeois des Hautes Études Pataphysiques (1965) ; le surréalisme, Magritte, la peinture et quelques-unes de ses figures appréciées, comme le Verviétois Maurice Pirenne (frère de l’autre, historien belgicain vite bouté dehors) ; et un ensemble de textes divers, qui sont autant de coups de chapeau que, parfois, de coups de griffes.

Blavier réagit aux circonstances et créations littéraires qui pouvaient susciter de sa part une introduction, un commentaire, et surtout – caractéristique majeure de l’auteur comme de l’homme – des précisions et errata, rectifications, retours en arrière et nouveaux ajouts, qui se traduisaient systématiquement par la pratique absolument essentielle de la note de bas de page, elle-même parfois réajustée par une autre notule quelques pages plus loin. Il faut aborder cette anthologie – où n’apparaissent que peu l’Oulipo, ou la descente en flammes de Michel Foucault qui n’avait rien saisi au Ceci n’est pas une pipe de Magritte –, comme si l’on abordait par une autre face l’un de ces massifs déjà relevés. On y découvrira des textes qui, sur le 2e demi-siècle du 20e, balisent de manière inventive et subtilement subversive l’histoire culturelle de ces temps mêlés, par la plume d’un esprit encyclopédique comme il y en eut peu.

Alain Delaunois


[INFOS QUALITE] statut : validé | mode d’édition : partage, correction, édition et iconographie | source : objectifplumes.be ; maisondelapoesie.be ;  le-carnet-et-les-instants.net| contributeur : Patrick Thonart | crédits illustrations : © D.R. ; © Espace Nord.


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Clémentine Mélois, l’artiste qui a épilé “l’Origine du monde”

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“Connue pour ses pastiches de couvertures de livres, Clémentine MELOIS expose ses œuvres ingénieuses dans une galerie parisienne. Rencontre.

Clémentine Mélois est à la recherche d’un socle. Quelque chose qui ne serait ni trop haut, ni trop bas. C’est qu’elle doit mettre correctement en valeur deux poings serrés massifs en plâtre. Sur les phalanges de la main droite, on lit: “ANTICONS”. Sur la gauche: “TITUTIONNEL”. La Nuit du chasseur revu par l’Académie française. “Il y a beaucoup d’humour dans mes œuvres, mais ce n’est pas spécialement destiné à être drôle, c’est simplement un jeu sur le texte et l’image”, sourit l’artiste, quand on la rencontre à quelques jours du vernissage.

Cette trentenaire, imprégnée de Georges Perec et de Raymond Queneau, fond depuis des années culture classique et culture populaire pour imaginer des œuvres ingénieuses. Sociétaire des Papous dans la Tête sur France Culture et chroniqueuse pour “Mon Lapin Quotidien”, le journal de la maison d’édition de BD alternative L’Association, elle est devenue la coqueluche du milieu littéraire. Quand il faut concevoir un décor pour les rencontres de Manosque ou des accessoires pour l’émission «21 cm» présentée par Augustin Trapenard, on fait appel à sa créativité.

(c) Clémentine Mélois

La voilà qui expose à Paris le fruit du travail de ces cinq dernières années. Quelques jours avant l’ouverture, dans la galerie Lara Vincy, où les murs encore vierges sont loin de la fantaisie méloisienne, elle a mille merveilles à montrer. D’abord ces bols bretons estampillés “Guy Georges”, “Emile Louis” et “Patrick Henry”. “Ce ne sont que des prénoms, et pourtant ils ont ce fort pouvoir évocateur”, semble-t-elle se ravir, comme si ce n’était pas elle qui avait imaginé cette vaisselle subversive. Plus loin, elle pointe une porte de frigo ornée de magnets. “Ce sont nos nouveaux retables”, explique-t-elle. Se disputent aux stickers publicitaires des silhouettes tirées du Jardin des délices. Evidemment, Clémentine Mélois a monté tout le dispositif sur un appareil ménager de marque… Bosch.

Avez-vous lu «Père et Gay», de Tolstoï ?
(c) Clémentine Mélois

Enfin, elle arrive à cette caisse hermétique qui contient les objets qui ont fait sa renommée : ses couvertures de livres détournées, postés sur internet et réunis dans l’ouvrage Cent titres (Paris, Grasset, 2014). Elle y réinterprète les titres de grands classiques avec des astuces, jeux de mots et calembours. Il y a Maudit Bic de Melville, Mycologies de Roland Barthes, Légume des jours de Boris Viande, Père et Gay de Léon Tolstoï ou Lexomil et le royaume d’Albert Camus. A la galerie, les livres seront rangés dans une étagère ouverte, pour que les visiteurs puissent les manipuler. On lui dit qu’elle risque de se les faire voler. “J’en serais honorée”, répond-elle d’une voix douce et enjouée…”

(c) Clémentine Mélois

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